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Enraison de lâimportance de la faute, le Conseil a adressĂ© un blĂąme Ă la journaliste Kathleen LĂ©vesque et au quotidien La Presse. Martineau : comparer le port du voile Ă celui de lâĂ©toile jaune Ă©tait irresponsable D2013-10-044 : M. Michel Jean, M. Dany Harvey et Mme Leila Khellef c. M. Richard Martineau, journaliste, M. Dany Doucet, rĂ©dacteur en chef et le quotidien Le Journal De prime abord, je dois avouer que je ne prĂ©tends nullement Ă une objectivitĂ© totale, mais jâai essayĂ©, dans ce qui va suivre, de mâappuyer, autant que faire se peut, sur des Ă©lĂ©ments tangibles et objectifs. En premier lieu, il convient de souligner que câest bien IsraĂ«l, en rĂ©alitĂ©, qui a créé le Hamas, en pensant comme lâassure Zeev Sternell, historien et Professeur Ă lâuniversitĂ© hĂ©braĂŻque de JĂ©rusalem que câĂ©tait intelligent de jouer les islamistes contre lâOLP ». En effet lâhistoire du Hamas a commencĂ© au dĂ©but des annĂ©es soixante-dix, quand Ahmed Yassine, de retour du Caire, fonde une association islamique de bienfaisance, et ce bien avant la crĂ©ation du Hamas lui-mĂȘme, en 1987. Golda Meir, alors premier ministre, Ă©tait la premiĂšre Ă percevoir dans ce mouvement un contrepoids efficace au Fatah dâArafat et aux autres organisations palestiniennes de gauche. Dâailleurs, lâhebdomadaire israĂ©lien, Koteret Rashit Ă©crivait en octobre 1987 cf., le quotidien le Monde du 18 novembre 1987 Le gouvernement militaire en charge de lâadministration de la Cisjordanie et de Gaza Ă©tait convaincu que ces activitĂ©s les activitĂ©s de ladite association crĂ©ation dâorphelinats, de dispensaires, dâune UniversitĂ© Islamique Ă Gaza, en 1978, ⊠mise en place dâun rĂ©seau scolaire, dâateliers de confections pour lâemploi des femmes,⊠affaibliraient lâOLP et les organisations de gauche Ă Gaza ». La premiĂšre Intifada, qui a dĂ©butĂ© en octobre 1987, a pris au dĂ©pourvu le mouvement islamiste dâAhmed Yassine et a Ă©tĂ© lâun des Ă©lĂ©ments moteur qui a conduit ce mouvement Ă prendre le train de la rĂ©sistance » Ă IsraĂ«l en marche, et ce en crĂ©ant, le 14 dĂ©cembre 1987, sans ĂȘtre inquiĂ©tĂ© par le gouvernement militaire, le Hamas acronyme partiel de lâexpression Mouvement de la rĂ©sistance islamique » en arabe. Initialement, le Hamas a dĂ©clarĂ© dans sa Charte que son but essentiel est la LibĂ©ration de la Palestine » historique le territoire actuel composĂ© de lâĂtat dâIsraĂ«l, la Cisjordanie et la Bande de Gaza. On peut, dâabord, considĂ©rer cette DĂ©claration comme Ă©tant un des principaux arguments qui ont servi le plus IsraĂ«l pour sâopposer Ă tout traitĂ© de paix qui ne soit pas une Pax israelia » et qui lâont conduit Ă ĂȘtre tolĂ©rant envers le Hamas, tant quâil ne lâabandonne pas. Et câest ainsi, grĂące Ă la bĂ©nĂ©diction dâIsraĂ«l, que les islamistes ont pu tisser, calmement, leur toile, au prix dâune rĂ©pression impitoyable frappant les militants du Fatah et de la gauche palestinienne. Se nourrissant des Ă©checs successifs du processus de paix, Ă©checs auxquels il a contribuĂ© , indirectement, de concert avec IsraĂ«l IsraĂ«l qui multiplie les entraves Ă lâapplication des accords dâOslo et qui refuse dâappliquer les rĂ©solutions de lâONU ou toute autre feuille de route », et le Hamas qui continue Ă prĂŽner la LibĂ©ration de la Palestine historique, le Hamas a pu prospĂ©rer » avant de prendre le pouvoir Ă Gaza en juin 2007. On peut, aussi, considĂ©rer que câest lâabandon de ladite DĂ©claration par le Hamas, en 2006, qui a conduit IsraĂ«l, se trouvant dans la position de lâarroseur arrosĂ©, Ă abandonner son alliĂ© implicite dans sa farouche opposition Ă la conclusion dâun TraitĂ© de Paix des Braves. En effet, Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas, a dĂ©clarĂ© dans le Monde Diplomatique du 22 dĂ©cembre 2008 Le Hamas et les forces palestiniennes ont offert une occasion en or dâapporter une solution raisonnable au conflit israĂ©lo-arabe. Malheureusement, personne ne sâen est saisi, ni lâadministration amĂ©ricaine, ni lâEurope, ni le Quartet. Notre bonne volontĂ© sâest heurtĂ©e au refus israĂ©lien que personne nâa la capacitĂ© ou la volontĂ© de surmonter. Dans le document dâentente nationale de 2006 signĂ© avec toutes les forces palestiniennes Ă lâexception du Jihad islamique, nous affirmons notre acceptation dâun Etat palestinien dans les frontiĂšres du 4 juin 1967, avec JĂ©rusalem comme capitale ». En outre Khaled Mechaal a dĂ©clarĂ©, en fĂ©vrier 2006 Ă un journal russe Si IsraĂ«l reconnait nos droits et sâengage Ă se retirer de tous les territoires occupĂ©s en 1967, le Hamas, et avec lui lâensemble du peuple palestinien, dĂ©cideront de mettre un terme Ă la rĂ©sistance armĂ©e ». Enfin, en dĂ©cembre 2008, quelques jours avant la meurtriĂšre offensive israĂ©lienne Plomb Durci » dans la Bande de Gaza, le mĂȘme dirigeant du Hamas, Khaled Machaal, a dĂ©clarĂ© Nous avons une position de rĂ©serve par rapport Ă la reconnaissance dâIsraĂ«l. Mais, malgrĂ© cela, nous avons dit que nous ne serions pas un obstacle aux actions arabes pour la mise en Ćuvre de lâinitiative arabe de 2002 celle-ci propose Ă IsraĂ«l une reconnaissance globale en Ă©change de la fin de lâoccupation IsraĂ©lienne de JĂ©rusalem Est, de la Cisjordanie, du Golan et des fermes de Cheeba. Les Arabes ont multipliĂ© les initiatives. Ils ont renouvelĂ© leur proposition en 2007. Et, malgrĂ© cela, la direction israĂ©lienne refuse lâinitiative de paix arabe, elle la dĂ©coupe en parties, elle joue sur les mots, elle multiplie les manĆuvres ». Aussi, continuer Ă proclamer, aujourdâhui, que le Hamas prĂŽne la destruction de lâEtat dâIsraĂ«l relĂšve de lâintox et de la dĂ©sinformation dont le seul but est de justifier la farouche opposition de la direction israĂ©lienne actuelle Ă tout traitĂ© de paix qui ne soit pas une Pax israelia ». La StratĂ©gie israĂ©lienne a connu un premier revers au Liban en 2006, un second Ă Gaza, en janvier 2009, et un troisiĂšme, tout rĂ©cemment, suite au massacre subi, le 31 mai 2010, par la Flottille de la Paix » de la part de la Marine IsraĂ©lienne. Ce dernier revers sonne comme Ă©tant le dĂ©but de la fin de lâimpunitĂ© dâIsraĂ«l, impunitĂ© qui a fait repousser toutes les opportunitĂ©s de paix IsraĂ«l, Ă©tant au dessus des lois, nâĂ©tait prĂȘt quâĂ signer une Pax israelia », Ă sa pointure, que le peuple palestinien doit accepter sans conditions. En outre, Ă dĂ©faut dâacheminer sa cargaison Ă bon port, la Flottille de la Paix », avec le massacre quâelle a subi, a ouvert une importante brĂšche dans la stratĂ©gie israĂ©lienne, dans laquelle sâest glissĂ©e lâadministration amĂ©ricaine, en conduisant la communautĂ© internationale Ă dĂ©noncer, rigoureusement et dâune seule voix, le blocus de Gaza, en vigueur depuis 2007, et ses tragĂ©dies humanitaires insupportables. La question qui sâimpose, devant le massacre subi par la Flottille de la Paix » et devant les souffrances du peuple palestinien, qui perdurent depuis plus de six dĂ©cennies, est de se demander comment se fait-il quâun peuple qui a subi la barbarie nazie la plus atroce peut se montrer aussi cruel envers un autre peuple ? Je suis sĂ»r que ce qui se passe, aujourdâhui, sur la Terre de Palestine doit indigner ces millions dâinnocentes victimes de la Shoa qui nous regardent de lĂ -haut ou de quelque part ! Dans ce cadre, le quotidien Haaretz troisiĂšme quotidien dâIsraĂ«l nâa pas hĂ©sitĂ©, moins de deux semaines avant le drame de la Flottille de la Paix, Ă Ă©crire, sous la plume de Bradley Burston, que certaines dĂ©cisions du gouvernement israĂ©lien dâaujourdâhui sont dignes dâun Ă©tat fasciste Que tous ces Ă©vĂ©nements puissent conduire tous ceux qui partagent la devise MĂȘme quand IsraĂ«l a tort, IsraĂ«l a raison », et dont le cerveau bogue dĂšs quâil est question dâIsraĂ«l, Ă se rendre compte quâIsraĂ«l ne peut plus continuer longtemps Ă rester sourd aux injonctions du Droit International, que le temps est comptĂ©, que le vent tourne, et quâĂȘtre raisonnable se conjugue, aussi, en hĂ©breu et se trouve au centre de la Sagesse Talmudique. Que ce qui sâest passĂ© ce 31 mai puisse prĂ©cipiter les pourparlers israĂ©lo-palestiniens, ĂȘtre les prĂ©misses de la fondation dâun Ătat palestinien, indĂ©pendant et prospĂšre, de la conclusion dâune Paix des braves entre tous les belligĂ©rants de la rĂ©gion, de la transformation de JĂ©rusalem la Sainte El-QĆ«ds, aprĂšs avoir Ă©tĂ©, de tous les temps, le terrain dâaffrontement et de dĂ©chirement de toutes les croyances et de tous les empires, en un terrain de la concorde de toutes les spiritualitĂ©s, avec, en premier, celles des descendants des enfants dâAbraham. HORCHANI Salah- ĐĄĐ”á¶ŃŃ
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RĂ©sumĂ© Tu nies les calomnies et les accusations absurdes, une par une⊠Tu te dĂ©fends contre les coups bas, lâun aprĂšs lâautre⊠Tu parles, parles et parles encore. Mais Ă la fin, dâune maniĂšre ou dâune autre, ils tâauront. » - Omar Radi, journaliste Le journaliste indĂ©pendant Omar Radi, 33 ans, avait l'air un peu fatiguĂ© ce 15 juillet 2020, pendant son entretien avec Human Rights Watch sur la terrasse d'un cafĂ© Ă Rabat. Radi sortait tout juste d'une confĂ©rence de presse pendant laquelle, assistĂ© de son avocat, il avait rĂ©futĂ© les multiples accusations portĂ©es contre lui par un procureur, la police judiciaire et les mĂ©dias alignĂ©s sur l'Ătat au cours des mois prĂ©cĂ©dents partage de renseignements avec des gouvernements, des entreprises et des organisations Ă©trangers, atteinte Ă la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et extĂ©rieure de l'Ătat, ivresse sur la voie publique⊠La liste ne cessait de s'allonger. [1] La fatigue de Radi pourrait Ă©galement sâexpliquer par les cinq sĂ©ances d'interrogatoires-marathon par la police â environ neuf heures chacune â qu'il avait subies au cours des deux semaines prĂ©cĂ©dentes. Je dois mettre fin Ă cet entretien », s'est-il excusĂ©. Il faut que je retourne aux locaux de la police, tout de suite, pour une nouvelle sĂ©ance d'interrogatoire. » Six autres allaient suivre dans les deux semaines suivantes. La police a fini par arrĂȘter Radi le 29 juillet 2020. Il passera un an en dĂ©tention prĂ©ventive, avant qu'un tribunal ne le dĂ©clare coupable, le 19 juillet 2021 â non seulement pour les accusations initiales d'espionnage, mais Ă©galement pour attentat Ă la pudeur et viol â et ne le condamne Ă six ans de prison. La peine sera confirmĂ©e en appel le 3 mars 2022. Radi est toujours en prison Ă lâheure oĂč ces lignes sont Ă©crites. Omar Radi est un journaliste d'investigation. Il s'est fait connaĂźtre au dĂ©but des annĂ©es 2010, aprĂšs avoir dĂ©noncĂ© la vaste corruption de l'Ătat dans les secteurs des ressources naturelles et de l'immobilier[2]. Il a dĂ©fendu les manifestants descendus dans la rue pour revendiquer leurs droits sociaux et Ă©conomiques dans la rĂ©gion du Rif, au nord du Maroc. Il sâest Ă©galement fait remarquer par des propos incendiaires tenus lors d'un talk-show en 2018, restĂ© dans les mĂ©moires Le ministĂšre de l'IntĂ©rieur, qui a abritĂ© la plus grande opĂ©ration de corruption jamais organisĂ©e au Maroc, devrait ĂȘtre dissous. »[3] Avant que Radi ne soit arrĂȘtĂ© puis condamnĂ© en 2021, il avait Ă©tĂ© dĂ©tenu, jugĂ© et condamnĂ© pour un tweet, son smartphone avait Ă©tĂ© infectĂ© par un logiciel espion, et des mĂ©dias alignĂ©s sur lâĂtat lâavaient pilonnĂ© par des centaines dâarticles diffamatoires. En 2019, il avait mĂȘme subi une agression physique dâorigine douteuse sur laquelle la police, malgrĂ© ses promesses, n'avait apparemment jamais enquĂȘtĂ©. ProcĂšs pour dĂ©lits dâexpression, poursuites pĂ©nales Au cours des deux derniĂšres dĂ©cennies, Human Rights Watch et d'autres organisations de dĂ©fense des droits humains ont documentĂ© la maniĂšre dont les tribunaux marocains ont condamnĂ© des dizaines de journalistes et dâactivistes ; et comment ils ont fermĂ©, condamnĂ© Ă de lourdes amendes ou sanctionnĂ© de diverses façons les mĂ©dias indĂ©pendants pour publication de fausses nouvelles », insultes » ou diffamation » dâautoritĂ©s locales, dâorganes officiels ou de chefs d'Ătat Ă©trangers, ainsi que pour atteinte » Ă la sĂ©curitĂ© de l'Ătat ou Ă l'institution monarchique.[4] Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, dâEst en Ouest, les journalistes critiques, commentateurs sur Internet ou simples manifestants sont encore couramment punis par des procĂšs dâopinion, dont le principe mĂȘme viole clairement le droit Ă la libertĂ© d'expression. Le Maroc ne fait pas exception. En 2021 et 2022, les commentateurs sur les mĂ©dias sociaux Chafik Omerani, Mustapha Semlali, Jamila Saadane, Ikram Nazih, Saida El-Alami et Rabie al-Ablaq, ainsi que le manifestant Noureddine Aouaj, ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă des peines de prison fermes, simplement pour avoir critiquĂ© pacifiquement des personnalitĂ©s publiques. ParallĂšlement Ă ces poursuites pour dĂ©lits d'expression, les autoritĂ©s marocaines, depuis le milieu des annĂ©es 2010, ont de plus en plus souvent accusĂ© et poursuivi des journalistes et des activistes Ă©minents pour des crimes autres que d'expression â notamment pour des relations sexuelles consensuelles, mais hors du mariage, seul cadre lĂ©galement admis pour les relations intimes au Maroc. Puis, vers la fin des annĂ©es 2010, les autoritĂ©s ont commencĂ© Ă poursuivre leurs dĂ©tracteurs les plus cĂ©lĂšbres pour dâautres types de crimes, grĂąces et reconnus par le droit international, ceux-lĂ blanchiment d'argent, espionnage, viol, agression sexuelle⊠et mĂȘme traite dâĂȘtres humains. Selon l'historien et militant de la libertĂ© d'expression Maati Monjib, emprisonnĂ© pendant trois mois en 2021 pour blanchiment d'argent, les procĂšs politiques dâautrefois donnaient du prestige aux dissidents [marocains], faisaient dâeux des hĂ©ros, mobilisaient l'opinion publique autour d'eux. Les dĂ©signer comme des traĂźtres, des voleurs et des violeurs est la meilleure façon de les rĂ©duire au silence. »[5] Assassinat symbolique » Par principe, les crimes graves tels que les agressions sexuelles ou les dĂ©lits financiers doivent faire l'objet d'enquĂȘtes sans discrimination, et les responsables ĂȘtre traduits en justice et sanctionnĂ©s, Ă l'issue de procĂšs Ă©quitables tant pour les plaignants que pour les accusĂ©s. Mais pendant son examen approfondi de 12 affaires judiciaires de ce type au Maroc, impliquant des opposants de lâEtat, Human Rights Watch a constatĂ© que les autoritĂ©s ne cessaient de violer les droits des accusĂ©s, et de maniĂšre gĂ©nĂ©rale leur droit Ă un procĂšs Ă©quitable. Dans leur quĂȘte agressive pour condamner des opposants en vertus dâinfractions graves, les autoritĂ©s ont, de plus, violĂ© les droits de leurs connaissances, partenaires et familles⊠et mĂȘme ceux des personnes que les autoritĂ©s prĂ©tendaient ĂȘtre leurs victimes. Par exemple, Afaf Bernani, une employĂ©e de journal devenue activiste, a fui le Maroc aprĂšs avoir Ă©tĂ© condamnĂ©e en 2018 pour propos mensongers », parce quâelle avait accusĂ© la police d'avoir falsifiĂ© un PV dâinterrogatoire dans lequel elle semblait affirmer que son ancien patron, lâĂ©diteur dâun journal dâopposition Taoufik Bouachrine, l'avait agressĂ©e sexuellement. Niant avoir jamais portĂ© une telle accusation contre Bouachrine, elle a dĂ©clarĂ© Ă un journaliste Les autoritĂ©s marocaines ont compris qu'accuser quelqu'un d'un crime sexuel est un assassinat symbolique » efficace. Cela dĂ©pouille leurs cibles de la solidaritĂ© internationale et en fait des parias dans leurs propres communautĂ©s, rejetĂ©s par leurs amis et leurs familles qui sont soit gĂȘnĂ©s, soit effrayĂ©s dâĂȘtre associĂ©s Ă eux. »[6] Les poursuites contre Bouachrine, qui purge une peine de 15 ans de prison depuis 2019, tout comme celles contre Omar Radi, Maati Monjib, Soulaiman Raissouni et d'autres dĂ©tracteurs virulents du systĂšme monarchique marocain actuel, ne peuvent qualifiĂ©es dâemblĂ©e dâattaques contre la libertĂ© d'expression par un gouvernement rĂ©pressif. IndĂ©pendamment des professions et des statuts sociaux des accusĂ©s, de telles accusations doivent toujours ĂȘtre prises au sĂ©rieux. Ce rapport cherche Ă examiner la maniĂšre dont les autoritĂ©s ont enquĂȘtĂ© sur ces affaires, les faits sur lesquels les accusations Ă©taient basĂ©es, et les procĂ©dures judiciaires par lesquelles elles ont Ă©tĂ© jugĂ©es. AprĂšs avoir Ă©tudiĂ© huit cas impliquant 12 procĂšs, dans lesquelles environ 20 militants ou journalistes Ă©taient impliquĂ©s Ă diffĂ©rents titres, ainsi que les attaques contre eux par un groupe de mĂ©dias manifestement Ă©troitement alignĂ©s sur l'establishment sĂ©curitaire marocain, Human Rights Watch conclut dans ce rapport que les autoritĂ©s marocaines ont dĂ©veloppĂ© et affinĂ© tout un manuel de techniques pour museler les opposants, tout en prĂ©tendant simplement appliquer la loi contre eux de maniĂšre neutre. Ce faisant, les autoritĂ©s ont violĂ© une longue liste de droits, notamment les droits Ă la vie privĂ©e, Ă la santĂ©, Ă la sĂ©curitĂ© physique, Ă la propriĂ©tĂ©, et le droit Ă un procĂšs Ă©quitable â tout en transformant des procĂ©dures pour crimes graves tels que le viol, le dĂ©tournement de fonds ou lâespionnage, en parodies de procĂšs. Le diable est dans les dĂ©tails Dans deux des affaires examinĂ©es par ce rapport, les tribunaux ont prononcĂ© des condamnations en vertus dâaccusations contraires au droit international des droits humains. Dans un cas, un tribunal a condamnĂ© la journaliste Hajar Raissouni pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage avec son fiancĂ© et un avortement illĂ©gal. Dans lâautre, un tribunal a condamnĂ© le journaliste Hicham Mansouri pour complicitĂ© d'adultĂšre avec une femme mariĂ©e, elle aussi condamnĂ©e. Ces accusations de relations sexuelles extraconjugales et dâavortement violent des droits fondamentaux tels que le droit Ă la vie privĂ©e, Ă la santĂ©, et Ă la non-discrimination. Le Maroc devrait supprimer ces crimes de son code pĂ©nal et abandonner immĂ©diatement toutes les poursuites sous de tels chefs d'accusation. Dans dâautres autres affaires judiciaires, qui se sont toutes dĂ©roulĂ©es aprĂšs celles de Mansouri et de Raissouni, des journalistes et des activistes ont Ă©tĂ© accusĂ©s d'infractions sexuelles ou financiĂšres universellement criminalisĂ©es â des accusations desquelles personne ne devrait ĂȘtre Ă l'abri. Cependant, toute action policiĂšre ou judiciaire dans de tels cas doit ĂȘtre Ă©quitable, non-discriminatoire , et conforme aux normes internationales. Pour comprendre comment les autoritĂ©s marocaines Ă©crasent et musĂšlent lâopposition, il faut garder en tĂȘte un principe-clĂ© le diable est dans les dĂ©tails. Pour comprendre pourquoi les poursuites contre des opposants sont souvent des attaques politiques dĂ©guisĂ©es, il est nĂ©cessaire d'examiner une par une les failles procĂ©durales qui entachent le traitement de ces affaires, tant dans leurs phases policiĂšres que dans leurs phases judiciaires. MĂȘme quand les accusations criminelles Ă©taient graves, le traitement de l'affaire a donnĂ© l'impression, de fait, que les autoritĂ©s ne prenaient pas ces crimes au sĂ©rieux. La violence sexuelle est un problĂšme grave au Maroc â il est important que les autoritĂ©s combattent la violence sexuelle de maniĂšre appropriĂ©e et cohĂ©rente, en respectant les droits de la personne plaignante tout comme ceux de la personne accusĂ©e. Les outils que lâĂtat utilise pour rĂ©primer ses dĂ©tracteurs les plus virulents et intimider tous les autres sont nombreux et variĂ©s surveillance physique et Ă©lectronique, incarcĂ©rations abusives, procĂšs biaisĂ©s conclus par des verdicts injustes, campagnes de diffamation dans des mĂ©dias alignĂ©s sur l'Ătat, ciblage des membres de la famille ou de proches des dĂ©tracteurs, tout comme, apparemment, le recours occasionnel Ă l'intimidation et Ă la violence physique⊠Ces outils, mis bout-Ă -bout, forment un manuel des techniques employĂ©es au Maroc pour Ă©craser lâopposition. En voici les chapitres principaux ProcĂ©dures judiciaires inĂ©quitables Au Maroc, les procĂšs ciblant des opposants sont souvent entachĂ©s de graves violations du droit Ă une procĂ©dure rĂ©guliĂšre et Ă©quitable. PremiĂšre de ces violations les dĂ©tentions provisoires prolongĂ©es sans justification individualisĂ©e. Les normes internationales exigent qu'un magistrat rendant une ordonnance de dĂ©tention provisoire justifie sa dĂ©cision par Ă©crit, en exposant les motifs individualisĂ©s de cette mesure â qui devrait constituer lâexception et non la rĂšgle â et que l'ordonnance fasse l'objet dâun examen judiciaire significatif immĂ©diat, puis pĂ©riodique, par un juge ou un tribunal indĂ©pendant du magistrat qui a rendu l'ordonnance. Cependant, aucune justification de ce type n'a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©e dans les affaires des journalistes Omar Radi et Soulaiman Raissouni, qui ont tous les deux passĂ© un an en dĂ©tention provisoire, soit la durĂ©e maximale prĂ©vue par la lĂ©gislation marocaine. Des juges ont Ă©galement empĂȘchĂ© les opposants emprisonnĂ©s d'accĂ©der Ă leurs dossiers et de prĂ©parer ainsi leur dĂ©fense de maniĂšre adĂ©quate. Radi et Raissouni n'ont eu accĂšs Ă leurs dossiers qu'aprĂšs le dĂ©but de leurs procĂšs. Lâactiviste Maati Monjib a Ă©tĂ© maintenu en dĂ©tention provisoire pendant trois mois alors qu'il faisait l'objet d'une enquĂȘte pour dĂ©tournement de fonds, mais il n'a jamais Ă©tĂ© autorisĂ© Ă accĂ©der Ă son dossier. L'affaire qui s'est ouverte en septembre 2020 est toujours en cours, et en juillet 2022, Monjib n'a toujours pas eu accĂšs Ă son dossier. Les tribunaux ont Ă©galement frĂ©quemment refusĂ© de convoquer les tĂ©moins requis par la dĂ©fense, sans fournir de justifications raisonnables pour leur refus. Le tribunal de premiĂšre instance de Casablanca a ainsi rejetĂ© un tĂ©moin clĂ© dans l'affaire d'espionnage de Radi, arguant que l'entendre aurait [inutilement] prolongĂ© le procĂšs ». Les tribunaux ont Ă©galement contraint des individus Ă tĂ©moigner en faveur de l'accusation, mĂȘme quand ils sây refusaient avec vĂ©hĂ©mence. Dans le procĂšs pour viol du patron de presse dâopposition Taoufik Bouachrine, la police a exercĂ© d'intenses pressions sur les journalistes Hanan Bakour, Afaf Bernani et Amal Houari pour qu'elles tĂ©moignent contre Bouachrine â mĂȘme si elles ne lâaccusaient de rien, et mĂȘme si elles avaient dĂ©clarĂ© aux magistrats et Ă la presse quâelles refusaient toute implication dans son procĂšs, Ă quelque titre que ce soit. Les trois femmes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es et conduites au tribunal par la force. Houari et Bernani ont par la suite Ă©tĂ© condamnĂ©es, respectivement pour refus de coopĂ©ration avec la justice, et pour avoir diffamĂ© la police ». Bernani a fui le Maroc pour Ă©chapper Ă la prison, et se trouve toujours Ă l'Ă©tranger. Des tribunaux ont Ă©galement condamnĂ© des opposants en leur absence⊠alors mĂȘme quâils Ă©taient en prison pendant le dĂ©roulement du procĂšs. En aoĂ»t 2021, un tribunal de premiĂšre instance a ainsi condamnĂ© Omar Radi pour ivresse sur la voie publique », sans lâentendre. Pourquoi ? Simplement parce que ni lui ni ses avocats nâavaient jamais Ă©tĂ© notifiĂ©s de la tenue des audiences, et parce que la police ne l'a jamais sorti de prison ou il Ă©tait en dĂ©tenu provisoirement dans le cadre dâune autre affaire pour lâamener en salle dâaudience. En janvier 2020, Maati Monjib a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă un an de prison pour atteinte Ă la sĂ»retĂ© de l'Ătat âen son absence lui aussi, alors qu'il Ă©tait au mĂȘme moment, lui aussi, en dĂ©tention provisoire dans le cadre dâune autre affaire. Lâaffaire dâatteinte Ă la suretĂ© de lâEtat a Ă©tĂ© jugĂ©e en une audience, dont Ni Monjib ni ses avocats nâavaient Ă©tĂ© informĂ©s de la tenue â et la police ne l'a pas conduit dans la salle d'audience. Dans une autre affaire, un accusĂ© s'est vu refuser l'accĂšs Ă l'un de ses avocats. En juin 2021, la police a arrĂȘtĂ© un avocat belge engagĂ© par la famille Radi au moment de son arrivĂ©e Ă Casablanca, et l'a empĂȘchĂ© d'accĂ©der Ă la salle d'audience. Il a Ă©tĂ© expulsĂ© vers la Belgique le lendemain. Surveillance digitale et vidĂ©o Toutes ces violations de procĂ©dure se sont produites dans un contexte gĂ©nĂ©ral de harcĂšlement policier et de violations multiformes des droits des opposants. Peut-ĂȘtre parallĂšlement Ă ceux de milliers dâautres d'individus, les smartphones d'au moins cinq journalistes indĂ©pendants et activistes dont Monjib, Radi, Bouachrine, Raissouni et Aboubakr Jamai, ainsi que ceux de plusieurs dĂ©fenseurs des droits humains dont Fouad Abdelmoumni, et d'avocats dont Abdessadek Bouchattaoui, ont Ă©tĂ© infectĂ©s par le logiciel espion Pegasus entre 2019 et 2021, selon une enquĂȘte menĂ©e par Amnesty International et une autre par le consortium journalistique Forbidden Stories. [7] Pegasus, un puissant logiciel que son dĂ©veloppeur, la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne NSO Group, affirme ne vendre qu'aux gouvernements, est capable d'accĂ©der aux listes de contacts, de lire les e-mails et les SMS, de tracer les appels, de collecter les mots de passe, de localiser l'appareil ciblĂ© et de prendre le contrĂŽle de son microphone et de sa camĂ©ra vidĂ©o pour en faire un outils de surveillance contre son dĂ©tenteur. [8] Les autoritĂ©s marocaines ont niĂ© avoir utilisĂ© Pegasus pour espionner des opposants.[9] Fouad Abdelmoumni, un de ceux dont le tĂ©lĂ©phone a Ă©tĂ© infectĂ© par Pegasus, a en outre fait l'objet de vidĂ©osurveillance. En 2020, un expĂ©diteur anonyme a envoyĂ© sur WhatsApp six courtes vidĂ©o montrant Abdelmoumni et sa compagne ils se marieront lâannĂ©e suivante, en privĂ© et dans des situations intimes, Ă plusieurs membres de leurs familles et amis proches. Au Maroc, les relations sexuelles entre personnes non mariĂ©es constituent un crime puni de prison et une cause de stigmatisation sociale, en particulier pour les femmes. Selon Abdelmoumni, Ă en juger par l'angle des prises de vue, les camĂ©ras qui ont enregistrĂ© les scĂšnes intimes ont Ă©tĂ© installĂ©es Ă l'intĂ©rieur de deux climatiseurs placĂ©s dans la chambre et le salon de son appartement. La mise en examen de Taoufik Bouachrine pour de multiples affaires de viols et agressions sexuelles Ă©tait en partie fondĂ©e sur plusieurs clips vidĂ©o montrant le patron de presse â ou un homme lui ressemblant â dans des situations sexuelles plus ou moins explicites avec plusieurs femmes, dans le bureau de Bouachrine Ă Casablanca. La police a dĂ©clarĂ© avoir trouvĂ© deux camĂ©ras dans le bureau de Bouachrine et affirmĂ© qu'il avait lui-mĂȘme enregistrĂ© les vidĂ©os. Bouachrine a niĂ© que les camĂ©ras lui appartenaient ou qu'il les avait installĂ©es. Il a affirmĂ© que des inconnus avaient, Ă son insu, placĂ© les camĂ©ras dans le faux plafond de son bureau. Des agents de la police les ont rĂ©cupĂ©rĂ©es le jour de son arrestation. Bouachrine ne les a pas le faire car, Ă ce moment-lĂ , il Ă©tait dĂ©tenu dans un autre bureau, dans les locaux du journal. Campagnes de harcĂšlement dans les mĂ©dias pro-Makhzen Bien que les individus dont les affaires sont examinĂ©es dans ce rapport n'aient pas tous fini devant un tribunal ou en prison, ils ont tous un dĂ©nominateur commun ils ont fait l'objet, avant mĂȘme d'ĂȘtre convoquĂ©s dans un poste de police, de fĂ©roces campagnes de diffamation dans une certaine constellation de sites Internet. En 2020, 110 journalistes marocains ont signĂ© un Manifeste contre les mĂ©dias de diffamation » dans lequel ils dĂ©claraient Ă chaque fois que les autoritĂ©s ont poursuivi une voix critique, certains sites et journaux se sont empressĂ©s dâĂ©crire des articles diffamatoires sans aucune Ă©thique professionnelle, voire enfreignant les lois organisant la presse au Maroc. » [10] De multiples articles d'investigation ont dĂ©crit les sites en question comme proches du palais royal », ou ayant des liens Ă©troits avec la police et les services de renseignement marocains.[11] La derniĂšre section de ce rapport, intitulĂ©e Ătudes de cas Institutions mĂ©diatiques », examine ces allĂ©gations en dĂ©tail, en se concentrant sur trois sites Web Chouf TV, Barlamane et Le360. Dans un e-mail envoyĂ© le 14 avril 2022 en rĂ©ponse Ă une lettre de Human Rights Watch, Wadi El Moudden, directeur de publication de Le360, a catĂ©goriquement dĂ©menti que son site web fasse partie de ce que le manifeste qualifie de mĂ©dias de diffamation ». Ă la mi-juillet 2022, Human Rights Watch n'avait encore reçu aucune rĂ©ponse Ă des lettres similaires envoyĂ©es le 1er avril, puis Ă nouveau le 9 mai, Ă Chouf TV et Barlamane. Le 10 mai 2022, Human Rights Watch a recherchĂ© l'expression mĂ©dias de diffamation » sur les sites Chouf TV et Barlamane. Cette recherche n'a donnĂ© aucun rĂ©sultat indiquant une rĂ©ponse claire ou un positionnement de Chouf TV Ă l'Ă©gard du manifeste. Toutefois, un article publiĂ© sous pseudonyme dans Barlamane en novembre 2020 a accusĂ© une journaliste marocaine et militante des droits humains basĂ©e aux Ătats-Unis de produire du journalisme de diffamation ».[12] Un autre article publiĂ© dans Barlamane en mars 2022, Ă©galement sous pseudo, a qualifiĂ© plusieurs mĂ©dias français dont Le Monde, Mediapart et Radio France Internationale de mĂ©dias de diffamation » en raison de leur campagne systĂ©matique et coordonnĂ©e contre le Maroc et ses services de sĂ©curitĂ© ».[13] Ă partir dâici, ce rapport dĂ©signera ces sites, dont Chouf TV, Barlamane et Le360, comme des mĂ©dias ou des sites pro-Makhzen ». Makhzen » est un terme que les Marocains et les observateurs du Maroc utilisent pour dĂ©signer un rĂ©seau dâhommes et de femmes de pouvoir liĂ©s au roi et Ă son entourage par des liens dâallĂ©geance, de nĂ©potisme et de clientĂ©lisme.[14] Il ne sâagit pas dâune entitĂ© officielle ; il n'y a pas non plus de liste convenue et unique des personnes qui composent le Makhzen. Ă certains Ă©gards, ce terme pourrait ĂȘtre analogue Ă lâexpression l'Ătat profond » appliquĂ©e Ă certains segments des autoritĂ©s dans d'autres pays. Le Makhzen fait rĂ©fĂ©rence aux personnes qui font office de dĂ©cideurs de l'ombre au Maroc, avec un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant jouĂ© par les services de sĂ©curitĂ© et de renseignement. Dans son acceptation courante au Maroc, le terme Makhzen » fait aussi rĂ©fĂ©rence aux services de sĂ©curitĂ© et Ă leurs membres en gĂ©nĂ©ral. Les mĂ©dias pro-Makhzen sont spĂ©cialisĂ©s dans la publication d'un flot d'articles sur les dĂ©tracteurs du Makhzen, contenant souvent des insultes vulgaires et des informations personnelles sur eux â notamment des relevĂ©s bancaires et immobiliers, des captures d'Ă©cran de conversations Ă©lectroniques privĂ©es, des allĂ©gations sur des relations sexuelles ou des menaces de les exposer, ainsi que des dĂ©tails biographiques intimes concernant les membres des familles des individus ciblĂ©s ainsi que leurs supporters. Par exemple, aprĂšs qu'une femme ait postĂ© une dĂ©claration sur Facebook en soutien au journaliste incarcĂ©rĂ© Soulaiman Raissouni, Chouf TV a publiĂ© les noms de ses deux parents et leurs appartenances politiques, ainsi que des informations sur des amis de cette femme et mĂȘme sur les endroits oĂč elle les rencontrait â vraisemblablement dans le but dâintimider la femme en question en montrant qu'ils disposaient dâinformations personnelles la concernant, mĂȘme si elle n'Ă©tait en aucun cas une personne publique. Le mĂȘme site a publiĂ© l'identitĂ© d'une colocataire d'Omar Radi et a insinuĂ© qu'il l'avait impliquĂ©e dans des activitĂ©s prĂ©tendument malhonnĂȘtes ».[15] AprĂšs l'arrestation de Radi, le mĂȘme site a publiĂ© une liste de plusieurs personnes prĂ©sentĂ©es comme son comitĂ© de soutien », accompagnĂ©e dâinsultes et dâallĂ©gations scandaleuses sur chacune d'elles. Le comitĂ© de soutien », qui ne s'Ă©tait jamais prĂ©sentĂ© comme tel, Ă©tait en fait un groupe informel Ă©changeant des informations sur lâaffaire de Radi, et discutant de stratĂ©gies de soutien dans un salon de discussion privĂ© sur l'application de messagerie cryptĂ©e Signal. De tels articles Ă scandale » dans des mĂ©dias sensationnalistes pourraient ĂȘtre dĂ©fendus, Ă la rigueur, comme une forme de discours protĂ©gĂ© par le droit Ă la libertĂ© dâexpression, dans un pays oĂč un large Ă©ventail de voix mĂ©diatiques s'Ă©panouiraient. Cependant, dans l'Ă©cosphĂšre mĂ©diatique fortement restreinte du Maroc, aucun mĂ©dia n'ose couvrir de cette maniĂšre les personnalitĂ©s puissantes du Makhzen. Seuls les opposants et ceux qui gravitent dans leur orbite sont ainsi pris pour cibles. De nombreux dĂ©tracteurs marocains des autoritĂ©s ont confiĂ© Ă Human Rights Watch que mĂȘme en l'absence de menaces judiciaires Ă leur encontre, la perspective d'ĂȘtre pris pour cibles dans des sites Web pro-Makhzen les dissuade de s'exprimer. Quand vous voyez votre nom et vos informations privĂ©es exposĂ©s lĂ -dedans, vous rĂ©flĂ©chissez Ă deux fois avant de reprendre position publiquement », a dĂ©clarĂ© l'un d'eux, demandant Ă rester anonyme. Le journaliste Hicham Mansouri, qui a obtenu l'asile en France aprĂšs avoir passĂ© dix mois en prison au Maroc pour adultĂšre, a dĂ©clarĂ© Ă un journal français en 2020 Il y a un climat d'inquisition. Ils connaissent tous nos dĂ©fauts, toutes nos faiblesses. Ils nous connaissent mieux que nous nous connaissons nous-mĂȘmes. Le but est que chacun de nous finisse par se considĂ©rer comme une cible potentielle. Sexe, drogue, alcool⊠s'ils ne trouvent rien, ils fabriqueront des accusations [contre vous]. » Surveillance des articles diffamatoires aux salles d'audience Plusieurs personnes ciblĂ©es ont indiquĂ© Ă Human Rights Watch que si la plupart des informations publiĂ©es Ă leur sujet dans les mĂ©dias pro-Makhzen Ă©taient fausses ou dĂ©formĂ©es, certaines d'entre elles Ă©taient vraies â et suffisamment prĂ©cises pour les amener Ă conclure qu'elles n'auraient pu ĂȘtre obtenues que par la surveillance, notamment de leurs communications Ă©lectroniques. Par exemple, un mois avant qu'un expĂ©diteur anonyme envoie des vidĂ©os filmĂ©es secrĂštement d'Abdelmoumni en situation intime avec sa partenaire aux parents et amis du couple, Barlamane avait publiĂ© une vidĂ©o dĂ©nonçant sans le nommer un activiste senior » qui [se dĂ©bauche] avec des jeunes filles dont il pourrait ĂȘtre le grand-pĂšre ». Abdelmoumni, auquel la mĂȘme vidĂ©o reproche, nommĂ©ment cette fois, son comportement d'adolescent rĂ©pugnant », Ă©tait alors ĂągĂ© de 62 ans. Sa partenaire dâalors, aujourd'hui son Ă©pouse, est une femme d'une trentaine d'annĂ©es. Les poursuites engagĂ©es contre Omar Radi pour partage de renseignements avec des entitĂ©s Ă©trangĂšres » ont Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©es de deux articles dans Chouf TV l'accusant d'ĂȘtre un espion ». Ces articles contenaient des informations spĂ©cifiques qui, selon Radi, ne pouvaient ĂȘtre obtenues qu'en surveillant ses e-mails et ses conversations sur WhatsApp. Bien que les informations en question soient anodines, elles ont ensuite Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©es par le tribunal comme une preuve de culpabilitĂ©. Dans une indication claire de leurs connexions avec la police, des mĂ©dias pro-Makhzen ont correctement prĂ©dit les dates d'arrestation d'opposants, alors quâils Ă©taient encore libres au moment de la parution de lâarticle. Par exemple, Chouf TV a annoncĂ© le 24 juillet 2020 qu'Omar Radi serait derriĂšre les barreaux d'ici le 29 juillet â date Ă laquelle la police l'a effectivement arrĂȘtĂ©. L'article a depuis Ă©tĂ© supprimĂ©, mais il est toujours disponible sur les archives Web.[16] Dans un autre cas, Chouf TV a publiĂ© le 17 mai 2020 un article Ă©galement supprimĂ© depuis, mais Ă©galement consultable dans les archives Web intitulĂ© Soulaiman Raissouni DerniĂšres rĂ©vĂ©lations avant destruction ». L'auteur y Ă©crivait, s'adressant au journaliste Les portes de l'enfer s'ouvriront [pour toi]... Nous cĂ©lĂ©brerons tous l'AĂŻd al-Fitr [une fĂȘte musulmane] un jour qui sera historique, et que tu ne vivras qu'une fois dans ta vie. »[17] Raissouni a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© dans la soirĂ©e du 22 mai, la veille de l'AĂŻd al-Fitr cette annĂ©e-lĂ . Chouf TV, vraisemblablement prĂ©venu du jour, de l'heure et du lieu de l'arrestation, Ă©tait lĂ pour la filmer.[18] Surveillance physique, intimidation, agressions Plusieurs opposants marocains interviewĂ©s par Human Rights Watch pour ce rapport ont indiquĂ© avoir Ă©tĂ© suivis, Ă pied ou par des inconnus dans des voitures banalisĂ©es, Ă divers moments et pendant de longues pĂ©riodes. Monjib a dĂ©clarĂ© que la surveillance physique intermittente faisait partie de sa vie depuis des annĂ©es. Pendant des semaines ou des mois, selon lui, diffĂ©rentes voitures l'ont suivi partout oĂč il allait, Ă Rabat et au-delĂ , ou Ă©taient stationnĂ©es devant chez lui 24 heures sur 24. Des chercheurs de Human Rights Watch ont Ă©tĂ© Ă©pisodiquement suivis par des inconnus dans des voitures banalisĂ©es Ă divers moments au cours des derniĂšres annĂ©es. En 2019, le concierge d'un immeuble de Casablanca a informĂ© un membre du personnel de Human Rights Watch, qui vivait alors dans l'immeuble, que deux policiers Ă©taient venus poser des questions sur lui et sur sa famille. Abdellatif Hamamouchi, un proche collaborateur de Monjib et membre de l'Association marocaine des droits de l'homme, le groupe de dĂ©fense des droits humains le plus important au Maroc, a Ă©crit sur Facebook le 26 avril 2021 Depuis plus de trois mois, une voiture avec deux ou trois passagers est garĂ©e prĂšs de chez moi Ă TĂ©mara [prĂšs de Rabat]. Cette voiture me suit partout oĂč je vais [âŠ] mĂȘme quand je suis dans une autre ville. Chose Ă©trange la mĂȘme voiture, et le mĂȘme chauffeur, suivaient le professeur Maati Monjib ou se garaient devant chez lui jusqu'Ă son arrestation. La mĂȘme voiture a apparemment Ă©tĂ© chargĂ©e de me surveiller, jusqu'Ă aujourd'hui.[19] Le 16 juillet 2014, un autre collĂšgue de Monjib, le journaliste et militant la libertĂ© d'expression Hicham Mansouri, a Ă©tĂ© agressĂ© dans une rue de Rabat. Vers 21h30, peu aprĂšs que Mansouri ait quittĂ© Monjib, deux inconnus sont sortis d'une voiture aux vitres teintĂ©es et lâont violemment passĂ© Ă tabac, mĂȘme aprĂšs qu'il soit tombĂ© au sol, avant de sauter dans leur voiture et de sâenfuir. Mansouri a Ă©tĂ© transportĂ© aux dâurgences, prĂ©sentant de multiples ecchymoses sur le visage et le corps. AprĂšs quâil a portĂ© plainte pour voies de fait, la police a dĂ©clarĂ© avoir menĂ© une enquĂȘte, mais l'a finalement classĂ©e faute de preuves. Le 7 juillet 2019, le journaliste Omar Radi conduisait sa voiture vers minuit Ă Ain Sebaa, une banlieue de Casablanca, lorsqu'une dizaine d'hommes ont surgi d'un coin sombre et ont attaquĂ© sa voiture Ă coups de bĂąton, de pierres et de briques, a racontĂ© Radi Ă Human Rights Watch. Les agresseurs ont brisĂ© la vitre avant du cĂŽtĂ© passager, avant que Radi ne parvienne finalement Ă fuir la scĂšne. Human Rights Watch a consultĂ© des photos montrant les lourds dĂ©gĂąts infligĂ©s au vĂ©hicule. Le lendemain matin, Radi s'est rendu Ă un poste de police prĂšs de la scĂšne de l'incident et a dĂ©posĂ© plainte. Un policier a promis une enquĂȘte, a fourni Ă Radi un reçu avec un tampon de police et un numĂ©ro de dossier, et lui a dit d'utiliser ce numĂ©ro pour suivre lâavancement de sa plainte au tribunal d'Ain Sebaa. Des mois plus tard, l'avocat de Radi s'est rendu au tribunal pour voir oĂč en Ă©tait la plainte. Il a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que le numĂ©ro de sĂ©rie indiquĂ© sur le reçu Ă©tait faux et ne concernait aucun dossier judiciaire existant. En aoĂ»t 2019, la police a arrĂȘtĂ© Hajar Raissouni devant le cabinet de son gynĂ©cologue, sur la base de soupçons qu'elle venait de subir un avortement illĂ©gal. Le mĂȘme jour, un procureur a dĂ©clarĂ© par communiquĂ© que l'arrestation de la journaliste nâĂ©tait survenue que fortuitement, parce que le cabinet de gynĂ©cologie Ă©tait sous surveillance policiĂšre dans le cadre d'une enquĂȘte â lĂ©galement mandatĂ©e â sur des activitĂ©s illĂ©gales que le cabinet abriterait. Cependant, Raissouni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que lors d'une sĂ©ance d'interrogatoire dans un poste de police plus tard dans la mĂȘme journĂ©e, des agents de police lui ont fourni des dĂ©tails sur sa relation avec son fiancĂ© de l'Ă©poque. Les dĂ©tails Ă©taient aussi prĂ©cis que les dates et les heures auxquelles Raissouni Ă©tait venue Ă l'appartement de son fiancĂ© pour promener son chien, et mĂȘme le nom du chien. Raissouni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que ces informations n'auraient pu ĂȘtre obtenues que par la surveillance physique ou Ă©lectronique d'elle et de son fiancĂ©. En dĂ©cembre 2019, la sĆur du militant des droits humains Fouad Abdelmoumni a reçu un appel d'un individu se prĂ©sentant comme de la police, l'informant Ă tort qu'Abdelmoumni et une femme avec laquelle [ils] l'ont surpris » avaient Ă©tĂ© emprisonnĂ©s. Abdelmoumni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch qu'il a interprĂ©tĂ© cet appel comme un geste destinĂ© Ă l'intimider par le biais de sa famille. En fĂ©vrier 2019, Ouahiba Khourchech, une policiĂšre qui avait Ă©tĂ© harcelĂ©e pendant des mois par des agents de sĂ©curitĂ© prĂ©sumĂ©s aprĂšs quâelle ait portĂ© plainte pour harcĂšlement sexuel contre son supĂ©rieur hiĂ©rarchique, a Ă©tĂ© abordĂ©e par deux inconnus dans une rue de Casablanca, qui lui ont dit Ta fille [ils ont mentionnĂ© le nom de l'enfant de 6 ans] est morte, tu ne la reverras jamais », avant de sâĂ©loigner. Khourchech a immĂ©diatement appelĂ© sa mĂšre, chez qui se trouvait l'enfant, pour vĂ©rifier qu'elles allaient bien. Toutes deux Ă©taient en sĂ©curitĂ©. Maati Monjib a indiquĂ© Ă Human Rights Watch quâen juillet et septembre 2014, des inconnus qui marchaient derriĂšre lui dans les rues de Rabat l'ont menacĂ© de violences physiques s'il ne cessait ses critiques contre l'Ătat, avant de s'Ă©loigner rapidement. La deuxiĂšme fois, a dĂ©clarĂ© Monjib, lâhomme lui a dit Si tu ne te tais pas, Daech sâoccupera de toi. » Des proches pris pour cibles Hajar Raissouni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch quâau cours de son interrogatoire policier en aoĂ»t 2019, la plupart des questions ne portaient pas sur les crimes qu'elle Ă©tait soupçonnĂ©e d'avoir commis â relations sexuelles hors mariage et avortement â mais concernaient plutĂŽt ses deux oncles, le savant religieux Ahmed Raissouni et le journaliste Soulaiman Raissouni, tous deux considĂ©rĂ©s des dĂ©tracteurs rĂ©putĂ©s du system monarchique. Hajar Raissouni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch qu'elle pensait que son ciblage n'Ă©tait pas une rĂ©ponse Ă sa supposĂ©e mauvaise conduite, mais plutĂŽt un moyen pour les autoritĂ©s de s'en prendre Ă sa famille. Raissouni a ensuite Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă un an de prison pour relations sexuelles hors mariage et avortement illĂ©gal, ce qu'elle avait niĂ© avoir commis. Le roi Mohammed VI lâa graciĂ©e quarante-cinq jours plus tard, Ă la suite d'un tollĂ© des organisations marocaines de dĂ©fense des droits humains et de la communautĂ© internationale. En octobre 2020, Chouf TV a citĂ© le nom de la compagne de Fouad Abdelmoumni, aprĂšs qu'ils aient Ă©tĂ© filmĂ©s clandestinement en situation intime chez lui. Le site web a stigmatisĂ© la femme pour avoir eu des relations sexuelles extraconjugales et a nommĂ©ment mentionnĂ© certains membres de sa famille, apparemment pour les embarrasser Ă leur tour. Chouf TV a Ă©galement prĂ©tendu en fĂ©vrier 2021 que la mĂšre d'un journaliste dissident basĂ© en France avait Ă©tĂ© victime de chantage Ă la sextape par ses amants ». Les noms du journaliste et de sa mĂšre ont Ă©tĂ© mentionnĂ©s dans l'article. Le mĂȘme site Web a allĂ©guĂ© en juin 2020, et plusieurs fois ensuite, qu'un dĂ©fenseur des droits humains avait engendrĂ© un enfant illĂ©gitime » c'est-Ă -dire un enfant conçu en dehors du mariage, ce qui est considĂ©rĂ© comme un crime selon la loi marocaine avec une autre militante des droits humains. Le site Web a publiĂ© les noms intĂ©graux de l'homme, de la femme ainsi que de l'enfant. En juillet 2020, une Ă©quipe de tournage de Chouf TV s'est rendue dans un lieu rural au Maroc afin dây interviewer un agriculteur, qui est le pĂšre d'une journaliste dissidente. Ă un moment donnĂ©, l'intervieweur a demandĂ© Ă l'homme ce qu'il ferait s'il apprenait que sa fille avait eu des relations sexuelles sans ĂȘtre mariĂ©e. L'agriculteur a rĂ©pondu qu'une telle situation serait une catastrophe » et qu'elle ne serait plus [sa] fille et [il] la rayerait du livret de famille ». Quelques jours plus tard, Chouf TV a publiĂ© un article nommant la journaliste et affirmant qu'elle avait eu des relations sexuelles avec un militant des droits humains, faisant rĂ©fĂ©rence aux dĂ©clarations prĂ©cĂ©dentes de son pĂšre. Auparavant, et par la suite, Chouf TV ainsi que d'autres mĂ©dias pro-Makhzen ont publiĂ© de nombreux articles fustigeant la vie privĂ©e de la journaliste. Elle vit maintenant en France et n'est pas retournĂ©e au Maroc depuis 2018 car elle a peur de revenir aprĂšs cette campagne de lynchage », a-t-elle confiĂ© Ă Human Rights Watch. Afin dâĂ©viter que les personnes mentionnĂ©es dans les deux paragraphes prĂ©cĂ©dents ne soient davantage stigmatisĂ©es, Human Rights Watch les a anonymisĂ©s et s'est abstenu de publier des liens vers les articles et vidĂ©os en question. En 2010, les entrepreneurs Nasser Ziane et Nabil Nouaydi, fils d'avocats de renom critiques Ă l'Ă©gard des autoritĂ©s, ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et poursuivis sur la base de diverses accusations, dont contrefaçon de marque ». Les deux hommes ont Ă©tĂ© maintenus en dĂ©tention provisoire pendant six mois sans justification dĂ©taillĂ©e, puis reconnus coupables Ă l'issue d'un procĂšs. Ziane a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă trois ans de prison et Nouaydi Ă dix mois. Nasser Ziane est le fils de l'avocat Mohamed Ziane, que les autoritĂ©s ont harcelĂ© pendant des annĂ©es aprĂšs quâil ait dĂ©fendu des opposants cĂ©lĂšbres, dont le leader de la contestation du Rif Nasser Zefzafi et le patron de presse Taoufik Bouachrine, respectivement condamnĂ©s Ă 20 et 15 ans de prison. Nabil Nouaydi est le fils d'Abdelaziz Nouaydi, un Ă©minent avocat des droits humains au Maroc qui a dĂ©fendu de nombreux dĂ©tracteurs de l'Ătat, et qui a Ă©galement Ă©tĂ© membre du comitĂ© consultatif Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. Lors dâentretiens sĂ©parĂ©s avec Human Rights Watch, les avocats Nouaydi et Ziane ont dĂ©clarĂ© qu'ils soupçonnaient que les arrestations et les procĂšs de leurs fils constituaient des reprĂ©sailles contre leurs propres positions politiques, et un moyen indirect de faire pression sur eux afin qu'ils cessent, ou mettent en sourdine, leur opposition au rĂ©gime. Les finances prises pour cible En mars 2020, le gouvernement marocain a ordonnĂ© aux journaux de cesser d'imprimer et de distribuer des copies papier afin de limiter les interactions sociales dans le cadre de la lutte contre la pandĂ©mie de Covid-19, et a créé un fonds de compensation pour payer les salaires des journalistes.[20] Des centaines de journalistes au Maroc, dont ceux du quotidien critique Akhbar Al-Yaoum, ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de ce mĂ©canisme jusqu'en octobre 2020. Ce mois-lĂ , le fonds a stoppĂ© les versements de salaires des journalistes dâAkhbar Al-Yaoum, tout en continuant a payer tous les autres.[21] Le gouvernement n'a jamais expliquĂ© cette discrimination ni rĂ©tabli les salaires. CombinĂ© Ă un boycott publicitaire menĂ© par l'Ătat, et aprĂšs une dĂ©cennie de harcĂšlement du journal â notamment l'emprisonnement de son patron Taoufik Bouachrine ainsi que la dĂ©tention du rĂ©dacteur en chef Soulaiman Raissouni â cet arrĂȘt inexpliquĂ© des salaires a Ă©tĂ© le coup de grĂące financier contre Akhbar Al-Yaoum.[22] Le quotidien a annoncĂ© sa fermeture le 14 mars 2021.[23] En 2018, le ministĂšre de l'Agriculture a accordĂ© au dĂ©fenseur des droits humains Fouad Abdelmoumni une subvention d'investissement d'environ 30 000 dollars US pour dĂ©velopper des activitĂ©s agricoles et d'Ă©levage dans une ferme qu'il possĂšde prĂšs de Rabat. Environ deux ans plus tard, l'argent n'avait toujours pas Ă©tĂ© versĂ© sur le compte bancaire d'Abdelmoumni. Ce dernier a relancĂ© le ministĂšre de l'Agriculture Ă de multiples reprises, y compris par Ă©crit, et en effectuant 13 visites en personne au siĂšge du ministĂšre. Mais personne n'a jamais rĂ©pondu Ă ses lettres, ni acceptĂ© de le recevoir ou dâexpliquer pourquoi il nâavait pas reçu sa subvention. En avril 2022, Abdelmoumni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch quâil n'avait toujours pas reçu l'argent. Conclusion Comme nous venons de le voir, le manuel » des autoritĂ©s marocaines pour museler lâopposition comprend des techniques multiples, variĂ©es et toujours agressives. Certaines de ces techniques, telle que la vidĂ©osurveillance dissimulĂ©e dans des domiciles privĂ©s, les agressions physiques contre des personnes ciblĂ©es, ou les actes d'intimidation contre elles ou leurs proches, sont difficiles Ă attribuer directement Ă des agents de l'Ătat. D'autres techniques du manuel, notamment les campagnes de diffamation contre les opposants sur des sites Web pro-Makhzen, sont sans doute indĂ©centes et contraires Ă l'Ă©thique et la dĂ©ontologie, mais pas forcĂ©ment illĂ©gales au regard de la loi marocaine. Il est Ă©galement difficile de prouver que l'Ătat est directement impliquĂ© dans de telles campagnes. Cependant, Ă en juger par le contenu que ces sites publient, ils semblent totalement alignĂ©s sur les services de sĂ©curitĂ© marocains, et parfois mĂȘme travailler en tandem avec eux. Cette conclusion est Ă©galement Ă©tayĂ©e par ce qu'ils ne publient pas â ils ne sâattaquent jamais aux puissants responsables du Makhzen. Quant aux affaires qui finissent dans des tribunaux ou en prison, certaines sont fondĂ©es sur des accusations criminelles graves et identifiables, qui justifient une sanction lorsque la culpabilitĂ© est suffisamment prouvĂ©e lors d'un procĂšs Ă©quitable. Cependant, comme le montre ce rapport, les procĂšs en question sont entachĂ©s, depuis les arrestations des suspects jusqu'aux verdicts prononcĂ©s Ă leur encontre, par de multiples violations des garanties d'une procĂ©dure rĂ©guliĂšre et d'un procĂšs Ă©quitable. Il existe d'autres cas oĂč les accusations elles-mĂȘmes sont intrinsĂšquement contraires aux droits humains et n'auraient jamais dĂ» ĂȘtre portĂ©es dĂšs le dĂ©part, quels que soient les faits. Toutes ces techniques se combinent et se complĂštent pour constituer ce quâon peut dĂ©crire comme un Ă©cosystĂšme rĂ©pressif, visant non seulement Ă museler les individus ou les mĂ©dias jugĂ©s gĂȘnants, mais au-delĂ , Ă faire peur Ă tout le monde, dissuadant ainsi de maniĂšre prĂ©ventive tous ceux qui pourraient ĂȘtre tentĂ©s de critiquer lâĂtat. Ainsi, le manuel » n'est pas seulement une liste de techniques de rĂ©pression au Maroc. C'est en fait une mĂ©thodologie complĂšte pour faire taire toute opposition. Recommandations Aux autoritĂ©s marocaines Les autoritĂ©s marocaines devraient respecter le droit Ă l'expression pacifique et Ă la vie privĂ©e, et mettre fin Ă l'utilisation systĂ©matique d'une sĂ©rie de pratiques visant Ă museler et Ă intimider les dissidents, tout en dĂ©guisant le fait qu'il s'agit en fait de reprĂ©sailles pour leurs propos ou leurs activitĂ©s dâopposants. Les autoritĂ©s devraient mettre fin Ă lâutilisation des mĂ©thodes utilisĂ©es contre les journalistes critiques, les dĂ©fenseurs des droits humains et les activistes de la sociĂ©tĂ© civile, Ă savoir Campagnes orchestrĂ©es d'atteinte Ă la personnalitĂ© et de violation de la vie privĂ©e sur des sites d' actualitĂ©s » qui soutiennent systĂ©matiquement les autoritĂ©s et se spĂ©cialisent dans la calomnie des dissidents ; Surveillance des dissidents, notamment par des filatures, lâinstallation apparente de camĂ©ras vidĂ©o dans leurs demeures ou bureaux privĂ©s, lâinfection apparente de leurs smartphones par des logiciels espions ; Attaques physiques contre des dissidents ou contre leurs biens personnels ; Ciblage des membres des familles des dissidents par des actions policiĂšres ou judiciaires abusives ; EnquĂȘtes financiĂšres apparemment motivĂ©es par des considĂ©rations politiques contre des dissidents ou autres mesures administratives injustes affectant leurs finances. Les plus hautes autoritĂ©s exĂ©cutives du Maroc devraient rĂ©former les agences de sĂ©curitĂ© et de renseignement du pays, de maniĂšre Ă les soumettre Ă un contrĂŽle indĂ©pendant, et garantir la transparence de ce contrĂŽle et de leurs opĂ©rations, conformĂ©ment aux normes internationales de droits humains. Les recommandations que nous formulons ci-dessous, si elles sont mises en Ćuvre, n'empĂȘcheront pas les autoritĂ©s marocaines de poursuivre tout individu pour lequel il existe des preuves crĂ©dibles et convaincantes qu'il ait commis une infraction largement reconnue comme un acte criminel vĂ©ritable. Au Parlement du Maroc Plusieurs lois marocaines violent intrinsĂšquement le droit international des droits humains, notamment les droits Ă la libertĂ© d'expression, Ă la vie privĂ©e, Ă la santĂ© et Ă la non-discrimination, garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques PIDCP, que le Maroc a ratifiĂ© en 1979, et par la Convention sur l'Ă©limination de toutes les formes de discrimination Ă l'Ă©gard des femmes que le Maroc a ratifiĂ©e en 1993. Le parlement marocain devrait Abroger l'article 489 du code pĂ©nal, qui interdit les relations homosexuelles consenties entre adultes et les soumet Ă des peines de prison Abroger l'article 490 du code pĂ©nal, qui interdit les relations sexuelles consenties entre adultes non mariĂ©s et les soumet Ă des peines de prison Abroger l'article 491 du code pĂ©nal, qui interdit les relations adultĂšres entre adultes mariĂ©s Ă d'autres personnes et les soumet Ă des peines de prison DĂ©pĂ©naliser complĂštement l'avortement, notamment en abrogeant l'article 454 du code pĂ©nal qui criminalise l'obtention intentionnelle d'un avortement ». D'autres lois marocaines sont formulĂ©es de maniĂšre trop vague et risquent ainsi d'ĂȘtre utilisĂ©es pour criminaliser des actes qui ne devraient pas l'ĂȘtre, notamment les actes d'expression pacifique. La formulation vague de ces lois ouvre la porte Ă des interprĂ©tations arbitraires par les juges, empĂȘchant une personne dâanticiper raisonnablement quels actes seront considĂ©rĂ©s comme des crimes. Le parlement marocain devrait Modifier l'article 191 du code pĂ©nal, qui interdit de porter atteinte Ă la sĂ»retĂ© extĂ©rieure de l'Ătat en entretenant avec les agents d'une autoritĂ© Ă©trangĂšre des intelligences ayant pour objet ou ayant eu pour effet de nuire Ă la situation militaire ou diplomatique du Maroc ». L'article 191 devrait ĂȘtre modifiĂ© de maniĂšre Ă dĂ©finir le crime d'espionnage d'une maniĂšre plus Ă©troite et prĂ©cise conforme au droit international ainsi quâĂ ses normes ; Abolir ou modifier l'article 206 du code pĂ©nal, qui interdit de porter atteinte Ă la sĂ»retĂ© intĂ©rieure de l'Ătat en recevant une rĂ©munĂ©ration d'une entitĂ© Ă©trangĂšre pour une activitĂ© ou une propagande de nature Ă Ă©branler la fidĂ©litĂ© que les citoyens doivent Ă l'Ătat et aux institutions du peuple marocain. » Sâil est modifiĂ©, la nouvelle version de cet article devrait dĂ©finir l'atteinte Ă la sĂ»retĂ© intĂ©rieure de l'Ătat » d'une maniĂšre Ă©troite et prĂ©cise conforme au droit international ainsi quâĂ ses normes. Les dĂ©lits dâexpression non violente sont toujours criminalisĂ©s au Maroc, en vertu du code de la presse ou du code pĂ©nal, d'une maniĂšre qui est contraire aux obligations du Maroc de respecter la libertĂ© d'expression en vertu du PIDCP. Le parlement marocain devrait Abroger les lois sur l'atteinte au rĂ©gime monarchique et Ă la religion islamique code pĂ©nal article 267-5 et code de la presse article 71, sur la diffamation, lâinsulte ou lâoffense envers la vie privĂ©e de la personne du Roi ou envers la personne de lâHĂ©ritier du TrĂŽne ou des membres de la famille royale ou la violation du respect dĂ» au Roi article 179 du code pĂ©nal, tel que rĂ©visĂ© en 2016, article 71 du code de la presse, sur l'outrage envers les corps constituĂ©s article 265 du code pĂ©nal. Tout au moins, le Parlement devrait abolir les peines de prison que le code pĂ©nal impose comme une des peines possibles pour ces infractions. Pour les infractions du code pĂ©nal et de la presse qui dĂ©coulent de critĂšres de restriction d'expression que le PIDCP autorise en vertu des articles 193 et 20, le Parlement devrait affiner et clarifier la dĂ©finition de chaque infraction afin que 1 elle soit formulĂ©e avec suffisamment de prĂ©cision pour permettre au citoyen de rĂ©guler sa conduite et 2 elle soit dĂ©finie de maniĂšre Ă©troite afin de rĂ©pondre Ă un besoin nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, comme l'interdiction de l'incitation Ă la violence, tel que spĂ©cifiĂ© dans le Plan dâaction de Rabat des Nations Unies.[24] Les infractions qui doivent ĂȘtre prĂ©cisĂ©es et clarifiĂ©es sont les suivantes Incitation Ă lâencontre de l'intĂ©gritĂ© territoriale article 267-5 du Code pĂ©nal et article 71 du Code de la presse si le Maroc devait retenir un dĂ©lit dâexpression relatif Ă l'incitation Ă lâencontre de l'intĂ©gritĂ© territoriale », les lĂ©gislateurs devraient le dĂ©finir avec suffisamment de prĂ©cision pour qu'il ne s'applique qu'aux propos qui constituent une incitation Ă recourir Ă la violence ou Ă la force physique, et exclut clairement le plaidoyer pacifique pour l'autodĂ©termination du Sahara Occidental, Outrage Ă un agent de l'Ătat dans l'exercice de ses fonctions article 263 du Code pĂ©nal et article 72 du Code de la presse les lĂ©gislateurs devraient soit abolir cette infraction, soit la redĂ©finir afin que les restrictions qu'elle impose Ă la libertĂ© d'expression soient Ă la fois nĂ©cessaires et proportionnĂ©es pour protĂ©ger contre les menaces rĂ©elles Ă l'ordre public, et ne puissent pas ĂȘtre utilisĂ©es pour punir les critiques protĂ©gĂ©es et pacifiques des agents de lâĂtat et des institutions publiques, aussi virulentes soient-elles, Propos qui jettent le discrĂ©dit sur les dĂ©cisions juridictionnelles et qui sont de nature Ă porter atteinte Ă l'autoritĂ© de la justice ou Ă son indĂ©pendance article 266 du Code pĂ©nal les lĂ©gislateurs devraient soit abolir l'article 266, soit le modifier afin de s'assurer que toute restriction Ă la parole liĂ©e Ă la justice soit Ă la fois nĂ©cessaire et proportionnĂ©e pour protĂ©ger le pouvoir judiciaire contre toute ingĂ©rence dans son indĂ©pendance. L'article rĂ©visĂ© devrait protĂ©ger le droit de critiquer et de commenter les verdicts des tribunaux et le systĂšme judiciaire en tant qu'institution, en totalitĂ© ou en partie, tant que les propos ne constituent pas une tentative dĂ©libĂ©rĂ©e et crĂ©dible d'influencer un verdict du tribunal depuis l'extĂ©rieur de la salle d'audience. Aux Parquets du Maroc Jusqu'Ă ce que le Parlement abolisse les lois incompatibles avec les normes internationales protĂ©geant le droit Ă la libertĂ© d'expression, ou jusqu'Ă ce que la Cour constitutionnelle se soit prononcĂ©e sur la conformitĂ© de ces lois avec les protections constitutionnelles de ce droit, les autoritĂ©s judiciaires devraient s'abstenir de poursuivre en vertu de ces lois des personnes ayant exprimĂ© leurs opinions de façon non violente. Les procureurs marocains devraient s'abstenir d'inclure des informations personnelles, notamment des informations sur la santĂ©, la sexualitĂ© et les finances personnelles des individus, dans leurs communications publiques sur les affaires jugĂ©es devant les tribunaux, mĂȘme si ces informations sont pertinentes pour les affaires judiciaires en question ; les tribunaux peuvent discuter de ces informations dans les salles d'audience dans la mesure oĂč elles sont pertinentes pour les affaires jugĂ©es. Les parquets du Maroc devraient enquĂȘter et agir sur les rapports de surveillance illĂ©gale de journalistes, de militants politiques et de dĂ©fenseurs des droits humains afin de garantir que leur droit Ă la libertĂ© d'expression, de rĂ©union pacifique et d'association soit respectĂ© et protĂ©gĂ©. Ils devraient ouvrir une enquĂȘte indĂ©pendante plus large sur l'utilisation de logiciels de surveillance et d'intrusion sur Internet au Maroc, afin d'Ă©valuer leur conformitĂ© avec les obligations nationales et internationales du Maroc en matiĂšre de droits humains, et rendre publiques toutes les conclusions liĂ©es Ă l'enquĂȘte susmentionnĂ©e. Aux autoritĂ©s judiciaires marocaines Les tribunaux marocains sont complices de ces abus en violant les droits Ă une procĂ©dure rĂ©guliĂšre des accusĂ©s pris dans ce rĂ©seau de rĂ©pression et en les condamnant Ă l'issue de procĂšs inĂ©quitables. Les autoritĂ©s judiciaires marocaines devraient Garantir un procĂšs Ă©quitable Ă toute personne comparaissant devant un tribunal, notamment les dissidents et autres dĂ©tracteurs de la monarchie et des politiques de l'Ătat ; Respecter l'Ă©galitĂ© des armes », le principe selon lequel la dĂ©fense et l'accusation disposent d'un juste Ă©quilibre dans leurs possibilitĂ©s de prĂ©senter leurs arguments, lors de tous les procĂšs, notamment ceux des dissidents, et dâexaminer les tĂ©moins et les preuves Ă charge ; Mettre fin aux dĂ©tentions prĂ©ventives prolongĂ©es Ă moins qu'elles ne soient motivĂ©es par une justification Ă©crite et individualisĂ©e de la part du tribunal, et soumises Ă des examens judiciaires rapides et rĂ©guliers par un tribunal indĂ©pendant de celui qui a ordonnĂ© la dĂ©tention. La dĂ©tention provisoire devrait ĂȘtre une exception et non la rĂšgle ; Lever les obstacles imposĂ©s par les tribunaux Ă l'obtention par les accusĂ©s de l'accĂšs Ă l'intĂ©gralitĂ© de leurs propres dossiers judiciaires dĂšs que possible ; Mettre fin Ă la pratique consistant Ă ne pas informer dĂ»ment les accusĂ©s avant les sessions de leurs propres affaires judiciaires ; Mettre fin Ă la pratique consistant Ă rejeter les requĂȘtes de la dĂ©fense visant Ă prĂ©senter des preuves et des tĂ©moins, tant que ces preuves et ces tĂ©moins sont potentiellement pertinents pour dĂ©terminer la culpabilitĂ© ou l'innocence des accusĂ©s ; Autoriser les avocats de la dĂ©fense Ă contre-interroger les tĂ©moins Ă charge ou tiers lorsque leur tĂ©moignage peut potentiellement ĂȘtre utilisĂ© par le tribunal pour dĂ©terminer la culpabilitĂ© des accusĂ©s ; Mettre fin Ă la pratique consistant Ă faire pression et Ă intimider les individus pour qu'ils tĂ©moignent contre les accusĂ©s. Ă l'Union europĂ©enne et Ă ses Ătats membres, et aux autres alliĂ©s Ă©trangers du Maroc dont les Ătats-Unis et le Royaume Uni DĂ©noncer publiquement le manuel de techniques rĂ©pressives des autoritĂ©s marocaines et exhorter ces autoritĂ©s Ă mettre fin au harcĂšlement de leurs dĂ©tracteurs prĂ©sumĂ©s, et Ă respecter leurs obligations internationales en matiĂšre de droits humains, comme le demande l'article 2 de l'accord d'association UE-Maroc qui conditionne l'aide europĂ©enne au respect des principes dĂ©mocratiques et des droits fondamentaux de lâhomme, tels quâĂ©noncĂ©s dans la DĂ©claration universelle des droits de l'homme » par le Maroc. [25] Cela commence par connecter des actes apparemment isolĂ©s en les reconnaissant comme des Ă©lĂ©ments d'un manuel de techniques de rĂ©pression, et en brisant le silence Ă ce sujet, en allant au-delĂ des de timides dĂ©clarations officielles. Exprimer et apporter un soutien aux activistes et journalistes marocains, conformĂ©ment aux Lignes directrices de l'UE en matiĂšre de droits de lâhomme sur la libertĂ© d'expression, ainsi quâaux dĂ©fenseurs des droits humains, conformĂ©ment au Plan d'action de l'UE en faveur des droits de lâhomme et de la dĂ©mocratie.[26] Par le biais des reprĂ©sentations diplomatiques, surveiller de prĂšs l'utilisation des accusations pĂ©nales de droit commun contre les opposants et les professionnels des mĂ©dias critiques ; Exhorter le Maroc Ă veiller Ă ce que toutes les personnes faisant l'objet d'accusations pĂ©nales, notamment les opposants, bĂ©nĂ©ficient de leur droit Ă une procĂ©dure rĂ©guliĂšre tout au long du processus judiciaire ; Faire pression sur le Maroc pour qu'il permette Ă tous les mĂ©dias de couvrir de façon libre et critique tous les sujets d'intĂ©rĂȘt public ; Rechercher des informations sur les cas impliquant des opposants marocains auprĂšs de diverses sources, notamment des acteurs indĂ©pendants et crĂ©dibles de la sociĂ©tĂ© civile ; Lorsque cela est possible, envoyer des observateurs pour observer les procĂšs et critiquer publiquement les violations des droits Ă une procĂ©dure rĂ©guliĂšre et les verdicts fondĂ©s sur des preuves douteuses ; Lorsque les preuves le justifient, informer les autoritĂ©s marocaines, notamment par le biais de dĂ©clarations publiques, que les accusations pĂ©nales formulĂ©es contre les dissidents sont considĂ©rĂ©es comme douteuses et politiquement motivĂ©es. Aux pays Ă©trangers exportant des technologies de surveillance vers le Maroc ArrĂȘter toutes opĂ©rations de vente, exportation et transfert de toutes technologies de surveillance au Maroc, dans l'attente des rĂ©sultats d'une enquĂȘte sur les rapports de surveillance illĂ©gale d'Internet, d'intrusion de logiciels et d'autres formes de surveillance numĂ©rique des journalistes, des activistes politiques et des dĂ©fenseurs des droits humains, et veiller Ă ce qu'il y ait des contrĂŽles appropriĂ©s pour empĂȘcher lâutilisation des produits de l'industrie de la surveillance privĂ©e pour faciliter les violations de droits humains. MĂ©thodologie Ce rapport examine huit cas de harcĂšlement policier et/ou judiciaire visant des dissidents marocains connus, et deux cas visant des institutions mĂ©diatiques indĂ©pendantes. En plus des huit cibles individuelles principales, ces cas impliquent Ă©galement une vingtaine de cibles secondaires » des membres de la famille, des associĂ©s, des collĂšgues, des tĂ©moins de la dĂ©fense dans des affaires judiciaires et des personnes autrement liĂ©es aux cibles principales. Douze procĂšs devant des tribunaux marocains ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s en dĂ©tail dans le cadre de ce rapport. Entre septembre 2019 et fĂ©vrier 2022, Human Rights Watch sâest entretenu avec 89 personnes Ă l'intĂ©rieur et Ă l'extĂ©rieur du Maroc 25 dĂ©fenseurs des droits humains et activistes sociaux et politiques, 21 avocats, 18 journalistes, 15 personnes victimes de harcĂšlement policier ou judiciaire au Maroc, sept membres des familles et amis proches des personnes ciblĂ©es, et trois tĂ©moins dans des procĂšs dâactivistes. Les entretiens se sont dĂ©roulĂ©s en personne ou par le biais dâapplications de messagerie, et dans quelques rares cas par tĂ©lĂ©phone. Les recherches pour ce rapport ont Ă©tĂ© menĂ©es pendant la pandĂ©mie de Covid-19, en prenant des prĂ©cautions pour limiter le risque de transmission. Toutes les personnes interrogĂ©es nommĂ©es dans ce rapport ont Ă©tĂ© informĂ©es du but de leur entretien, de la maniĂšre dont les informations seraient utilisĂ©es, et se sont vu proposer l'anonymat dans notre rapport. Ce rapport sâabstient de divulguer certaines informations qui permettraient l'identification de certaines personnes interrogĂ©es, Ă leur demande ou Ă l'initiative de Human Rights Watch, afin de protĂ©ger leur vie privĂ©e et leur sĂ©curitĂ©. Aucune des personnes interrogĂ©es n'a reçu de compensation financiĂšre ou autre pour sâĂȘtre entretenue avec nous. Human Rights Watch a Ă©galement assistĂ© Ă 19 audiences de procĂšs de divers dissidents Ă Casablanca et Ă Rabat, examinĂ© des centaines de pages de dossiers judiciaires et lu des centaines d'articles de presse ainsi que d'autres textes, notamment des communiquĂ©s officiels de procureurs marocains et d'autres autoritĂ©s. Le 1er avril 2022, Human Rights Watch a envoyĂ© des courriers Ă©lectroniques aux sites Web et leur demandant de rĂ©pondre aux allĂ©gations selon lesquelles ils travaillent en coordination avec les services de sĂ©curitĂ© marocains, ainsi quâĂ d'autres questions connexes. Human Rights Watch a reçu une rĂ©ponse de la part de Le360 le 14 avril. A lâheure oĂč ce rapport passe sous presse, Human Rights Watch n'a toujours pas reçu de rĂ©ponse des deux autres sites Web. Contexte Un systĂšme judiciaire sous contrĂŽle Lâarticle 107 de la constitution marocaine de 2011 stipule que Le pouvoir judiciaire est indĂ©pendant du pouvoir lĂ©gislatif et du pouvoir exĂ©cutif. » Cependant, cet article est contredit par le fonctionnement du Conseil SupĂ©rieur du Pouvoir Judiciaire. Cet organe officiel, que la constitution a créé et chargĂ© de l'application des garanties accordĂ©es aux magistrats, notamment quant Ă leur indĂ©pendance », est prĂ©sidĂ© par le roi, qui n'est pas un chef d'Ătat cĂ©rĂ©moniel, mais plutĂŽt le dirigeant exĂ©cutif effectif du Maroc. [27] Toutes les dĂ©cisions du Conseil relatives Ă la carriĂšre des magistrats sont Ă©dictĂ©es par des dahirs dĂ©crets royaux inattaquables en justice et ne pouvant faire l'objet d'aucun recours. Toutes les dĂ©cisions de justice au Maroc sont prises au nom de Sa MajestĂ© le Roi », dont le portrait est accrochĂ© dans toutes les salles d'audience derriĂšre l'estrade oĂč siĂšgent les juges. Dans ses articles 65 Ă 78, la Constitution confie au Conseil SupĂ©rieur du Pouvoir Judiciaire le pouvoir exclusif de nommer, transfĂ©rer, promouvoir et sanctionner les magistrats. L'article 115 de la Constitution donne au roi le pouvoir de nommer la moitiĂ© des membres du Conseil. Si l'autre moitiĂ© sont des magistrats Ă©lus, leur carriĂšre, de leur nomination Ă leur rĂ©vocation, est Ă©galement contrĂŽlĂ©e par ce mĂȘme Conseil et in fine, par le roi. En 2009, le juge Jaafar Hassoune, l'initiateur d'une Ă©phĂ©mĂšre Association marocaine de dĂ©fense de l'indĂ©pendance de la magistrature » qui a ouvertement dĂ©noncĂ© le manque d'indĂ©pendance des tribunaux marocains et expliquĂ© ses mĂ©canismes Ă la presse, a Ă©tĂ© limogĂ© de la magistrature et empĂȘchĂ© de passer lâexamen du barreau pour devenir avocat. Dans un portrait de Hassoune intitulĂ© Au Maroc, la rĂ©volte dâun juge » publiĂ© en 2009, le journal français Le Monde a Ă©crit Suspendu, blĂąmĂ©, mutĂ© et finalement radiĂ© de la magistrature, Jaafar Hassoune a payĂ© cher son combat pour l'indĂ©pendance de la justice marocaine ».[28] Des universitaires et des politologues ont imputĂ© la manipulation prĂ©sumĂ©e du systĂšme judiciaire marocain au Makhzen â comme expliquĂ© plus haut, un rĂ©seau non officiel de dĂ©tenteurs du pouvoir liĂ©s au roi et Ă son entourage par des liens impalpables d'allĂ©geance, de nĂ©potisme et de clientĂ©lisme.[29] Le sociologue français Alain Claisse a dĂ©fini le Makhzen comme un mode de gouvernement des hommes ».[30] Le politologue marocain Mohamed Tozy a Ă©crit que le Makhzen est une maniĂšre dâĂȘtre et de faire, qui habite les mots, Ă©pice les plats, fixe la forme et le contenu de la relation entre gouvernant et gouvernĂ©s ».[31] Selon certains analystes, le Makhzen agit dans l'ombre en donnant des instructions orales Ă des fonctionnaires de diverses administrations, notamment des agents de la police et de la justice. [32] Ces instructions, qui violent souvent les lois et contournent la hiĂ©rarchie institutionnelle formelle, sont principalement destinĂ©es Ă servir les intĂ©rĂȘts perçus du Makhzen ou Ă attaquer ses ennemis prĂ©sumĂ©s. Le magazine marocain TelQuel a publiĂ© en novembre 2005 un article de 12 pages intitulĂ© Justice la machine infernale », qui accusait les fonctionnaires du ministĂšre de la Justice relevant directement du palais royal de s'immiscer systĂ©matiquement dans les affaires judiciaires ayant une dimension politique, notamment celles oĂč des journalistes sont des accusĂ©s. [33] Les mĂȘmes fonctionnaires donnent des instructions tĂ©lĂ©phoniques » et dictent les verdicts aux juges, selon le magazine, citant une vingtaine de juges et procureurs. Les magistrats ont choisi de garder l'anonymat par crainte de reprĂ©sailles Ă leur encontre, mais ont fourni de multiples prĂ©cisions, vĂ©rifiĂ©es par les journalistes, sur les affaires sur lesquelles ils ont tĂ©moignĂ©. En mars 2010, le magazine marocain Nichane a publiĂ© un article de couverture similaire intitulĂ© Des juges tĂ©moignent sur la corruption du systĂšme judiciaire ».[34] DĂ©lits dâexpression une rĂ©forme pour rien Peu de temps avant la mort de l'ancien roi Hassan II en 1999, la presse marocaine a entamĂ© son Printemps ».[35] Des magazines et des journaux privĂ©s et indĂ©pendants ont dĂ©noncĂ© la corruption, critiquĂ© le dirigisme d'Ătat et publiĂ© des couvertures audacieuses sur des sujets autrefois tabous tels que le roi et la famille royale, l'islam et les mĆurs religieuses, le Sahara occidental et la sexualitĂ©. L'audace retrouvĂ©e de la presse marocaine s'est accompagnĂ©e de vagues de rĂ©pression. Au cours des annĂ©es 2000, journaux et magazines ont Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement confisquĂ©s, des journalistes ont Ă©tĂ© emprisonnĂ©s et soumis Ă des procĂšs inĂ©quitables, subissant des amendes disproportionnĂ©es et des boycotts publicitaires orchestrĂ©s par le palais royal.[36] DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2010, de nombreux magazines et journaux audacieux de la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dente avaient Ă©tĂ© fermĂ©s et leurs fondateurs poussĂ©s Ă l'exil. De 2000 jusquâau milieu des annĂ©es 2010, les procĂšs les plus mĂ©diatisĂ©s contre des journalistes ou des journaux concernaient des dĂ©lits d'expression. En application de lois rĂ©pressives sur la presse, des journalistes marocains ont Ă©tĂ© condamnĂ©s pour avoir offensĂ© le roi ou les institutions de l'Ătat, diffamĂ© des hauts fonctionnaires ou dĂ©nigrĂ© le pouvoir judiciaire. Des rappeurs et des citoyens ordinaires ont Ă©galement Ă©tĂ© condamnĂ©s pour avoir insultĂ© le roi ou la police sur les rĂ©seaux sociaux. En 2016, le Parlement marocain a adoptĂ© un nouveau Code de la presse et des publications, qui a Ă©liminĂ© la peine de prison comme sanction pour les dĂ©lits d'expression.[37] L'ancien code imposait la prison comme sanction pour une sĂ©rie d'infractions, notamment l'insulte au roi ou aux membres de sa famille, l'atteinte au rĂ©gime monarchique, Ă l'Islam ou Ă l'intĂ©gritĂ© territoriale du Maroc, la publication malveillante de fausses nouvelles et la diffamation de personnes ou institutions de l'Ătat. Cependant, mĂȘme sans peines de prison, le code de la presse de 2016 ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© isolĂ©ment du code pĂ©nal, qui continue de punir de prison une sĂ©rie de dĂ©lits d'expression non violents, qu'ils soient commis par des journalistes ou des non-journalistes. En fait, le Parlement a adoptĂ© en 2016, parallĂšlement au tout nouveau code de la presse, des ajouts au code pĂ©nal qui Ă©rigent en infraction le fait de porter atteinte » Ă l'Islam et Ă la monarchie, d'offenser le roi ou les membres de la famille royale et d' inciter contre » l'intĂ©gritĂ© territoriale, sous peine de prison et/ou d'amende.[38] En plus de ces nouvelles dispositions, le code pĂ©nal a maintenu des peines de prison pour une sĂ©rie de dĂ©lits d'expression. Ces dĂ©lits consistent notamment Ă diffamer les institutions de l'Ătat, insulter des agents publics dans l'exercice de leurs fonctions, faire l'Ă©loge du terrorisme, inciter Ă la haine ou Ă la discrimination, et dĂ©nigrer les dĂ©cisions de justice dans le but de porter atteinte Ă l'autoritĂ© ou Ă l'indĂ©pendance du pouvoir judiciaire. Bon nombre de ces infractions sont dĂ©finies de maniĂšre vague, ce qui augmente le risque que les juges les utilisent pour rĂ©primer la libertĂ© dâexpression. L'Ă©volution des accusations criminelles Au cours des deux derniĂšres dĂ©cennies, Human Rights Watch et d'autres organisations ont documentĂ© la façon dont les tribunaux marocains ont condamnĂ© des dizaines de journalistes et prononcĂ© des jugements sĂ©vĂšres contre des mĂ©dias, ou les ont suspendus, pour diverses accusations liĂ©es Ă lâexpression.[39] Aujourd'hui, des commentateurs sur Internet ou des manifestants de rue continuent d'ĂȘtre poursuivis pour avoir exercĂ© leur droit Ă s'exprimer. En 2021, les commentateurs de mĂ©dias sociaux Chafik Omerani, Mustapha Semlali, Jamila Saadanem et Ikram Nazih, et le manifestant Noureddine Aouaj ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă des peines de prison pour avoir critiquĂ© des personnalitĂ©s publiques ou l'Islam.[40] Depuis le milieu des annĂ©es 2010, les autoritĂ©s marocaines ont multipliĂ© les accusations et les poursuites Ă l'encontre de journalistes et de militants de premier plan pour des dĂ©lits autres que d'expression tels que les relations sexuelles extraconjugales et l'avortement, qui se fondent sur des lois qui violent les droits humains internationaux, notamment le droit Ă la vie privĂ©e. Enfin, la fin des annĂ©es 2010 a vu l'utilisation croissante d'un autre type d'accusations contre les dĂ©tracteurs de lâEtat blanchiment d'argent, espionnage, viol ou agression sexuelle, et mĂȘme traite des ĂȘtres humains. L'Ă©cosystĂšme mĂ©diatique pro-Makhzen Les annĂ©es 2010 au Maroc ont vu l'essor d'un nouveau type de site d'information. SystĂ©matiquement alignĂ©s sur les intĂ©rĂȘts prĂ©sumĂ©s du Makhzen, ils ne cessent de louer le roi et les dĂ©tenteurs du pouvoir proches du palais royal, notamment les hauts responsables de la sĂ©curitĂ©, et se spĂ©cialisent dans la calomnie des dĂ©tracteurs de l'Ătat. Les chiffres d'audience sur Internet montrent que ces mĂ©dias dominent aujourd'hui le paysage mĂ©diatique marocain.[41] Driss Chahtane, directeur de Chouf TV, le plus important de ces sites Web, a Ă©tĂ© nommĂ© prĂ©sident de l'association nationale des mĂ©dias du Maroc en juin 2022.[42] Le 16 juillet 2020, plusieurs mĂ©dias et plateformes internet ont publiĂ© un texte intitulĂ© Manifeste des journalistes marocains contre les mĂ©dias de diffamation ».[43] SignĂ© par 110 journalistes marocains, le texte affirmait Ă chaque fois que les autoritĂ©s ont poursuivi une voix critique, certains sites et journaux se sont empressĂ©s dâĂ©crire des articles diffamatoires, sans aucune Ă©thique professionnelle, voire enfreignant les lois organisant la presse au Maroc. » Le manifeste appelait les autoritĂ©s publiques, les organisations syndicales de la presse et un collectif d'annonceurs marocains Ă prendre des mesures pour rĂ©duire le soutien aux plateformes qui ont pour ligne Ă©ditoriale dâattaquer des voix qui dĂ©rangent certains proches du pouvoir. » Selon les signataires du manifeste, de telles mesures contribueraient Ă mettre fin ⊠à la diffamation, aux insultes, et Ă la calomnie Ă lâencontre de journalistes et de personnalitĂ©s publiques ». En mai 2020, le journaliste Hicham Mansouri, qui a obtenu l'asile en France aprĂšs des annĂ©es de harcĂšlement au Maroc voir son cas en dĂ©tail au chapitre suivant a publiĂ© un article d'investigation dĂ©nonçant le ciblage des opposants marocains par les autoritĂ©s.[44] Dans cet article, Mansouri Ă©crivait que les services secrets exercent une emprise de plus en plus forte dans la vie politique, en manipulant des mĂ©dias spĂ©cialisĂ©s dans le mensonge et la diffamation ». Les opposants politiques sont les premiĂšres cibles Exposer la vie privĂ©e d'une personne publique, qu'il s'agisse d'un homme politique de premier plan ou d'un activiste notoire, n'est pas nĂ©cessairement rĂ©prĂ©hensible en soi. Aussi dĂ©sagrĂ©able que puisse ĂȘtre cette couverture journalistique, elle relĂšve du droit des mĂ©dias Ă la libertĂ© d'expression, quelles que soient les idĂ©es qu'ils dĂ©fendent ou les parties avec lesquelles ils peuvent ĂȘtre liĂ©s. ParallĂšlement, les personnes concernĂ©es devraient bĂ©nĂ©ficier d'une protection efficace de leur droit Ă la vie privĂ©e et des droits connexes, en tenant compte que ces droits peuvent se trouver plus limitĂ©s pour les personnes qui choisissent de participer Ă la vie publique. Le Maroc dispose de lois contre la diffamation, que les individus peuvent utiliser pour dĂ©fendre ces droits. Cependant, plusieurs dissidents interrogĂ©s par Human Rights Watch ont dĂ©clarĂ© qu'ils ne voyaient aucun intĂ©rĂȘt Ă poursuivre les mĂ©dias pro-Makhzen en diffamation, car ils sont convaincus que les tribunaux marocains ne leur rendront jamais justice dans de telles affaires. Les mĂ©dias pro-Makhzen n'attaquent pas toutes les personnes publiques de la mĂȘme maniĂšre. Bien que certaines cĂ©lĂ©britĂ©s du divertissement fassent parfois les frais d'une couverture sensationnaliste de leur vie privĂ©e sur ces sites Web, bon nombre des personnes qu'ils ciblent sont considĂ©rĂ©es comme des opposants Ă l'Ătat, en particulier des journalistes et des activistes. Plus important encore, ils ne jamais les responsables puissants du Makhzen, notamment ceux relevant du palais royal et les hauts responsables sĂ©curitaires, par des articles calomniateurs ou sensationnalistes â ni mĂȘme par de simples articles critiquant leurs politiques publiques. La couverture mĂ©diatique critique des personnalitĂ©s puissantes, y compris parfois sous lâangle de leur vie privĂ©e, Ă©tait frĂ©quente au Maroc dans les annĂ©es 2000. Toutefois, l'Ătat a harcelĂ© les mĂ©dias qui rĂ©alisaient ce type de couverture, prĂ©cipitant leur disparition.[45] Aujourd'hui, ce type de couverture a complĂštement disparu de la scĂšne mĂ©diatique marocaine, alors les sites pro-Makhzen diabolisant les opposants tiennent le haut du pavĂ©.[46] Les dissidents craignent plus la diffamation que la prison De nombreux dĂ©tracteurs marocains des autoritĂ©s ont dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que mĂȘme en l'absence de mesures policiĂšres ou judiciaires directes Ă leur encontre, la seule perspective d'ĂȘtre victimes de diffamation dans des mĂ©dias pro-Makhzen les dissuade et encourage l'autocensure. Lorsque vous voyez votre nom et vos informations privĂ©es exposĂ©s lĂ -dedans, vous rĂ©flĂ©chissez Ă deux fois avant de reprendre position publiquement », a dĂ©clarĂ© un dĂ©tracteur des autoritĂ©s Ă Human Rights Watch. Il sâexprimait anonymement, par crainte de reprĂ©sailles de ces sites web et de la police qui, selon lui, travaillent main dans la main ». Au Maroc, la rĂ©putation est comme du verre », a dĂ©clarĂ© l'universitaire Maati Monjib, lui-mĂȘme frĂ©quemment la cible d'articles diffamatoires, au quotidien français Le Monde en avril 2021. Quand ça casse, on ne peut pas le recoller. La police le sait. Les gens craignent plus la calomnie que de la prison. Aujourd'hui, la diffamation, en particulier en ce qui concerne le sexe et l'argent, est devenue le principal moyen de pression sur les politiciens et les journalistes. »[47] Entre le 7 juin et le 15 septembre 2020, dans la pĂ©riode s'Ă©tendant peu avant et peu aprĂšs l'arrestation du journaliste Omar Radi, Human Rights Watch a dĂ©nombrĂ© au moins 136 articles attaquant personnellement Radi, sa famille et ses partisans sur les sites marocains Chouf TV, Barlamane, et Le360, dans leurs versions arabe et française. Le 4 juillet 2021, Human Rights Watch a dĂ©nombrĂ© 645 articles mentionnant Maati Monjib, avec un contenu extrĂȘmement insultant et de frĂ©quentes rĂ©fĂ©rences Ă sa vie privĂ©e, y compris des dĂ©tails que Monjib a qualifiĂ©s de diffamatoires concernant ses finances personnelles, sa santĂ© et sa sexualitĂ©. Les articles sont apparus depuis 2015 en arabe et en français sur huit sites d'information en ligne connus pour s'aligner systĂ©matiquement sur les autoritĂ©s marocaines et calomnier les dĂ©tracteurs de celles-ci. Il existe de nombreux autres sites Web ou journaux imprimĂ©s de ce type. Les articles examinĂ©s par Human Rights Watch incluaient souvent des insultes vulgaires et des informations personnelles. Ces informations comprenaient des documents bancaires et immobiliers, des captures d'Ă©cran de conversations Ă©lectroniques privĂ©es, des allĂ©gations de relations sexuelles et des menaces de les rĂ©vĂ©ler, des identitĂ©s de colocataires, et des dĂ©tails biographiques sur les individus ciblĂ©s remontant parfois Ă leur enfance, complĂ©tĂ©s par des informations privĂ©es sur leurs parents et dâautres membres de leur famille. L'un de ces articles prĂ©sentait un photomontage compromettant d'une cible, et ce qui ressemble Ă un extrait d'un rapport de police contenant des SMS privĂ©s avec une interlocutrice.[48] Un article publiĂ© le 8 avril 2021 dans la New York Review of Books constatait Ces sites là ⊠ont une capacitĂ© Ă©tonnante Ă prĂ©dire des accusations qui n'ont pas encore Ă©tĂ© portĂ©es, et leurs camĂ©ramans sont souvent prĂ©sents sur les lieux des arrestations. Ils se spĂ©cialisent dans les campagnes de diffamation venimeuse contre les dissidents, et ils ont accĂšs Ă des dĂ©tails sur des enquĂȘtes policiĂšres en cours ainsi quâĂ des informations personnelles qui ne peuvent ĂȘtre obtenues que par la surveillance. »[49] Lâangle du sexe » Dans un long article publiĂ© en 2015, l'universitaire dissident Maati Monjib a Ă©crit que les mĂ©dias pro-Makhzen utilisent rĂ©guliĂšrement les relations sexuelles extra conjugales, qui au Maroc sont un crime passible d'un an de prison, comme un angle » pour salir la rĂ©putation de dissidents marocains.[50] L'angle sexuel, a notĂ© Monjib, a Ă©tĂ© principalement utilisĂ© contre les critiques du Makhzen de sensibilitĂ© islamiste. Puisqu'ils trouvent l'essentiel de leur soutien dans les milieux sociaux conservateurs qui accordent habituellement une grande importance Ă la morale religieuse », explique-t-il, il n'y a pas de meilleur moyen pour ternir [leur] image dans la sociĂ©tĂ© et montrer [leur] prĂ©tendue hypocrisie que dâĂ©taler publiquement des photos ou des vidĂ©os mettant en scĂšne des membres connus d'une organisation [islamiste] dans des situations choquantes pour la pudeur publique. » DĂ©noncer une telle hypocrisie » peut Ă©ventuellement avoir valeur d'information Ă©tant donnĂ© la position publique pro- moralitĂ© » de certaines des personnes ciblĂ©es, mais cela doit ĂȘtre mis en perspective avec l'absence totale d'une telle couverture lorsqu'il s'agit de personnalitĂ©s puissantes, en particulier celles du palais royal ou des services de sĂ©curitĂ©. GĂ©nĂ©ralement, le produit photographique ou vidĂ©o est tout dâabord publiĂ© sur lâun de ces sites dâinformation » ou directement sur YouTube. Puis, vu lâintĂ©rĂȘt quâil provoque immanquablement dans le grand public, il est repris dans la presse en ligne ordinaire. [âŠ] Lâaffaire se propage rapidement avant que les victimes ne puissent rĂ©agir. Elle devient un thĂšme de discussion sur les rĂ©seaux sociaux et dans les cafĂ©s de Casablanca, de Rabat et mĂȘme des villages les plus reculĂ©s. Le mal est ainsi fait et les dĂ©mentis des victimes ne peuvent rien [pour le rĂ©parer.] Cela peut briser la carriĂšre d'un opposant. Monjib a mentionnĂ© le cas d'une Ă©minente activiste islamiste. En 2011, un site Web pro-Makhzen a publiĂ© des photos de cette femme mariĂ©e, marchant avec un homme dans une rue en GrĂšce, allĂ©guant quâils Ă©taient amants. Elle s'est retirĂ©e de la vie politique depuis cette agression contre elle et sa famille », a commentĂ© Monjib. Le mĂȘme angle » a Ă©tĂ© utilisĂ© contre deux membres Ă©minents dâEt-Tawhid Wal-Islah, une association religieuse liĂ©e au parti islamiste de la Justice et du DĂ©veloppement, qui ont Ă©tĂ© surpris dans une posture sexuelle » dans une voiture prĂšs de la plage.[51] Depuis lors, les mĂ©dias pro-Makhzen ont utilisĂ© des dĂ©lits sexuels ou liĂ©s Ă la moralitĂ© pour discrĂ©diter des personnalitĂ©s qui allaient au-delĂ des islamistes, notamment des journalistes et des dĂ©fenseurs des droits humains. Un tremplin officiel Le 3 fĂ©vrier 2022, Maghreb Arabe Presse MAP, lâagence d'information officielle du Maroc, a publiĂ© un article fustigeant Javier Otazu, l'ancien correspondant au Maroc de l'agence de presse espagnole EFE, qui avait rĂ©cemment publiĂ© un livre critiquant la politique de plus en plus autoritaire du Maroc.[52] L'article de MAP citait abondamment un portrait d'Otazu par un des sites Internet pro-Makhzen. Lâarticle Ă©voquait la haine du Maroc » dâOtazu et expliquait lâamertume du journaliste espagnol comme Ă©tant causĂ©e par son mariage avec une Marocaine avec laquelle il a eu deux enfants⊠qui vivent avec leur mĂšre aprĂšs un divorce tumultueux ». Si de tels commentaires ne sont pas surprenant de la part d'un site pro-Makhzen, il convient de noter que l'agence de presse officielle de l'Ătat du Maroc les a relayĂ©s en quatre langues. Ce n'est lĂ qu'un exemple de la façon dont les dĂ©clarations des mĂ©dias pro-Makhzen sont de plus en plus considĂ©rĂ©es comme compatibles, si ce nâest complĂ©mentaires, avec le discours officiel du Maroc. Des dĂ©tracteurs harcelĂ©s sans relĂąche 8 Ă©tudes de cas 1. Hicham Mansouri Journaliste, il a Ă©tĂ© la cible d'intimidations physiques, de poursuites Ă motivation politique et de procĂ©dures judiciaires inĂ©quitables. Hicham Mansouri, 40 ans, est un journaliste marocain et militant de la libertĂ© d'expression, actuellement rĂ©fugiĂ© politique en France. Originaire de Ouarzazate, dans le sud du Maroc, il a dĂ©butĂ© sa carriĂšre au milieu des annĂ©es 2000 en tant que blogueur satirique puis journaliste Ă Agadir, environ 600 kilomĂštres au sud de Rabat. [53] En 2011, il a dĂ©mĂ©nagĂ© Ă Rabat et a rejoint lâAssociation marocaine pour le journalisme dâinvestigation AMJI, une organisation non gouvernementale créée en 2008 par des dĂ©fenseurs de la libertĂ© dâexpression, notamment lâhistorien Maati Monjib voir Ă©tude de cas sur lâAMJI au dernier chapitre de ce rapport.[54] TabassĂ© dans la rue Le 24 septembre 2014, vers 21h30, peu aprĂšs quâil ait quittĂ© l'hĂŽtel Ibis de Rabat oĂč se tenait une rĂ©union avec Monjib et d'autres membres de lâAMJI, Mansouri marchait dans la rue quand deux inconnus sont sortis d'une voiture aux vitres teintĂ©es et lâont brutalement attaquĂ©. [55] Les agresseurs lui ont assĂ©nĂ© de multiples coups de poing et de pied, principalement Ă la tĂȘte. Pendant qu'il Ă©tait au sol, ils ont commencĂ© Ă le traĂźner vers la voiture, oĂč un homme Ă©tait assis Ă la place du conducteur. Quand Mansouri sâest mis Ă hurler, alertant les chauffeurs de taxi stationnĂ©s Ă la gare voisine d'Agdal, les agresseurs ont sautĂ© dans la voiture et se sont enfuis. Mansouri a Ă©tĂ© transportĂ© aux urgences, oĂč les mĂ©decins lui ont dĂ©livrĂ© un certificat mĂ©dical attestant de 25 jours d'incapacitĂ©. AprĂšs quâil ait signalĂ© l'agression, la police a dit avoir menĂ© une enquĂȘte mais l'avoir classĂ©e faute de preuves, a dĂ©clarĂ© Abdelaziz Nouaydi, l'avocat de Mansouri, Ă Human Rights Watch en 2015.[56] Mansouri a dĂ©clarĂ© que mĂȘme si les policiers ont interrogĂ© certains des chauffeurs de taxi tĂ©moins de l'agression, ils ont omis de rĂ©cupĂ©rer les vidĂ©os de surveillance de l'hĂŽtel Ibis, qui avait une camĂ©ra pointĂ©e vers la rue empruntĂ©e par la voiture des assaillants pour fuir la scĂšne du crime. Quand Mansouri et Monjib ont demandĂ© Ă visionner les images de surveillance quelques jours plus tard, le personnel de l'hĂŽtel a dĂ©clarĂ© qu'elles avaient Ă©tĂ© effacĂ©es, sans indiquer par qui. CondamnĂ© pour adultĂšre Le 17 mars 2015, la police a arrĂȘtĂ© Mansouri dans son appartement Ă Rabat, ainsi qu'une amie qui lui rendait visite. Selon un rapport de police, qui deviendra lâĂ©lĂ©ment Ă charge principal dans l'affaire judiciaire, la police avait placĂ© Mansouri sous surveillance deux mois plus tĂŽt en rĂ©ponse aux plaintes de voisins anonymes et du portier de son immeuble, selon lesquelles Mansouri utilisait son appartement Ă des fins de prostitution. [57] Le jour de l'arrestation, le rapport de police indique qu'aprĂšs que des agents chargĂ©s de surveiller Mansouri aient observĂ© une femme entrer dans son immeuble Ă 9h30, ils sont montĂ©s Ă l'Ă©tage et ont frappĂ© Ă sa porte. Selon le rapport de police, la femme a ouvert la porte vĂȘtue d'un vĂȘtement transparent », puis des agents sont entrĂ©s dans la chambre et ont trouvĂ© Mansouri allongĂ© Ă moitiĂ© nu sur le lit. Le rapport indique que les policiers ont arrĂȘtĂ© les deux suspects et les ont emmenĂ©s au poste de police. LĂ , la femme a signĂ© des aveux » selon lesquels elle avait commis l'adultĂšre avec Mansouri, tandis que Mansouri niait tout adultĂšre. L'article 491 du Code pĂ©nal marocain punit l'adultĂšre d'un Ă deux ans de prison, mais stipule quâune poursuite ne peut ĂȘtre engagĂ©e que si le conjoint d'une des parties porte plainte, ou si une personne pratique ouvertement l'adultĂšre alors que son conjoint est Ă l'Ă©tranger. Dans ce cas prĂ©cis, le mari a dĂ©posĂ© plainte pour dĂ©clencher la procĂ©dure judiciaire, mais seulement aprĂšs que la police l'eut informĂ© qu'elle aurait pris sa femme en flagrant dĂ©lit ».[58] Mansouri a Ă©galement Ă©tĂ© accusĂ© de complicitĂ© d'adultĂšre, ainsi que d'avoir organisĂ© un lieu de prostitution ».[59] Lors de leur procĂšs oĂč ils comparaissaient tous les deux en Ă©tat dâarrestation, les deux accusĂ©s ont contestĂ© le rĂ©cit de la police. La femme a niĂ© toute relation adultĂ©rine avec Mansouri et a dĂ©clarĂ© avoir signĂ© ses aveux » sous la pression de la police. Mansouri et elle ont dĂ©clarĂ© que la police avait enfoncĂ© la porte pour entrer dans l'appartement. Le frĂšre de Mansouri, le portier de l'immeuble et un huissier mandatĂ© par le frĂšre ont dĂ©crit des dommages Ă la porte de l'appartement indiquant quâelle avait Ă©tĂ© ouverte par la force.[60] Au tribunal, des tĂ©moins ont Ă©galement contestĂ© la justification officielle de la surveillance et de la descente de police dans l'appartement de Mansouri. Le portier a niĂ© avoir jamais portĂ© plainte contre Mansouri pour avoir utilisĂ© son appartement Ă des fins de prostitution, ou pour toute autre raison. Lorsque le juge a confrontĂ© le portier avec un rapport de police dans lequel il accuse Mansouri, le portier a confirmĂ© qu'il s'agissait bien de sa signature, mais a dĂ©clarĂ© qu'il ne savait ni lire ni Ă©crire et qu'il avait signĂ© ce document parce que la police le lui avait demandĂ©. [61] Les habitants de l'immeuble ont signĂ© une dĂ©claration attestant que Mansouri Ă©tait un voisin exemplaire dont ils ne s'Ă©taient jamais plaints.[62] Racontant son arrestation, Mansouri a dĂ©clarĂ© devant le tribunal que la porte d'entrĂ©e avait Ă©tĂ© forcĂ©e et qu'une dizaine d'hommes Ă©taient entrĂ©s dans son appartement, l'avaient plaquĂ© au sol et lui avaient enlevĂ© ses vĂȘtements. Selon un rĂ©cit Ă©crit dĂ©taillĂ© que Mansouri a fourni Ă son avocat, la police l'a photographiĂ© lui et la femme, puis les a escortĂ©s dans la rue, Mansouri portant juste une serviette autour des reins.[63] Devant le procureur le 19 mars 2015, et lors du procĂšs, la femme est revenue sur la dĂ©claration qui lui a Ă©tĂ© attribuĂ©e par la police, et qui contenait des dĂ©tails imagĂ©s et explicites sur sa prĂ©tendue relation adultĂ©rine avec Mansouri. Elle a affirmĂ© au tribunal qu'elle avait signĂ© la dĂ©claration sans la lire parce que la police lui avait dit que si elle le faisait, ils la relĂącheraient pour qu'elle puisse ĂȘtre avec ses enfants. La femme a expliquĂ© qu'elle et Mansouri Ă©taient habillĂ©s normalement quand la police a fait irruption dans lâappartement. Elle a indiquĂ© quâils Ă©taient seulement des amis, et a de nouveau niĂ© tout adultĂšre. Lors du procĂšs en appel, la femme a dĂ©clarĂ© que la police avait les avait photographiĂ©s aprĂšs avoir dĂ©shabillĂ© de force Mansouri. Le dossier judiciaire ne contenait aucune photographie. Le 30 mars 2015, le tribunal de premiĂšre instance de Rabat a condamnĂ© la femme pour adultĂšre et Mansouri, qui n'Ă©tait pas mariĂ©, pour complicitĂ© d'adultĂšre. Tous deux ont Ă©copĂ© de dix mois de prison. Mansouri a Ă©tĂ© innocentĂ© de l'accusation de prostitution, qui a Ă©tĂ© largement ignorĂ©e par le tribunal mĂȘme si la police l'avait utilisĂ©e pour dĂ©clencher toute l'affaire. Mansouri n'est pas le seul Marocain connu ayant Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© pour relations sexuelles extraconjugales. Le 13 mars 2015, la police de Casablanca a arrĂȘtĂ© El-Mostafa Erriq, un dirigeant du mouvement d'opposition islamiste Al-Adl Wal-Ihsan Justice et Bienfaisance, et une femme Ă qui il rendait visite, comme Human Rights Watch l'a documentĂ©.[64] La police a maintenu Erriq et la femme en dĂ©tention pendant trois jours et en a informĂ© l'Ă©pouse d'Erriq, mais les a libĂ©rĂ©s quand cette derniĂšre a refusĂ© de porter plainte. Erriq, tout comme Mansouri, a affirmĂ© que la police lui avait tendu un piĂšge et fabriquĂ© les preuves de l'adultĂšre, y compris en le dĂ©shabillant de force et en le photographiant sur les lieux. Des conditions de dĂ©tention difficiles Mansouri a Ă©tĂ© dĂ©tenu Ă Zaki, le centre de dĂ©tention de SalĂ©, prĂšs de Rabat, oĂč des organisations indĂ©pendantes de surveillance des prisons avaient signalĂ© des conditions difficiles, notamment la surpopulation et la torture des dĂ©tenus.[65] Voici ce que Mansouri a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch J'ai Ă©tĂ© affectĂ© Ă l'aile D de Zaki, remplie de criminels violents et de prisonniers souffrant de graves troubles mentaux qui, Ă la base, n'avaient pas leur place en prison. Nous Ă©tions 50 Ă 60 dans la mĂȘme cellule. Toutes sortes de drogues et d'armes artisanales Ă©taient disponibles. J'ai Ă©tĂ© battu plusieurs fois, y compris par des gardes, et j'Ă©tais terrifiĂ© tout le temps. Les conditions d'hygiĂšne Ă©taient terribles. J'avais des puces qui se nourrissaient de mon corps pendant presque toute la durĂ©e de ma peine. La prison a Ă©tĂ© fermĂ©e plus tard la mĂȘme annĂ©e, aprĂšs que Mansouri l'ait quittĂ©e.[66] En janvier 2022, Mansouri a publiĂ© un livre sur son expĂ©rience carcĂ©rale.[67] Fuir le Maroc AprĂšs avoir purgĂ© ses 10 mois, Mansouri a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© le 17 janvier 2016. Le lendemain, il quittait le Maroc. Il s'est d'abord rendu en Tunisie, puis a gagnĂ© la France trois mois plus tard, oĂč il a demandĂ© l'asile pour persĂ©cutions politiques. Mansouri a obtenu l'asile en 2018. Au moment de la rĂ©daction du prĂ©sent rapport, il n'Ă©tait toujours pas retournĂ© au Maroc. Je pense que la raison pour laquelle les autoritĂ©s marocaines m'ont pris pour cible avait moins Ă voir avec moi qu'avec mes liens avec Maati Monjib, qui est un opposant et une cible de premier plan depuis une dĂ©cennie », a dĂ©clarĂ© Mansouri Ă Human Rights Watch.[68] Mes ennuis Ă©taient probablement un moyen d'intimider Monjib, et la galaxie d'activistes qui l'entouraient. CâĂ©tait peut-ĂȘtre aussi parce que j'Ă©tais une figure centrale de l'AMJI. Peut-ĂȘtre pensaient-ils que ce projet pourrait conduire Ă un renouveau du journalisme indĂ©pendant aprĂšs quâils lâavaient presque totalement dĂ©truit dans les annĂ©es 2000. Ils ont peut-ĂȘtre dĂ©cidĂ© qu'ils ne permettraient pas cela. » 2. Fouad Abdelmoumni DĂ©fenseur vĂ©tĂ©ran des droits humains et de la dĂ©mocratie, critique virulent du systĂšme monarchique actuel au Maroc, il a fait l'objet de surveillance numĂ©rique, de vidĂ©osurveillance secrĂšte dans son domicile, d'atteinte Ă sa vie privĂ©e et intime, de pressions exercĂ©es sur des membres de sa famille, de harcĂšlement par les mĂ©dias pro-Makhzen, ainsi que de rĂ©tention injustifiĂ©e d'une subvention accordĂ©e par l'Ătat. Fouad Abdelmoumni, 64 ans, est un dĂ©fenseur de la dĂ©mocratie et des droits humains et sociaux, qui exprime ouvertement ses opinions sur les rĂ©seaux sociaux ainsi que dans des interviews avec la presse internationale. Ăconomiste spĂ©cialisĂ© dans le microcrĂ©dit, il fournit des conseils aux gouvernements ainsi quâaux organisations non gouvernementales en Afrique et ailleurs. Il vit dans une ferme prĂšs de Rabat. En 1977, et de nouveau en 1982, les autoritĂ©s marocaines ont arrĂȘtĂ© Abdelmoumni en reprĂ©sailles pour son activisme de gauche. Il a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch quâelles lâavaient soumis Ă la torture, Ă lâemprisonnement, ainsi quâĂ un total de deux ans et demi de disparition forcĂ©e, en dehors de tout cadre lĂ©gal.[69] Entre 1998 et 2004, Abdelmoumni a Ă©tĂ© vice-prĂ©sident de lâAssociation marocaine des droits de lâhomme, la plus grande organisation des droits humains du pays, que les autoritĂ©s harcĂšlent depuis des dĂ©cennies.[70] Entre 2016 et 2018, il a Ă©tĂ© secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de Transparency Maroc, la section locale de Transparency International, un organisme mondial luttant contre la corruption. Abdelmoumni est actuellement membre du comitĂ© consultatif de Human Rights Watch sur le Moyen-Orient et lâAfrique du Nord. Abdelmoumni Ă©tait Ă©galement un partisan et un mentor du mouvement du 20 fĂ©vrier », la branche marocaine de la vague du Printemps arabe » de 2011. Il a ensuite tentĂ©, avec dâautres militants pro-dĂ©mocratie dont lâhistorien Maati Monjib, de mettre en place une plate-forme commune entre activistes laĂŻcs et islamistes afin de sâopposer Ă lâautoritarisme monarchique.[71] Il dĂ©nonce rĂ©guliĂšrement la dictature autoritaire » au Maroc dans les mĂ©dias et sur les rĂ©seaux sociaux.[72] Surveillance numĂ©rique et infection par un logiciel espion En octobre 2019, The Citizen Lab, un laboratoire technologique basĂ© au Canada qui examine les cas de surveillance sur Internet et la menace que celle-ci reprĂ©sente pour les droits humains dans le monde, a informĂ© Abdelmoumni quâil avait identifiĂ© son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone parmi sept au Maroc ayant Ă©tĂ© ciblĂ©s par le logiciel espion Pegasus. Pegasus est dĂ©veloppĂ© et vendu par la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne NSO Group. Une fois que Pegasus est introduit subrepticement sur un smartphone, le client de NSO Group obtient un accĂšs complet Ă sa camĂ©ra, ses appels, ses mĂ©dias, son microphone, ses e-mails, ses textos et dâautres fonctions, permettant la surveillance complĂšte du dĂ©tenteur du smartphone, ainsi que de ses contacts. En rĂ©ponse aux preuves que Pegasus a Ă©tĂ© utilisĂ© pour cibler des dĂ©fenseurs des droits humains, des journalistes et des dissidents, NSO Group a dĂ©clarĂ© Ă plusieurs reprises que sa technologie est concĂ©dĂ©e sous licence, Ă des gouvernements uniquement, pour leur permettre de lutter lĂ©galement contre le terrorisme et la criminalitĂ©. NSO Group a Ă©galement dĂ©clarĂ© quâil nâopĂšre pas le logiciel espion, une fois vendu Ă des clients gouvernementaux.[73] En rĂ©action Ă la rĂ©vĂ©lation de la surveillance de leurs tĂ©lĂ©phones, Abdelmoumni et les six autres personnes ciblĂ©es ont publiĂ© le 4 novembre 2019 une dĂ©claration conjointe exigeant que les auteurs de cet acte rendent des comptes.[74] Abdelmoumni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch quâĂ la mĂȘme pĂ©riode, il avait fait plusieurs dĂ©clarations publiques vĂ©hĂ©mentes, notamment que lâĂtat marocain se comportait comme la mafia ».[75] Le 9 dĂ©cembre de la mĂȘme annĂ©e, la sĆur dâAbdelmoumni a reçu un appel dâun individu qui sâest prĂ©sentĂ© comme un policier, lâinformant quâAbdelmoumni et une femme [avec] avec qui [ils] lâont attrapĂ© » avaient Ă©tĂ© emprisonnĂ©s. Lâinformation Ă©tait fausse ; selon Abdelmoumni, il sâagissait dâun geste destinĂ© Ă lâintimider via sa famille. En dĂ©cembre 2020, Abdelmoumni a informĂ© Access Now, une organisation qui dĂ©fend les droits numĂ©riques Ă lâĂ©chelle mondiale, quâil avait, avec les six autres victimes du logiciel espion, dĂ©posĂ© une demande dâenquĂȘte auprĂšs de la Commission nationale de contrĂŽle de la protection des donnĂ©es personnelles CNDP, une agence gouvernementale marocaine.[76] La CNDP nâa rien fait, arguant quâelle nâa pas compĂ©tence sur ce type de questions », a dĂ©clarĂ© Abdelmoumni. Les autoritĂ©s marocaines ont niĂ© Ă plusieurs reprises avoir utilisĂ© Pegasus pour espionner des dissidents.[77] Chantage sexuel Le 16 janvier 2020, Barlamane, un site Web pro-Makhzen, a publiĂ© une vidĂ©o insultant nommĂ©ment Abdelmoumni et menaçant de façon indirecte de divulguer des dĂ©tails sur son comportement dâadolescent rĂ©pugnant ».[78] La mĂȘme vidĂ©o dĂ©nonçait sans le nommer un activiste senior » qui [se dĂ©bauche] avec des jeunes filles dont il pourrait ĂȘtre le grand-pĂšre ». Un mois aprĂšs la publication de cette vidĂ©o sur Barlamane, plusieurs dizaines de personnes dont des parents, des amis et des collĂšgues dâAbdelmoumni, ont reçu sur WhatsApp un ensemble de six vidĂ©os de quelques minutes chacune, montrant Abdelmoumni dans des situations intimes avec sa partenaire, une femme dâenviron 25 ans sa cadette, dans un appartement quâil possĂšde Ă Skhirat, une station balnĂ©aire prĂšs de Rabat. LâexpĂ©diteur des vidĂ©os Ă©tait anonyme. Le Code pĂ©nal marocain punit les relations sexuelles consensuelles entre adultes non mariĂ©s dâune peine pouvant aller jusquâĂ un an de prison. Les relations hors mariage sont Ă©galement un tabou social et exposent les couples non mariĂ©s, en particulier les femmes, Ă lâhumiliation ainsi quâĂ une stigmatisation durable. Abdelmoumni et sa partenaire, Ă prĂ©sent son Ă©pouse, nâĂ©taient pas mariĂ©s au moment oĂč les vidĂ©os ont Ă©tĂ© tournĂ©es. Parmi les destinataires des vidĂ©os figuraient certains de parents les plus proches de la femme. Ă en juger par lâangle des prises de vue, Abdelmoumni a dĂ©terminĂ© que les vidĂ©os avaient Ă©tĂ© filmĂ©es par des camĂ©ras secrĂštement placĂ©es Ă lâintĂ©rieur de deux climatiseurs dans la chambre et le salon de son appartement.[79] Il a ajoutĂ© que les appareils devaient ĂȘtre sophistiquĂ©s, car les vidĂ©os capturaient des sons clairs dans la piĂšce malgrĂ© le fort bourdonnement gĂ©nĂ©rĂ© par les climatiseurs. Abdelmoumni a dĂ©clarĂ© au journal français LâHumanitĂ© en mars 2021 Ces vidĂ©os avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© annoncĂ©es, avant leur diffusion, par un site de diffamation connu pour ĂȘtre trĂšs proche des services de renseignement, qui avait menacĂ© de me casser », de rĂ©vĂ©ler ma vie privĂ©e si je nâarrĂȘtais pas de critiquer le rĂ©gime. Il est Ă©vident quâun appareil au cĆur de lâĂtat marocain utilise et abuse des moyens de lâĂtat pour terroriser les gens. Nâimporte qui ne peut pas rentrer chez moi et en sortir, y installer des engins aussi sophistiquĂ©s dans divers endroits de la maison, puis revenir pour retirer ces appareils, en synchronisation avec un site connu pour me diffamer et me menacer [ainsi que dâautres dissidents marocains].[80] AprĂšs la diffusion des enregistrements, Abdelmoumni a adoptĂ© un profil public plus discret pendant des mois, attĂ©nuant considĂ©rablement ses critiques publiques et interdisant Ă ses parents et amis de lui rendre visite, afin de protĂ©ger leur sĂ©curitĂ© et leur vie privĂ©e. Jâai fait le mort pendant six mois », a-t-il confiĂ© Ă Human Rights Watch. Ce nâest quâaprĂšs quâun procureur ait annoncĂ© en octobre 2020 que son ami, lâhistorien et activiste Maati Monjib, lui-mĂȘme sujet de harcĂšlement policier depuis longtemps, faisait lâobjet dâune enquĂȘte sur des accusations douteuses de blanchiment dâargent, quâAbdelmoumni a dĂ©cidĂ© de briser son silence pour dĂ©fendre Monjib. Presque immĂ©diatement aprĂšs la reprise de ses critiques publiques contre les autoritĂ©s, Chouf TV, un autre site pro-Makhzen spĂ©cialisĂ© dans la diffamation des opposants, a publiĂ© le 25 octobre 2020 un long article intitulĂ© RĂ©vĂ©lations choquantes dâun scandale Les dĂ©tails des aventures [sexuelles] dâAbdelmoumni ». Lâarticle fournissait lâidentitĂ© de sa partenaire qui apparaissait sur les vidĂ©os, et dâautres informations personnelles, notamment des dĂ©tails sur sa vie de famille, ainsi que plusieurs allĂ©gations diffamatoires sur la relation du couple. Octroi dâune subvention puis retenue arbitraire des fonds Abdelmoumni possĂšde environ 5 hectares de terres agricoles dans la rĂ©gion de Sidi Bettache, au sud de Rabat. AprĂšs avoir demandĂ© une aide Ă lâinvestissement pour dĂ©velopper des activitĂ©s dâagriculture et dâĂ©levage, le ministĂšre de lâAgriculture lui a accordĂ© en juillet 2018 une subvention publique dâenviron 30 000 dollars US. Sur la base de cette dĂ©cision, le CrĂ©dit Agricole, banque publique spĂ©cialisĂ©e dans le financement dâentreprises agricoles, a envoyĂ© Ă Abdelmoumni le mĂȘme mois un SMS indiquant que le ministĂšre avait informĂ© la banque de son approbation de la subvention. Sur cette base, la banque lui proposait de lui prĂȘter jusquâĂ 90% de la valeur de la subvention, Ă titre dâavance. Il a prĂ©fĂ©rĂ© refuser, attendant que le ministĂšre lui vire les fonds. Environ deux ans plus tard, lâargent nâavait selon lui toujours pas Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© sur son compte bancaire. Le 3 septembre 2020, Abdelmoumni a Ă©crit une lettre au ministĂšre de lâAgriculture pour sâenquĂ©rir de la subvention, mais il nâa jamais reçu de rĂ©ponse. Abdelmoumni sâest aussi rendu physiquement au siĂšge du ministĂšre, Ă Rabat, pas moins de 13 fois en deux mois, pour tenter dâobtenir une explication. Personne nâa acceptĂ© de le recevoir ni de le renseigner sur sa subvention. Abdelmoumni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que lors de sa 13Ăšme visite, un agent du ministĂšre de lâAgriculture lui a indiquĂ© que seul le ministre lui-mĂȘme pouvait rĂ©soudre son problĂšme. Le 22 octobre 2020, Abdelmoumni a envoyĂ© un texto Ă un membre du cabinet du ministre, rĂ©clamant explications et rĂ©paration. Le membre du cabinet a rĂ©pondu le jour-mĂȘme, lui assurant quâil allait se renseigner et reviendrait vers lui dĂšs que possible. AprĂšs plus dâun mois sans rĂ©ponse, Abdelmoumni a envoyĂ© le 1er dĂ©cembre un autre texto Ă la mĂȘme personne, lâinformant qu' en lâabsence de rĂ©ponse, [il] considĂšre qu'[il] est dans une situation oĂč lâadministration refuse arbitrairement dâappliquer la loi ». Abdelmoumni nâavait toujours reçu aucune rĂ©ponse au moment de la rĂ©daction de ce rapport, un an et demi plus tard. Human Rights Watch a consultĂ© les lettres, la documentation, ainsi que les captures dâĂ©cran de messages WhatsApp fournies par Abdelmoumni. 3. Hajar Raissouni Hajar Raissouni, 30 ans, est une journaliste qui travaillait au quotidien indĂ©pendant Akhbar Al-Yaoum, aujourdâhui fermĂ©. Elle a couvert des sujets sociaux et politiques, notamment le Hirak, un mouvement de protestation qui a organisĂ© de grands rassemblements dans la rĂ©gion du Rif au nord du Maroc en 2017, avant que les autoritĂ©s ne le rĂ©priment.[81] ParentĂ© avec des dissidents cĂ©lĂšbres Je crois que la raison principale de mes problĂšmes, en plus de cibler Akhbar Al-Yaoum que les autoritĂ©s nâaimaient pas en raison de son indĂ©pendance, Ă©tait quâelles voulaient sâen prendre Ă ma famille », a confiĂ© Hajar Raissouni Ă Human Rights Watch.[82] Lâoncle de Hajar, Soulaiman Raissouni, Ă©tait en 2019 le rĂ©dacteur en chef dâAkhbar Al-Yaoum, connu pour ses Ă©ditoriaux acerbes, en particulier ceux visant de hauts responsables sĂ©curitaires, des officiels du palais royal ainsi que le roi lui-mĂȘme, parfois sur le plan personnel. Soulaiman Raissouni, cible rĂ©currente des mĂ©dias pro-Makhzen spĂ©cialisĂ©s dans la diffamation des opposants, sera plus tard arrĂȘtĂ© et emprisonnĂ© sur des accusations dâagression sexuelle voir le chapitre sur son cas.[83] Un autre oncle de Hajar, Ahmed Raissouni, penseur islamiste connu, est le prĂ©sident de lâUnion internationale des oulĂ©mas musulmans, une organisation thĂ©ologique basĂ©e au Qatar. Il a succĂ©dĂ© Ă ce poste Ă Youssef Al-Qaradawi, lâun des prĂ©dicateurs les plus cĂ©lĂšbres du monde musulman. Avant dâobtenir la reconnaissance internationale, Ahmed Raissouni a dirigĂ© At-Tawhid Wal-Islah, une association qui sert de think-tank religieux et de rĂ©servoir de cadres au parti de la Justice et du DĂ©veloppement, une formation islamiste que le palais royal au Maroc a longtemps perçue comme son principal adversaire politique.[84] Un cousin de Hajar, Youssef Raissouni, est le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâAssociation marocaine des droits humains, organisation indĂ©pendante de dĂ©fense des droits humains la plus importante du pays, qui est depuis longtemps dans le collimateur des autoritĂ©s.[85] Youssef Raissouni a Ă©galement lâhabitude dâĂȘtre la cible dâarticles Ă sensation dans les mĂ©dias pro-Makhzen.[86] Arrestation et poursuites pour relations sexuelles illicites Le 31 aoĂ»t 2019, Ă la mi-journĂ©e, six policiers en civil ont arrĂȘtĂ© Hajar Raissouni ainsi que son fiancĂ©, lâuniversitaire soudanais Rifaat Al-Amin, dans une rue du quartier de lâAgdal de Rabat, prĂšs dâun cabinet de gynĂ©cologie-obstĂ©trique oĂč Raissouni avait eu un rendez-vous quelques minutes plus tĂŽt.[87] Les policiers ont ramenĂ© le couple au cabinet, oĂč ils ont arrĂȘtĂ© le mĂ©decin ainsi que deux assistants, avant de les conduire tous Ă un poste de police de Rabat pour interrogatoire. Plus tard dans la journĂ©e, la police a conduit Raissouni Ă lâhĂŽpital Ibn Sina de Rabat, oĂč le personnel lâa soumise Ă un examen gynĂ©cologique sans son consentement. Elle a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch quâelle Ă©tait encore affaiblie et quâelle saignait toujours Ă cause de lâablation dâun caillot de sang que le gynĂ©cologue avait pratiquĂ©e sur elle quelques heures auparavant. De tels examens, lorsquâils sont effectuĂ©s sans consentement, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des violences sexuelles ainsi que des traitements cruels, inhumains et dĂ©gradants au regard des normes internationales des droits humains.[88] Raissouni est restĂ©e dĂ©tenue au poste de police pendant 48 heures, au cours desquelles la police lâa interrogĂ©e sur sa vie intime, lui demandant notamment si elle avait subi un avortement, ce quâelle a niĂ©. Le 2 septembre 2019, Raissouni a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e au tribunal de premiĂšre instance de Rabat, oĂč un procureur lâa accusĂ©e dâavortement illĂ©gal et de relations sexuelles hors mariage, infractions passibles respectivement de deux et un an de prison.[89] Violations de la vie privĂ©e Dans une lettre Ă©crite depuis la prison et publiĂ©e dans Akhbar Al-Yaoum le 4 septembre 2019, Raissouni a dĂ©crit comment la police lui avait posĂ© plusieurs questions sur ses proches, dont ses deux oncles et son cousin.[90] Elle a Ă©galement indiquĂ© que les interrogateurs de la police avaient posĂ© des questions spĂ©cifiques sur ses relations avec son fiancĂ©, qui lui avaient permis de comprendre que leur couple Ă©tait sous surveillance. Les questions de la police comprenaient des dĂ©tails aussi prĂ©cis que les dates et les heures oĂč Raissouni venait Ă lâappartement de son fiancĂ© pour promener son chien â et mĂȘme le nom du chien. Raissouni a expliquĂ© Ă Human Rights Watch que ces informations ne pouvaient avoir Ă©tĂ© obtenues que par le biais dâune surveillance physique et/ou Ă©lectronique. Le 5 septembre, Abdeslam Al-Imani, un procureur Ă Rabat, a publiĂ© un communiquĂ©, largement diffusĂ© aux mĂ©dias, dĂ©taillant les allĂ©gations contre Hajar Raissouni. Le communiquĂ© comprenait des dĂ©tails personnels pointus sur sa santĂ© sexuelle et reproductive, en violation totale de son droit Ă la vie privĂ©e. Quelques jours plus tard, Chouf TV, un mĂ©dia pro-Makhzen, a publiĂ© une interview vidĂ©o de Mohamed El Hini, un ex-juge qui soutient frĂ©quemment les autoritĂ©s lors de dĂ©clarations aux mĂ©dias.[91] Niant toute conspiration » [contre Hajar Raissouni], et notant quâelle admettait des relations sexuelles avec plusieurs parties », El Hini a commentĂ© Est-ce que ce sont les autoritĂ©s qui ont introduit du sperme dans [son] vagin ? » Condamnation et grĂące royale Le 30 septembre 2019, un tribunal de Rabat a condamnĂ© Raissouni Ă un an de prison pour avortement et relations sexuelles hors mariage.[92] Son fiancĂ© a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă un an de prison pour complicitĂ© dâavortement et relations sexuelles illicites, et le mĂ©decin inculpĂ© pour avoir pratiquĂ© lâavortement a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă deux ans de prison. Dans son jugement Ă©crit, le tribunal a rejetĂ© toutes les requĂȘtes de la dĂ©fense et a fondĂ© son verdict de culpabilitĂ© sur un rapport de police mentionnant que Raissouni avait avouĂ© » lâavortement â alors mĂȘme quâelle avait refusĂ© de signer ce rapport, selon un examen du jugement publiĂ© dans Akhbar Al-Yaoum.[93] Au cours du procĂšs, auquel Human Rights Watch a assistĂ©, Raissouni ainsi que le mĂ©decin ont niĂ© quâun avortement ait jamais Ă©tĂ© pratiquĂ©. Raissouni a affirmĂ© quâelle avait consultĂ© son gynĂ©cologue parce quâelle souffrait dâune hĂ©morragie vaginale, que le mĂ©decin a confirmĂ© avoir stoppĂ©e. Le tribunal a Ă©galement fondĂ© son verdict sur lâexamen gynĂ©cologique effectuĂ© sur Raissouni alors quâelle Ă©tait en garde Ă vue, mĂȘme si la dĂ©fense a demandĂ© le rejet du rapport mĂ©dical qui en avait rĂ©sultĂ©, au motif quâil avait Ă©tĂ© obtenu contre la volontĂ© de leur cliente. Le Dr Hicham BenyaĂŻch, directeur de lâinstitut de mĂ©decine lĂ©gale de lâhĂŽpital Ibn Rochd de Casablanca et expert juridique frĂ©quemment sollicitĂ© par les tribunaux marocains â bien quâil nâait pas participĂ© au procĂšs Raissouni â a publiquement remis en question les conclusions ainsi que la mĂ©thodologie du rapport mĂ©dical.[94] Selon BenyaĂŻch, cet examen invasif » Ă©tait destinĂ© Ă fournir des moyens de preuve Ă lâadversaire de Raissouni devant les tribunaux », et Ă©tait illĂ©gal, car il violait en mĂȘme temps les garanties dâun procĂšs Ă©quitable et le secret mĂ©dical, et pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme de la torture ».[95] Suite au tollĂ© international en dĂ©fense de la journaliste, Raissouni, son fiancĂ© et le mĂ©decin ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s le 16 octobre 2019 par une grĂące royale, aprĂšs avoir passĂ© 45 jours en prison.[96] En juillet 2020, Raissouni a quittĂ© le Maroc pour le Soudan, oĂč elle vit actuellement avec Al-Amin, dĂ©sormais son mari. Raissouni a confiĂ© Ă Human Rights Watch Nous avions initialement prĂ©vu de vivre au Maroc, mais aprĂšs toute cette surveillance, cette diffamation et ce harcĂšlement, je ne pouvais plus supporter de vivre quotidiennement dans la peur. »[97] AprĂšs son dĂ©part, Raissouni est restĂ©e la cible dâarticles calomnieux rĂ©currents dans les mĂ©dias pro-Makhzen. En novembre 2020, le site Barlamane a insistĂ©, malgrĂ© ses dĂ©nĂ©gations rĂ©pĂ©tĂ©es, quâelle avait avortĂ© avant son arrestation, et a soulevĂ© des doutes sur lâorigine du sperme mort retrouvĂ© en elle ».[98] En mars 2021, aprĂšs que Raissouni ait publiĂ© un article sur un site web libanais intitulĂ© La presse de diffamation est derriĂšre tout ce qui va mal au Maroc », Barlmane a Ă©crit quâelle souffrait de diarrhĂ©e de blogging tĂ©lĂ©commandĂ© ».[99] 4. Maati Monjib Historien, militant de la libertĂ© d'expression et activiste politique ĂągĂ© de 60 ans, il a fait lâobjet de harcĂšlement par les mĂ©dias pro-Makhzen, dâune interdiction de voyager arbitraire, dâintimidations physiques contre lui et ses associĂ©s, de poursuites judiciaires Ă motivation politique, de procĂ©dures judiciaires inĂ©quitables, de dĂ©tention provisoire injustifiĂ©e ainsi que de surveillance par le biais de son smartphone. Titulaire de deux doctorats en histoire, Maati Monjib a enseignĂ© dans des universitĂ©s au Maroc, au SĂ©nĂ©gal et aux Ătats-Unis. Ancien boursier Fulbright et chercheur invitĂ© au Brookings Institute de Washington, il est l'auteur de trois livres sur l'histoire contemporaine du Maroc. Dans les annĂ©es 1980 et au dĂ©but des annĂ©es 1990, Monjib Ă©tait un membre actif de la section française de l'Union nationale des Ă©tudiants du Maroc et de l'Association de dĂ©fense des droits de l'Homme au Maroc ASDHOM, deux organisations militant pour la dĂ©mocratie et la libĂ©ration des prisonniers politiques. Sa premiĂšre confrontation avec les autoritĂ©s remonte Ă avril 1995. Rentrant au Maroc aprĂšs des annĂ©es passĂ©es Ă l'Ă©tranger, il est arrĂȘtĂ© par la police des frontiĂšres d'Agadir. Selon Monjib, la police l'a interrogĂ© sur ses activitĂ©s politiques en France â en particulier une interview accordĂ©e Ă un journaliste français, dans laquelle il qualifiait le roi de l'Ă©poque, Hassan II, de voyou ».[100] Monjib a Ă©tĂ© relĂąchĂ© au bout de 36 heures. Il a quittĂ© le Maroc peu aprĂšs pour le SĂ©nĂ©gal, oĂč il a dĂ©crochĂ© un poste d'enseignant universitaire. AprĂšs la publication en 1992 de son premier livre, La monarchie marocaine et la lutte pour le pouvoir, Monjib, qui vivait Ă l'Ă©tranger Ă l'Ă©poque, a dĂ©clarĂ© que sa mĂšre et son frĂšre l'appelaient rĂ©guliĂšrement pour signaler des visites d'agents de police qui leur posaient des questions sur ses activitĂ©s. Monjib est rentrĂ© au Maroc aprĂšs que Mohammed VI ait succĂ©dĂ© Ă Hassan II en 1999. Il a pris un poste d'enseignant Ă l'UniversitĂ© de MeknĂšs, avant d'ĂȘtre transfĂ©rĂ© Ă l'UniversitĂ© Mohammed V de Rabat. Ă la mĂȘme Ă©poque, il a commencĂ© Ă rĂ©diger une chronique politique dans l'hebdomadaire Le Journal, alors pionnier de la presse critique indĂ©pendante au Maroc sous Mohammed VI. Il a Ă©galement collaborĂ© pendant des annĂ©es avec le magazine marocain d'histoire Zamane. Lancement d'un front d'opposition uni En 2007, Monjib a initiĂ© une sĂ©rie de rencontres entre dirigeants de partis et associations de gauche laĂŻcs et islamistes, dans le but de crĂ©er un front uni d'opposition contre le Makhzen.[101] Huit rĂ©unions de ce type se sont tenues dans les annĂ©es suivantes, auxquelles ont participĂ© des dirigeants politiques des deux camps. Certaines rĂ©unions ont eu lieu dans des rĂ©sidences privĂ©es, tandis que d'autres se sont tenues publiquement, attirant une cinquantaine de personnes. Certaines des rĂ©unions publiques ont Ă©tĂ© soutenues et financĂ©es par le Conseil de paix inter-Ă©glises IKV Pax Christi, une organisation nĂ©erlandaise Ćuvrant pour la paix, la rĂ©conciliation et la justice dans le monde », selon son site Internet.[102] Sâappuyant en partie sur les informations qu'il a accumulĂ©es au cours de ces rĂ©unions, Monjib a publiĂ© en 2011 un document de recherche pour l'institut Brookings de Washington intitulĂ© Le processus de dĂ©mocratisationâ au Maroc progrĂšs, obstacles et impact de la fracture islamiste-laĂŻque ».[103] Monjib a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que dĂšs le dĂ©but de ces rĂ©unions, lui et d'autres organisateurs Ă©taient frĂ©quemment suivis Ă Rabat par des voitures et des hommes en civil, alors qu'ils vaquaient Ă leurs activitĂ©s quotidiennes.[104] Quand il partait en voyage Ă l'Ă©tranger ou en revenait, la police des frontiĂšres l'interrogeait systĂ©matiquement sur ses activitĂ©s politiques. Intimidation et menaces Le 6 avril 2014, l'initiative de Monjib d'unir l'opposition au Makhzen a fait un pas en avant. La rĂ©union tenue ce jour-lĂ rassemblait non seulement des dirigeants dâopposition islamistes et de gauche, mais Ă©galement des leaders du Parti de la Justice et du DĂ©veloppement â alors l'Ă©pine dorsale du gouvernement nommĂ© deux ans plus tĂŽt par le roi Mohammed VI. La rĂ©union s'est terminĂ©e par une rĂ©solution visant Ă rĂ©diger une plate-forme politique commune â sans doute le dĂ©fi le plus tangible Ă la domination du palais royal sur la politique marocaine depuis des dĂ©cennies. Ă peu prĂšs au mĂȘme moment, une crise diplomatique secouait le Maroc et la France. Le 20 fĂ©vrier 2014, un juge d'instruction français avait profitĂ© de la prĂ©sence en France d'Abdellatif Hammouchi, le puissant directeur gĂ©nĂ©ral de la police marocaine, pour le convoquer afin de rĂ©pondre d'accusations de complicitĂ© dans des actes de torture. Hammouchi a quittĂ© la France sans rĂ©pondre Ă la convocation. En rĂ©action, le ministre marocain des Affaires Ă©trangĂšres a convoquĂ© l'ambassadeur de France pour une protestation officielle.[105] InterrogĂ© par la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision France 24 sur ce qu'il pensait de la convocation judiciaire d'Hammouchi, Monjib a rĂ©pondu Pourquoi pas, s'il y a des preuves contre lui ? », a dĂ©clarĂ© Monjib Ă Human Rights Watch. Monjib a expliquĂ© Ă Human Rights Watch que la pression exercĂ©e sur lui par les autoritĂ©s s'est intensifiĂ©e aprĂšs cette dĂ©claration, et aussi parce que les autoritĂ©s lâidentifiaient comme le principal architecte du front d'opposition islamistes-laĂŻcs. Ă partir de lĂ , a ajoutĂ© Monjib, les pratiques dâintimidation Ă son Ă©gard se sont accĂ©lĂ©rĂ©es. Le 14 juillet 2014, raconte Monjib, un inconnu qui marchait derriĂšre lui dans une rue de Rabat lâa attrapĂ© par l'Ă©paule et lui a dit Tu pues de la bouche, tu devrais la fermer. » Le 22 septembre 2014, un autre inconnu l'a abordĂ© dans une rue de Rabat et lui a dit Si tu ne te tais pas, Daech va s'occuper de toi », avant de s'Ă©loigner rapidement. Daech est l'acronyme arabe de lâĂtat islamique, le groupe armĂ© qui a acquis une notoriĂ©tĂ© mondiale Ă l'Ă©tĂ© 2014 aprĂšs avoir violemment pris le contrĂŽle de vastes Ă©tendues de territoire en Irak et en Syrie. Monjib a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que ce dernier cas d'intimidation s'est produit deux jours avant l'agression physique contre son collĂšgue, Hicham Mansouri voir le chapitre sur Mansouri. Avalanche de diffamation ParallĂšlement Ă ces agressions physiques, Monjib a subi une avalanche d'article diffamatoires dans les mĂ©dias pro-Makhzen. Le 4 juillet 2021, Human Rights Watch a dĂ©nombrĂ© 645 articles mentionnant Maati Monjib, avec un contenu extrĂȘmement insultant et de frĂ©quentes atteintes Ă sa vie privĂ©e. Les articles Ă©taient parus depuis 2015 en arabe et en français sur huit sites internet connus pour s'aligner systĂ©matiquement sur les autoritĂ©s et calomnier rageusement leurs dĂ©tracteurs. Le dĂ©compte omet beaucoup dâautres sites Web ou de journaux imprimĂ©s de ce type. Un profil en ligne de Monjib mentionnait 1 500 articles de ce type.[106] Parmi les titres de ces articles Maati Monjib, l'historien menteur », Secrets et vĂ©ritĂ©s sur le renĂ©gat qui a trahi le Maroc », Merde aux traĂźtres Maati Monjib est un agent Ă©tranger », Monjib un vendu, menteur, ingrat, et le reste est Ă venir... », L'esprit criminel de Maati Monjib », Maati Monjib l'homme qui vend une idĂ©ologie qui justifie le viol des femmes », Maati Monjib un avocat du terrorisme » et La vĂ©ritĂ© sur la relation de Monjib avec la CIA ». [107] Dans un Ă©ditorial publiĂ© en aoĂ»t 2016, Monjib a Ă©numĂ©rĂ© certaines des allĂ©gations diffamatoires portĂ©es contre lui par des journaux et des sites Web Ă©troitement liĂ©s, selon lui, Ă des bureaux clandestins » de l'Ătat.[108] Les allĂ©gations incluaient que Monjib souffre d'impuissance prĂ©coce », travaille main dans la main avec des djihadistes », est un farouche dĂ©fenseur de la perversion sexuelle », un antisĂ©mite » et un historien nĂ©gationniste de l'Holocauste ». Monjib a niĂ© toutes ces accusations dans l'Ă©ditorial, et dans des conversations avec Human Rights Watch. Dans un entretien, Monjib a Ă©galement notĂ© que ces articles nommaient rĂ©guliĂšrement les membres de sa famille et ses amis proches, en particulier les femmes, avec des allĂ©gations diffamatoires sur leur vie sexuelle.[109] Ces accusations causent Ă©normĂ©ment de stress aux personnes non politisĂ©es » de son entourage, car elles ne sont pas prĂ©parĂ©es Ă subir de telles attaques », a-t-il dĂ©clarĂ©. L'un des sobriquets dont les sites Web pro-Makhzen affublaient rĂ©guliĂšrement Monjib Ă©tait pilier de la cinquiĂšme colonne », probablement une rĂ©fĂ©rence Ă son rĂŽle important au sein du Conseil de soutien » que certains partis politiques et organisations de la sociĂ©tĂ© civile avaient créé en 2011 pour fournir conseils et soutien logistique au mouvement du 20 FĂ©vrier », branche marocaine du Printemps arabe.[110] Interdiction de voyager, grĂšve de la faim En mai 2015, des contrĂŽleurs fiscaux ont examinĂ© les livres de comptes du Centre Ibn Rochd voir la section sur l'Association marocaine pour le journalisme d'investigation, dans le dernier chapitre de ce rapport. Monjib avait dĂ©cidĂ© de fermer le centre six mois plus tĂŽt en raisons, a-t-il dĂ©clarĂ©, de multiples tentatives des autoritĂ©s dâempĂȘcher ses activitĂ©s.[111] Le 31 aoĂ»t 2015, alors qu'il revenait d'un voyage Ă l'Ă©tranger, Monjib a Ă©tĂ© briĂšvement dĂ©tenu pour interrogatoire Ă l'aĂ©roport Mohammed V de Casablanca. Câest lĂ quâil a appris que la police enquĂȘtait sur lui. Deux semaines plus tard, la Brigade nationale de la police judiciaire a convoquĂ© Monjib. Lâinterrogant au sujet du Centre Ibn Rochd, la police lâa accusĂ© de porter atteinte Ă la crĂ©dibilitĂ© des institutions de l'Ătat », a dĂ©clarĂ© Monjib. Les autoritĂ©s aĂ©roportuaires l'ont ensuite empĂȘchĂ© de quitter le pays pour se rendre Ă Barcelone le 16 septembre, et en NorvĂšge le 7 octobre. Monjib a entamĂ© une grĂšve de la faim le 7 octobre 2015 pour protester contre le harcĂšlement dont il faisait lâobjet et contre son interdiction de facto quitter le territoire du Maroc. De facto car Ă ce stade, Monjib nâavait Ă©tĂ© officiellement notifiĂ© de rien â mĂȘme si de mĂ©dias marocains, citant des officiels, avaient avancĂ© que l'interdiction de voyage de Monjib Ă©tait une mesure judiciaire liĂ©e a une enquĂȘte sur des irrĂ©gularitĂ©s financiĂšres » prĂ©sumĂ©es au Centre Ibn Rochd.[112] Le 19 octobre, Monjib a rĂ©pondu Ă une autre convocation de la police pour interrogatoire sur les finances du centre. AprĂšs 12 jours de grĂšve de la faim, il s'est rendu au poste de police dans une ambulance et un fauteuil roulant.[113] Une campagne internationale de soutien appelant les autoritĂ©s Ă mettre fin au harcĂšlement contre Monjib a recueilli les signatures de plus de 50 ONG et 1 000 universitaires, journalistes et dĂ©fenseurs des droits.[114] Le 29 octobre, le tribunal administratif de Rabat a rejetĂ© une requĂȘte de Monjib visant Ă dĂ©clarer illĂ©gale son interdiction de voyager. Le mĂȘme jour, cependant, le parquet a informĂ© l'avocat de Monjib qu'il levait l'interdiction de voyager et que son client serait traduit en justice. Il a alors mis fin Ă sa grĂšve de la faim. AprĂšs cela, a-t-il dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch Le 19 octobre a subi un dĂ©luge » d'articles diffamatoires. Un jour, j'Ă©tais dans un kiosque Ă journaux et il y avait une photo de moi sur chaque journal en vente », a-t-il dĂ©clarĂ©. Il a ajoutĂ© que des voitures de police se prĂ©sentaient frĂ©quemment devant son domicile et y restaient pendant des heures ». Smartphone InfectĂ© par un logiciel espion Le 10 octobre 2019, Amnesty International a signalĂ© des attaques numĂ©riques ciblĂ©es » contre Monjib et un autre dĂ©fenseur des droits humains, qui duraient au moins depuis 2017.[115] Amnesty a identifiĂ© lâoutil utilisĂ© pour ces attaques comme Ă©tant Pegasus, un logiciel qui, introduit subrepticement sur un smartphone, prend le contrĂŽle de tout son contenu. En rĂ©ponse aux preuves fournies par Amnesty, selon lesquelles Pegasus a Ă©tĂ© utilisĂ© pour cibler Monjib et un autre dĂ©fenseur marocain des droits humains, NSO Group a rĂ©pondu Nos produits sont dĂ©veloppĂ©s pour aider la communautĂ© du renseignement et des forces de l'ordre Ă sauver des vies. Ce ne sont pas des outils pour surveiller les dissidents ou les militants des droits humains. C'est pourquoi les contrats avec tous nos clients permettent l'utilisation de nos produits uniquement Ă des fins lĂ©gitimes de prĂ©vention et d'enquĂȘte sur le crime et le terrorisme. Si nous dĂ©couvrons que nos produits ont Ă©tĂ© utilisĂ©s Ă mauvais escient en violation du contrat, nous prendrons les mesures appropriĂ©es. » Les mesures en question peuvent inclure, ajoute la rĂ©ponse, la suspension ou la rĂ©siliation immĂ©diate de l'utilisation du produit par un client, comme NSO l'a fait dans le passĂ©. » En juillet 2021, une enquĂȘte menĂ©e par le consortium journalistique Forbidden Stories a rĂ©vĂ©lĂ© que le Maroc aurait continuĂ© Ă utiliser Pegasus au moins deux ans aprĂšs les rĂ©vĂ©lations d'Amnesty en 2019.[116] Accusations de blanchiment dâargent Le 7 octobre 2020, un procureur de Rabat a publiĂ© un communiquĂ© annonçant qu'il ouvrait une enquĂȘte contre Monjib pour blanchiment d'argent ».[117] Les poursuites, selon le communiquĂ©, ont Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©es par une notification d'une unitĂ© de police spĂ©cialisĂ©e dans les dĂ©lits financiers selon laquelle dâimportants transferts de fonds » initiĂ©s par Monjib et une liste de biens immobiliers » qu'il possĂ©dait ne correspondaient pas aux revenus habituels dĂ©clarĂ©s par M. Monjib et les membres de sa famille ». Dans les trois mois qui ont suivi cette annonce, la police judiciaire de Casablanca a convoquĂ© Monjib une dizaine de fois, exigeant de lui quâil prouver que les biens qu'il avait acquis tout au long de sa vie l'avaient Ă©tĂ© avec de l'argent lĂ©gitimement gagnĂ© », et aussi quâil prouve que les opĂ©rations bancaires qu'il avait menĂ©es n'avaient pas pour but de blanchir des sommes obtenues illĂ©galement », a-t-il dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch. Barlamane, un site Web pro-Makhzen, a publiĂ© plus tard un long article exposant apparemment les dĂ©tails de l'affaire judiciaire contre Monjib, avant mĂȘme que celui-ci n'ait eu accĂšs Ă son propre dossier au moment de la rĂ©daction de ce rapport, plus de deux ans aprĂšs l'ouverture de lâenquĂȘte, Monjib n'avait toujours pas reçu son dossier.[118] Barlamane avait dĂ©jĂ dans le passĂ© publiĂ© des fuites d'Ă©lĂ©ments de dossiers impliquant des dĂ©tracteurs de l'Ătat, avant mĂȘme que les accusĂ©s eux-mĂȘmes ou leurs avocats n'aient accĂšs aux dossiers en question.[119] L'article de Barlamane mentionnait que Monjib possĂ©dait d'importants biens immobiliers ». Dans une vidĂ©o de 10 minutes publiĂ©e sur YouTube le 1er octobre 2020, Monjib a indiquĂ© qu'il possĂšde un appartement dans le quartier Agdal de Rabat, une petite maison dans la ville de Harhoura prĂšs de Rabat, oĂč il vit, et un appartement Ă Benslimane, la ville dont il est originaire.[120] Monjib a expliquĂ© avoir achetĂ© ces trois propriĂ©tĂ©s sur une pĂ©riode de 30 ans pour un total d'environ 175 000 dollars US, ce qui nâa rien d'extravagant et est tout Ă fait dans [ses] moyens », a-t-il dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch. L'article de Barlamane prĂ©tend Ă©galement, dans ce qui semble ĂȘtre la pierre angulaire de l'accusation de blanchiment d'argent », que l'aide Ă©trangĂšre pour soutenir le Centre Ibn Rochd et l'AMJI avait Ă©tĂ© illĂ©galement dĂ©tournĂ©e vers les comptes personnels de Monjib, sa femme et sa sĆur. Ă la connaissance de Human Rights Watch, aucune organisation internationale n'a jamais portĂ© plainte pour dĂ©tournement des fonds qu'elle aurait accordĂ©s au Centre Ibn Rochd ou Ă l'AMJI. Dans un communiquĂ© publiĂ© le 15 janvier 2021, Free Press Unlimited, l'une de ces organisations, a dĂ©clarĂ© que Maati Monjib Ă©tait un partenaire trĂšs respectĂ©s » et devrait ĂȘtre acquittĂ© de toutes les accusations contre lui. »[121] ArrĂȘtĂ©, sans accĂšs au dossier Le 29 dĂ©cembre 2020, des agents de la police ont arrĂȘtĂ© Monjib Ă Rabat, et un juge d'instruction a ordonnĂ© son placement en dĂ©tention provisoire dans l'attente de la clĂŽture d'une enquĂȘte contre lui pour dĂ©tournement de fonds et blanchiment d'argent.[122] Lorsque quelques jours plus tard, ses avocats ont demandĂ© au juge d'instruction de leur remettre une copie du dossier afin qu'ils puissent le transmettre Ă Monjib dans sa cellule, le juge a refusĂ©. Deux avocats de Monjib ont expliquĂ© Ă Human Rights Watch que le juge avait autorisĂ© les avocats de la dĂ©fense Ă prendre des notes manuscrites dans le bureau du juge, mais leur avait interdit de photocopier le dossier. La plupart des avocats ont refusĂ©, faisant valoir qu'ils n'Ă©taient pas en mesure d'Ă©tudier correctement le dossier dans de telles conditions. Selon eux, le dossier contient plus d'un millier de pages et comprend des documents financiers denses et multiples. Au cours de ses nombreuses annĂ©es d'observation des procĂšs au Maroc, notamment des dissidents, Human Rights Watch a observĂ© que les avocats de la dĂ©fense Ă©taient toujours autorisĂ©s Ă faire des copies des dossiers et Ă les transmettre Ă leurs clients, qu'ils soient en prison ou en libertĂ© provisoire. En vertu du droit international, les accusĂ©s et leurs avocats ont le droit d'accĂ©der pleinement et en bonne et due forme aux dossiers judiciaires, afin de consulter les Ă©lĂ©ments retenus contre eux et ainsi prĂ©parer leur dĂ©fense devant le tribunal. Refuser un tel accĂšs compromet le droit de l'accusĂ© de prĂ©parer sa dĂ©fense et viole le principe d' Ă©galitĂ© des armes » d'un procĂšs Ă©quitable â selon lequel les deux parties doivent avoir accĂšs aux mĂȘmes documents prĂ©sentĂ©s au tribunal, avec suffisamment de temps pour se prĂ©parer. Pendant que Monjib et ses avocats se voyaient refuser l'accĂšs au dossier, les mĂ©dias pro-Makhzen en recevaient apparemment des copies fuitĂ©es » complĂštes, et nâhĂ©sitaient pas Ă utiliser les Ă©lĂ©ments ainsi obtenus pour accabler Monjib. Parmi les titres publiĂ©s dans ces sites Justice les dĂ©tails des transactions frauduleuses de Maati Monjib », Monjib une machine Ă blanchir de l'argent au nom des droits de l'homme », La vĂ©ritĂ© exposĂ©e Maati gagne une tonne d'argent grĂące au commerce des droits de l'homme » et Nouvelles rĂ©vĂ©lations sur la cupiditĂ© de Maati Monjib ».[123] Un nouveau sobriquet a Ă©mergĂ© dans ces articles Maati Moul Jib », jeu de mots entre Monjib et Moul Jib », lâhomme Ă la poche » en arabe marocain.[124] Un de ces sites Web a ainsi titrĂ© Combien Maati Monjib a-t-il de poches ? »[125] JugĂ© par contumace alors qu'il se trouvait dans le mĂȘme bĂątiment Le 27 janvier 2021, le tribunal de premiĂšre instance de Rabat a reconnu Monjib et six coaccusĂ©s coupables de plusieurs chefs dâaccusation, notamment d'avoir reçu des fonds d'une organisation Ă©trangĂšre dans le but de porter atteinte Ă la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure du Maroc. » L'affaire, distincte de celle du blanchiment dâargent, avait Ă©tĂ© ouverte en 2015. Elle reposait sur une subvention accordĂ©e par une ONG nĂ©erlandaise Ă lâAssociation Marocaine pour le Journalisme dâInvestigation AMJI, organisation créée par Monjib et d'autres militants, afin dâorganiser des formations pour une application de journalisme citoyen pour plus de dĂ©tails, voir la section sur lâAMJI dans le dernier chapitre de ce rapport. Monjib et ses coaccusĂ©s Ă©taient accusĂ©s d'avoir enfreint l'article 206 du code pĂ©nal qui stipule qu' une personne est coupable d'atteinte Ă la sĂ»retĂ© intĂ©rieure de l'Ătat... si elle reçoit, directement ou indirectement, un soutien de l'Ă©tranger destinĂ© ou utilisĂ© pour financer une activitĂ© ou propagande de nature Ă porter atteinte Ă l'intĂ©gritĂ©, Ă la souverainetĂ© ou Ă l'indĂ©pendance du Royaume, ou Ă Ă©branler la fidĂ©litĂ© que les citoyens doivent Ă l'Ătat et aux institutions du peuple marocain. » Cette accusation est passible de cinq ans de prison. Le tribunal a condamnĂ© Monjib et trois coaccusĂ©s Ă un an de prison, un cinquiĂšme Ă trois mois de prison avec sursis, et les deux derniers Ă une amende. Un tribunal de Rabat avait tenu une vingtaine dâaudiences dans cette affaire entre 2015 et 2020.[126] Ă chaque fois, l'audience a Ă©tĂ© ajournĂ©e aprĂšs quelques minutes car trois des sept accusĂ©s qui avaient fui le Maroc ne sâĂ©taient pas prĂ©sentĂ©s au tribunal. Les reports incessants Ă©taient aussi possiblement motivĂ©s par la large publicitĂ© internationale donnĂ©e Ă lâaffaire, notamment par Human Rights Watch et des organisations de dĂ©fense de la libertĂ© de la presse.[127] Le 27 janvier 2021, les avocats de Monjib nâont appris le verdict quâaprĂšs avoir accĂ©dĂ© au portail Internet du ministĂšre de la Justice. Par le mĂȘme biais et Ă leur grande surprise, ils ont appris que le procĂšs avait en fait repris une semaine auparavant, le 20 janvier. Ce jour-lĂ , le tribunal a tenu une sĂ©ance sur cette affaire en l'absence de Monjib et de ses avocats. Aucun dâentre eux nâavait Ă©tĂ© informĂ© de la sĂ©ance, ont-ils dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch. AprĂšs cinq ans et une vingtaine de reports, il nâa fallu quâune seule sĂ©ance pour que le tribunal examine une affaire complexe impliquant sept accusĂ©s, et la clĂŽture le jour-mĂȘme pour dĂ©libĂ©ration. Selon une dĂ©claration signĂ©e par les avocats de Monjib Abdelaziz Nouaydi, Mohamed Messaoudi, Naima El Guellaf, Mohamed Jalal et Omar Bendjelloun, et examinĂ©e par Human Rights Watch, Monjib et eux Ă©taient prĂ©sents au tribunal oĂč s'est tenue la du 20 janvier. Mais ils Ă©taient dans une autre salle, assistant Monjib pendant quâun juge d'instruction l'interrogeait sur une autre affaire, celle du blanchiment d'argent. Selon le communiquĂ© des avocats, lâinterrogatoire du juge dâinstruction s'est terminĂ© Ă 15h30, heure Ă laquelle les avocats ont quittĂ© le tribunal tandis que Monjib, toujours en dĂ©tention provisoire, Ă©tait reconduit Ă la prison d'El Arjat Ă SalĂ©, prĂšs de Rabat. Le 1er fĂ©vrier 2021, le Conseil supĂ©rieur du pouvoir judiciaire, organe officiel que Constitution charge de garantir l'indĂ©pendance de la justice », a publiĂ© un communiquĂ© Ă ce sujet.[128] Le communiquĂ© disait Maati Monjib a Ă©tĂ© dĂ©fĂ©rĂ© au tribunal le 20 janvier pour comparaĂźtre devant le juge d'instruction et aprĂšs avoir quittĂ© le bureau d'instruction Ă 11h30, il n'a pas Ă©tĂ© renvoyĂ© en prison et est restĂ© au tribunal, traduisant le souci des autoritĂ©s judiciaires compĂ©tentes de lui permettre dâexercer son droit d'assister Ă l'audience relative au procĂšs de 2015, qui a dĂ©butĂ© Ă 15h30, car bien qu'il soit en dĂ©tention dans le cadre de l'affaire de blanchiment, il reste en libertĂ© concernant l'affaire de 2015. L'accusĂ© a donc Ă©tĂ© retenu dans l'enceinte du tribunal en attendant qu'il exprime sa volontĂ© d'ĂȘtre prĂ©sent Ă l'audience, mais il n'a pas fait cette dĂ©marche, ni lui ni sa dĂ©fense, bien qu'il ait Ă©tĂ© informĂ© de la date de l'audience ⊠à la fin de l'audience, il a Ă©tĂ© reconduit Ă la prison. DĂšs lors, son absence, comme celle de sa dĂ©fense, relĂšve d'une dĂ©cision personnelle volontaire. Dans leur dĂ©claration, les cinq avocats de Monjib affirment qu'Ă aucun moment le 20 janvier, ni avant ce jour-lĂ , ni eux ni Monjib n'ont Ă©tĂ© informĂ©s, formellement ou informellement, qu'une sĂ©ance du procĂšs de 2015 se tiendrait Ă 15h30 dans ce mĂȘme bĂątiment qu'ils venaient de quitter. L'un d'eux a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch L'idĂ©e qu'une personne puisse ĂȘtre "en dĂ©tention dans le cadre dâune affaire mais en mĂȘme temps libre dans le cadre dâune autre" est absurde et sans prĂ©cĂ©dent. Quand vous ĂȘtes en dĂ©tention, vous ĂȘtes en dĂ©tention, point final. Vous ne pouvez pas dire oĂč vous voulez aller, ni ce que vous voulez faire. Quand vous quittez la prison pour venir au tribunal, les policiers vous escortent Ă tout instant et vous emmĂšnent lĂ oĂč eux le dĂ©cident, pas vous. » Monjib et ses coaccusĂ©s dans l'affaire de 2015 ont fait appel du verdict de culpabilitĂ© prononcĂ© contre eux. Une cour d'appel les a convoquĂ©s Ă six reprises entre avril 2021 et mai 2022. Les six sessions ont Ă©tĂ© reportĂ©es pour la mĂȘme raison que le procĂšs en premiĂšre instance avait Ă©tĂ© reportĂ© une vingtaine de fois depuis 2015 trois prĂ©venus, en exil en Europe, ne se sont pas prĂ©sentĂ©s. GrĂšve de la faim, libĂ©ration, interdiction de voyager et gel des avoirs Le 4 mars 2021, Monjib a annoncĂ© qu'il entamait une grĂšve de la faim illimitĂ©e pour protester contre son incarcĂ©ration et sa persĂ©cution multiforme ».[129] Une campagne de soutien internationale a rapidement pris de lâessor, notamment aux Ătats-Unis.[130] Monjib, 59 ans, qui souffre de diabĂšte et d'une maladie cardiaque chronique, a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que les mĂ©decins qui ont mesurĂ© sa tension artĂ©rielle le 23 mars, aprĂšs 19 jours de grĂšve de la faim, ont constatĂ© qu'il Ă©tait dans un Ă©tat critique. Le mĂȘme jour, la Commission Tom Lantos des droits de l'homme » du CongrĂšs amĂ©ricain a tweetĂ© que la vie de Maati Monjib est entre les mains du gouvernement marocain. » Monjib a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© le lendemain. Aux portes de la prison et devant une foule de sympathisants et de journalistes, Monjib a accusĂ© ce qu'il a appelĂ© la police politique » de fabriquer les affaires » contre lui. Cette dĂ©claration a suscitĂ© un dĂ©menti furieux du ministĂšre de l'IntĂ©rieur.[131] Le lendemain, le site Barlamane a publiĂ© un article intitulĂ© Maati Monjib de lapin craintif Ă l'intĂ©rieur de la prison Ă calomniateur frĂ©nĂ©tique Ă l'extĂ©rieur. »[132] Le jour de sa libĂ©ration, Monjib a reçu l'ordre de remettre ses passeports marocain et français aux policiers. Quelques semaines plus tard, Monjib a dĂ©couvert qu'il ne pouvait pas retirer de l'argent de son compte bancaire ni de vendre sa voiture, apparemment en application dâune ordonnance du juge dâinstruction. Monjib a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch qu'il avait demandĂ© une copie Ă©crite de cette ordonnance mais qu'il ne l'avait jamais obtenue. En septembre 2021, aprĂšs quelques mois de relative accalmie, le harcĂšlement de Monjib a repris sur les mĂ©dias pro-Makhzen.[133] Le 7 octobre 2021, les avocats de Monjib ont demandĂ© l'annulation de son interdiction de voyager et la levĂ©e du gel des avoirs. Le 13 octobre, le juge d'instruction qui a ordonnĂ© ces mesures a rejetĂ© la demande sans justification, a dĂ©clarĂ© l'un de ses avocats Ă Human Rights Watch. 5. Mohamed Ziane Avocat, personnalitĂ© politique et ancien ministre aux Droits de l'homme, il a fait lâobjet de harcĂšlement sur des mĂ©dias pro-makhzen, de vidĂ©osurveillance secrĂšte dans un lieu privĂ©, dâatteinte Ă sa vie privĂ©e, de pressions exercĂ©es sur des membres de sa famille, de sabotage apparent des procĂ©dures judiciaires dans lesquelles il Ă©tait impliquĂ© en tant qu'avocat, et de harcĂšlement multiforme de ses clients. Une cible atypique Mohamed Ziane, 79 ans, est un avocat, homme politique et homme d'affaires connu au Maroc pour son style impĂ©tueux.[134] En 1997, un tribunal français l'a condamnĂ© Ă trois mois de prison avec sursis parce qu'une compagnie de bus basĂ©e en France, dont il Ă©tait propriĂ©taire, opĂ©rait sans licence et avait entravĂ© la vĂ©rification des conditions de travail de ses employĂ©s par une agence de lâEtat.[135] Contrairement Ă la plupart des personnes ciblĂ©es par la rĂ©pression Ă©tatique au Maroc, Mohamed Ziane Ă©tait autrefois proche des cercles de pouvoir. Ancien ministre, chef d'un parti politique loyaliste et dĂ©fenseur du gouvernement pendant des dĂ©cennies, les problĂšmes de Ziane ont commencĂ© en 2017 lorsqu'en tant qu'avocat, il a commencĂ© Ă reprĂ©senter des journalistes indĂ©pendants et des dissidents cĂ©lĂšbres devant les tribunaux, et Ă Ă©pouser leurs causes dans des dĂ©clarations publiques. Lâavocat du gouvernement En tant qu'avocat, Ziane a reprĂ©sentĂ© le gouvernement sous le roi Hassan II, qui a rĂ©gnĂ© de 1961 Ă 1999, dans des affaires politiques trĂšs mĂ©diatisĂ©es. Parmi celles-ci, le procĂšs en diffamation en 1992 de Noubir Amaoui, un dirigeant syndical ayant traitĂ© les ministres de l'Ă©poque de bande de voleurs ».[136] Avec Ziane comme avocat du gouvernement, le tribunal a condamnĂ© Amaoui Ă deux ans de prison. En 1996, Hassan II a nommĂ© Ziane ministre des Droits de l'homme. Quand, Ă ce titre, il a reçu une dĂ©lĂ©gation de rescapĂ©s du tristement cĂ©lĂšbre bagne de Tazmamart, oĂč des opposants au roi avaient Ă©tĂ© dĂ©tenus au secret et torturĂ©s pendant des dĂ©cennies, il leur aurait dit quâils devraient se considĂ©rer heureux dâen ĂȘtre revenus en vie ».[137] En 2006, Claude Moniquet, de son propre aveu un ancien agent de renseignement français[138], a poursuivi en diffamation Le Journal. L'hebdomadaire indĂ©pendant marocain avait Ă©crit qu'un rapport de Moniquet sur le Sahara occidental avait Ă©tĂ© tĂ©lĂ©commandĂ© par le palais royal ». ReprĂ©sentant Moniquet au tribunal, Ziane a obtenu une condamnation du Journal Ă verser Ă Moniquet l'Ă©quivalent de 360 000 dollars US de dommages et intĂ©rĂȘts. Lâhebdomadaire n'Ă©tant pas en mesure de payer l'amende, Aboubakr Jamai son directeur de l'Ă©poque, a dĂ» dĂ©missionner et quitter le pays, ce qui a Ă©tĂ© alors considĂ©rĂ© comme un coup dur pour la libertĂ© de la presse au Maroc.[139] En 2011, Ziane s'est opposĂ© au mouvement du 20 fĂ©vrier », branche marocaine des mouvements de protestation prodĂ©mocratie du Printemps arabe, car il considĂ©rait qu'il mettait en danger la stabilitĂ© » du Maroc.[140] Un tournant » La trajectoire politique de Ziane a dĂ©viĂ© en 2017 aprĂšs l'Ă©ruption du Hirak », une vague massive de protestation populaire, dans la rĂ©gion du Rif au nord du Maroc. Ă partir de lĂ , Ziane a commencer Ă critiquer publiquement des dĂ©clarations et des dĂ©cisions sĂ©curitaires vraisemblablement prises au plus haut niveau du royaume. C'est alors que ses ennuis ont commencĂ©. Bien que les dirigeants du Hirak aient insistĂ© sur le fait qu'ils Ă©taient pacifiques et prĂ©occupĂ©s uniquement par les conditions sociales et Ă©conomiques dans leur rĂ©gion, tous les partis politiques reprĂ©sentĂ©s au gouvernement ont signĂ© le 15 mai 2017 une dĂ©claration commune, qualifiant les dirigeants du Hirak de sĂ©paratistes » et de saboteurs », et les accusant d'ĂȘtre secrĂštement financĂ©s par des partis Ă©trangers ayant des visĂ©es hostiles contre le Maroc. »[141] La police a dĂ©clenchĂ© la rĂ©pression peu de temps aprĂšs, et plus de 450 manifestants ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s, dont beaucoup ont Ă©tĂ© torturĂ©s dans des postes de police.[142] Quelques jours aprĂšs le dĂ©but de la rĂ©pression, Ziane, qui a des racines familiales dans le Rif, a dĂ©clarĂ© publiquement que les membres du Hirak n'Ă©taient pas des sĂ©cessionnistes » et qu'ils avaient le droit de protester contre les erreurs du gouvernement ».[143] Fin juin 2017, Ziane est devenu l'avocat principal du chef de file du Hirak, Nasser Zefzafi, qui a Ă©tĂ© poursuivi aux cĂŽtĂ©s de 52 autres leaders de la contestation pour atteinte Ă la sĂ»retĂ© intĂ©rieure de l'Ătat » et rĂ©bellion ». Ziane a dĂ©clarĂ© plus tard Ă Human Rights Watch qu'il avait plaidĂ© la cause du Hirak auprĂšs de membres de l'entourage proche du roi », mais qu'il avait Ă©tĂ© confrontĂ© Ă des partisans de la ligne dure qui recherchaient des condamnations fortes et [lui] en voulaient d'avoir pris le parti de vandales. »[144] Son choix de dĂ©fendre le chef charismatique de la rĂ©bellion du Rif a scellĂ© le virage de Ziane. DĂ©sormais, il assumait de dĂ©fier les puissants appareils d'Ătat et de sĂ©curitĂ© marocains.[145] Cette rupture » avec lâEtat a constituĂ© un tournant » dans sa carriĂšre, a-t-il dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch. AprĂšs environ un an de procĂšs et 86 audiences, les 53 dirigeants du Hirak ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă de lourdes peines de prison, largement fondĂ©es sur des aveux » que la police leur aurait extorquĂ©s sous la torture.[146] Zefzafi a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă 20 ans de prison. Sa femme et ses fils condamnĂ©s pour avoir cachĂ© un tĂ©moin Le 23 fĂ©vrier 2018, Taoufik Bouachrine, le directeur d'Akhbar Al Yaoum, quotidien dâopposition ayant survĂ©cu Ă une dĂ©cennie de harcĂšlement des autoritĂ©s, et dĂ©sormais considĂ©rĂ© comme le dernier quotidien indĂ©pendant au Maroc, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© dans son bureau de Casablanca.[147] Trois jours plus tard, un procureur a inculpĂ© Bouachrine de traite dâĂȘtres humains », viol, agressions et harcĂšlement sexuels. Le lendemain, Ziane est devenu son avocat voir Ă©tude de cas sur Bouachrine. Un procureur a rĂ©pertoriĂ© 12 femmes comme plaignantes ou tĂ©moins contre Bouachrine. Toutes se sont rendues aux convocations de la police judiciaire pour rĂ©pondre aux questions concernant des allĂ©gations de harcĂšlement sexuel ou d'abus de Bouachrine Ă leur Ă©gard. Si huit dâentre elles ont confirmĂ© les allĂ©gations, quatre ont niĂ© que Bouachrine les ait harcelĂ©es ou agressĂ©es, selon des documents judiciaires que Human Rights Watch a examinĂ©s. Lorsque trois de ces quatre femmes ont refusĂ© de comparaĂźtre devant le tribunal, un juge a ordonnĂ© Ă la police de les amener de force. L'une de ces trois femmes Ă©tait la journaliste Amal Houari, qui a insistĂ© sur le fait que Bouachrine ne l'avait ni violĂ©e ni tentĂ© de la violer ».[148] Ziane a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que Houari lui avait dit lors d'un appel tĂ©lĂ©phonique le 6 juin 2018 qu'elle avait refusĂ© de comparaĂźtre devant le tribunal, et qu'elle Ă©tait terrifiĂ©e » Ă l'idĂ©e que la police puisse l'arrĂȘter, comme ils l'avaient fait plus tĂŽt le mĂȘme jour pour Hanan Bakour, une autre journaliste ayant refusĂ© de tĂ©moigner contre Bouachrine.[149] Parce qu'il Ă©tait alors en dĂ©placement, a expliquĂ© Ziane Ă Human Rights Watch, il a suggĂ©rĂ© Ă Houari de passer la nuit chez son fils celui de Ziane pour garantir sa sĂ©curitĂ©, et a promis de lây retrouver le lendemain matin pour discuter de la situation. Houari a acceptĂ©. Quelques heures plus tard, la police est entrĂ©e dans la maison du fils Ziane. PaniquĂ©e, Houari sâest cachĂ©e dans le coffre d'un voiture se trouvant dans le garage de la maison, selon le rĂ©cit de Ziane et plusieurs articles de presse.[150] Câest lĂ que la police a dĂ©couvert Houari, l'a arrĂȘtĂ©e, puis l'a conduite au tribunal vers minuit le mĂȘme jour.[151] Ziane a indiquĂ© Ă Human Rights Watch que la police a Ă©galement arrĂȘtĂ© deux de ses fils qui se trouvaient dans la maison, les a gardĂ©s Ă vue cette nuit-lĂ , et les a relĂąchĂ©s le lendemain matin quand Ziane est arrivĂ© au poste de police. Houari a ensuite Ă©tĂ© poursuivie, en libertĂ© provisoire, pour s'ĂȘtre soustraite Ă une convocation de la justice. Le procureur a Ă©galement inculpĂ© Ziane et des membres de sa famille pour entrave Ă la justice. AprĂšs un an de procĂ©dure, un tribunal a condamnĂ© Houari, Ziane, l'Ă©pouse de ce dernier et ses deux fils Ă un an de prison avec sursis. Dans un rapport publiĂ© en 2020, le Groupe de travail des Nations Unies sur la dĂ©tention arbitraire a dĂ©clarĂ© de telles poursuites contre un tĂ©moin Ă dĂ©charge et l'avocat de l'accusĂ© ont sans aucun doute portĂ© atteinte Ă la capacitĂ© de concentration de la dĂ©fense, compromettant ainsi le droit de M. Bouachrine Ă disposer des moyens de se dĂ©fendre, en violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques », que le Maroc a ratifiĂ© en 1979.[152] Violations de la vie privĂ©e, menaces, divulgation de vidĂ©os filmĂ©es secrĂštement En 2017, Ouahiba Khourchech, alors ĂągĂ©e de 37 ans, a sollicitĂ© les services de Ziane dans une affaire de harcĂšlement sexuel. Officier de police anciennement responsable de la division des violences faites aux femmes Ă El Jadida, au sud de Casablanca, Khourchech a dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© harcelĂ©e sexuellement par son supĂ©rieur pendant deux ans, selon le portrait quâa dressĂ© dâelle Samia Errazouki, une activiste marocaine installĂ©e aux Etats-Unis.[153] Fin 2017, Ziane a portĂ© une plainte au nom de Khourchech contre son ancien supĂ©rieur. En octobre 2018 et alors que Khourchech se trouvait au Maroc, une femme inconnue a appelĂ© son mari, un citoyen amĂ©ricain rĂ©sidant Ă Oakland, prĂšs de San Francisco, en Californie. Lâappel provenait dâun tĂ©lĂ©phone portable avec un indicatif marocain, a dĂ©clarĂ© Khourchech Ă Human Rights Watch.[154] La femme n'a pas donnĂ© son nom mais s'est prĂ©sentĂ©e comme un agent des services de renseignements marocains ». Selon Khourchech, aprĂšs que cette femme ait fourni au mari des informations personnelles le concernant, apparemment pour asseoir sa crĂ©dibilitĂ© en tant qu'agent de renseignement, elle lui a dit que son Ă©pouse avait une liaison avec son avocat, Mohamed Ziane. La femme a ajoutĂ© que Khourchech devrait retirer sa plainte pour harcĂšlement sexuel et abandonner Ziane comme avocat, faute de quoi la fille du couple, qui avait alors cinq ans et rĂ©sidait avec sa mĂšre au Maroc, serait enlevĂ©e. La femme a ensuite raccrochĂ©, selon le rĂ©cit fait par Khourchech Ă Human Rights Watch. En novembre 2018, Ziane a rendu visite Ă Khourchech et Ă sa fille alors qu'elles Ă©taient en vacances pendant quelques jours Ă l'hĂŽtel Dawliz Ă SalĂ©, une ville proche de Rabat. Khourchech a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch qu'Ă la fin de son sĂ©jour, elle a remarquĂ© que ses effets personnels avaient Ă©tĂ© fouillĂ©s et que des documents personnels manquaient. Elle a ajoutĂ© que deux jours aprĂšs avoir quittĂ© l'hĂŽtel, la mĂȘme femme inconnue a appelĂ© son mari Ă San Francisco, pour lui dire que sa femme avait rencontrĂ© Ziane dans une chambre d'hĂŽtel. Le 8 janvier 2019, Khourchech a rejoint son mari pour deux semaines de vacances Ă San Francisco. Deux jours plus tard, le mĂȘme numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone marocain a envoyĂ© au mari une photo montrant Ziane en compagnie de Khourchech, dans la voiture de celle-ci. Le message d'accompagnement disait FĂ©licite ta femme, Ziane lui a achetĂ© une nouvelle voiture. » Khourchech a indiquĂ© Ă Human Rights Watch que le mĂȘme numĂ©ro a envoyĂ© deux autres photos. La premiĂšre la montrait avec sa fille de cinq ans dans une piĂšce, toutes deux nues, et la seconde, prise dans la mĂȘme piĂšce, montrait Khourchech et sa fille toutes deux habillĂ©es, et Ziane vĂȘtu d'un peignoir. Le message d'accompagnement disait Nous avons plus de photos, dans des situations plus honteuses, nous nous abstenons de te les envoyer par dĂ©cence. » Khourchech a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch qu'elle avait reconnu la chambre de l'hĂŽtel Dawliz oĂč elle et sa fille avaient sĂ©journĂ© deux mois plus tĂŽt, mais que la deuxiĂšme photo avait Ă©tĂ© retouchĂ©e pour y inclure Ziane. Le lendemain, Khourchech a dĂ©posĂ© une plainte pour menaces et violation de la vie privĂ©e auprĂšs de la police d'Oakland, a-t-elle indiquĂ© Ă Human Rights Watch. Khourchech est revenue au Maroc le 23 janvier 2019 et a repris son travail de policiĂšre. Elle a rĂ©digĂ© un rapport dĂ©taillĂ© Ă©numĂ©rant les appels, SMS et messages menaçants que son mari avait reçus, et a adressĂ© le rapport Ă Abdellatif Hammouchi, le directeur gĂ©nĂ©ral de la police, a-t-elle indiquĂ©. Le 25 fĂ©vrier 2019, alors qu'elle se dirigeait vers la gare de Casa-Port Ă Casablanca afin de prendre un train pour El Jadida, deux inconnus l'ont accostĂ©e dans la rue et lui ont dit Votre fille [ils ont mentionnĂ© le nom de l'enfant] est morte, vous ne la reverrez jamais », puis se sont Ă©loignĂ©s, a dĂ©clarĂ© Khourchech Ă Human Rights Watch. Khourchech a ajoutĂ© qu'elle s'Ă©tait prĂ©cipitĂ©e Ă la gare pour prendre son train tout en appelant sa mĂšre Ă El Jadida, chez qui l'enfant sĂ©journait. Elles allaient bien et Ă©taient en sĂ©curitĂ©. Ă son arrivĂ©e Ă El Jadida, Khourchech s'est rendue directement au bureau du procureur, lui a racontĂ© ce qui s'Ă©tait passĂ© et a demandĂ© sa protection. Elle a confiĂ© Ă Human Rights Watch avoir eu une crise d'hystĂ©rie » au bureau du procureur. Celui-ci a appelĂ© une ambulance, qui a transportĂ© Khourchech Ă l'hĂŽpital. Khourchech a dĂ©clarĂ© qu'elle a Ă©tĂ© mise sous puissants sĂ©datifs » et est restĂ©e dans lâincapacitĂ© de travailler plusieurs mois aprĂšs cet incident. Le 3 dĂ©cembre 2019, elle a envoyĂ© une lettre de dĂ©mission Ă Hammouchi, et dĂ©posĂ© une autorisation de voyage, comme les agents de la police marocaine sont tenus de le faire chaque fois qu'ils veulent quitter le pays. Selon Khourchech, un de ses collĂšgues lâinformera plus tard, oralement, que ses demandes de dĂ©mission et de voyage avaient Ă©tĂ© toutes deux rejetĂ©es. Environ deux semaines plus tard, Khourchech et sa fille, alors ĂągĂ©e de 6 ans, ont rĂ©ussi Ă traverser la frontiĂšre terrestre vers l'enclave espagnole de Melilla. AprĂšs deux mois de procĂ©dure, la mĂšre et la fille ont quittĂ© Melilla pour l'Espagne continentale, avant de se rendre aux Ătats-Unis pour rejoindre le mari de Khourchech en juillet 2020. En octobre 2020, Chouf TV, un site pro-Makhzen, a publiĂ© plusieurs photos montrant Khourchech en compagnie de Ziane dans des lieux publics au Maroc, prĂ©tendant quâils avaient une liaison.[155] Khourchech a expliquĂ© dans une vidĂ©o YouTube que les photos ont Ă©tĂ© prises Ă son insu ou sans son consentement, et comprenaient celle de la voiture que le mari de Khourchech avait reçue par SMS prĂšs de deux ans auparavant.[156] Khourchech a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que les photos avaient Ă©tĂ© prises sur une pĂ©riode de plus d'un an, indiquant une surveillance de longue date. Ă la mi-novembre 2020, Khourchech a envoyĂ© une lettre au cabinet du roi Mohammed VI, racontant toute son histoire et demandant au roi de lui rendre justice ». Deux jours aprĂšs avoir envoyĂ© la lettre, Chouf TV a publiĂ© une vidĂ©o de quelques secondes, filmĂ©e dans la chambre de l'hĂŽtel Dawliz oĂč elle avait sĂ©journĂ© deux ans auparavant. La vidĂ©o montrait une femme habillĂ©e en train d'essuyer le dos dâun homme nu avec une serviette. Chouf TV disait que la femme Ă©tait Khourchech et l'homme, Ziane. La publication de la vidĂ©o a gĂ©nĂ©rĂ© des centaines d'articles, la plupart sur des sites pro-Makhzen, commentant ce qu'un site alignĂ© sur les autoritĂ©s a appelĂ© le scandale sexuel de l'avocat Ziane dans un bordel ».[157] En 2019, un juge d'instruction a classĂ© sans suite la plainte pour harcĂšlement sexuel que Khourchech avait dĂ©posĂ©e, sans passer par un procĂšs. Ziane a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch qu'il avait suivi toutes les voies lĂ©gales pour rouvrir l'affaire, jusqu'Ă ce que la Cour de cassation en 2021 la ferme dĂ©finitivement. Son fils en prison Le 15 avril 2020, Ă Casablanca, la police a arrĂȘtĂ© le fils de Mohammed Ziane, Nasser, 31 ans, soupçonnĂ© d'ĂȘtre impliquĂ© dans la production et la distribution de masques de contrebande ».[158] Trois semaines plus tĂŽt, le Maroc avait ordonnĂ© un confinement gĂ©nĂ©ral en rĂ©ponse Ă la hausse des infections au Covid-19. Les masques faciaux, alors une denrĂ©e rare, Ă©taient trĂšs demandĂ©s. Lâarrestation de plusieurs personnes impliquĂ©es dans une transaction entre un fabricant de masques interpellĂ© lui aussi et une clinique, a fait Ă©chouer la transaction avant qu'elle soit conclue. Parmi les interpellĂ©s au cĂŽtĂ© de Nasser Ziane figurait Nabil Nouaydi, 30 ans, entrepreneur et fils de l'avocat des droits de humains Abdelaziz Nouaydi. AprĂšs six mois de dĂ©tention provisoire, Nasser Ziane a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă trois ans de prison pour divers chefs d'accusation dont escroquerie. Nabil Nouaydi a Ă©tĂ© condamnĂ©, Ă©galement aprĂšs six mois en dĂ©tention provisoire, Ă dix mois de prison pour contrefaçon de marque et mise sur le marchĂ© d'un produit non conforme aux conditions de sĂ©curitĂ© ».[159] Dans des entretiens sĂ©parĂ©s Ă Human Rights Watch, Abdelaziz Nouaydi et Mohamed Ziane ont dĂ©clarĂ© qu'ils soupçonnaient que les arrestations, les procĂšs et les condamnations de Nasser et de Nabil Ă©taient des reprĂ©sailles contre les positions politiques de leurs pĂšres. Le 20 mai 2021, une cour d'appel a confirmĂ© la peine de 10 mois de prison pour Nabil Nouaydi et augmentĂ© celle de Nasser Ziane Ă trois ans et six mois.[160] Attaques diverses Le 3 dĂ©cembre 2020, la cour d'appel de Rabat a suspendu Mohammed Ziane pour un an, l'empĂȘchant ainsi d'exercer sa profession d'avocat. Le tribunal a justifiĂ© la suspension par les Ă©clats dâaudience » et les plaidoiries hors contexte » de Ziane, notamment lors du procĂšs Bouachrine.[161] Ziane a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que depuis le dĂ©but de ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec la police, le bĂątonnier de l'ordre des avocats de Rabat l'avait appelĂ© plusieurs fois pour l'informer qu'il avait reçu des plaintes contre Ziane soulevĂ©es par ses anciens clients â notamment plusieurs dont les affaires avaient Ă©tĂ© classĂ©es, et certaines gagnĂ©es, depuis des annĂ©es. Le 30 novembre 2021, un procureur de Rabat a inculpĂ© Ziane pour onze chefs d'accusation outrage au personnel judiciaire et Ă fonctionnaires publics », outrage aux institutions », tentative d'influencer les dĂ©cisions de justice par des dĂ©clarations publiques », diffusion de fausses informations sur une femme en raison de son genre », diffusion de fausses informations dans le but de diffamer des personnes par des publications Ă©lectroniques », incitation Ă violer l'Ă©tat d'urgence sanitaire [en relation avec la pandĂ©mie de Covid-19] par des publications Ă©lectroniques », complicitĂ© d'adultĂšre », participation Ă des Ă©carts de conduite destinĂ©s Ă donner un mauvais exemple Ă des enfants », participation Ă la sortie clandestine d'un individu du territoire national », aide Ă un criminel Ă fuir et Ă Ă©chapper Ă une enquĂȘte le concernant » et harcĂšlement sexuel ».[162] Un site Web pro-Makhzen a dĂ©clarĂ© que certaines de ces plaintes contre l'avocat avaient Ă©tĂ© soulevĂ©es par le ministĂšre de l'IntĂ©rieur, dont un reprĂ©sentant a dĂ©clarĂ© au site Web que les fausses dĂ©clarations [de Ziane] constituent une diffamation pure et simple ».[163] Le 23 fĂ©vrier 2022, le tribunal de premiĂšre instance de Rabat a reconnu Ziane coupable pour toutes ces charges et l'a condamnĂ© Ă trois ans de prison. Il a fait appel le mĂȘme jour et est restĂ© provisoirement en libertĂ©. Le procĂšs en appel n'avait pas commencĂ© au moment de la mise sous presse de ce rapport. Bouachrine Patron de presse et journaliste purgeant actuellement 15 ans de prison, il a fait lâobjet de procĂšs dâopinion, de vidĂ©osurveillance par des camĂ©ras secrĂštement installĂ©es dans son bureau, de harcĂšlement par les mĂ©dias pro-Makhzen, de procĂ©dures judiciaires inĂ©quitables, de pressions exercĂ©es sur des personnes pour tĂ©moigner contre lui, et dâintimidation de son avocat de la dĂ©fense, notamment via la famille de ce dernier. AprĂšs avoir cofondĂ© et Ă©tĂ© rĂ©dacteur en chef du quotidien Al Massae ainsi que de lâhebdomadaire Al Jarida Al Oukhra, Taoufik Bouachrine a créé en 2007 le quotidien Akhbar Al-Yaoum. Ce journal indĂ©pendant a publiĂ© des articles et des Ă©ditoriaux sur la corruption dâĂtat, notamment parmi les cercles du palais royal. Dans un Ă©ditorial publiĂ© en aoĂ»t 2017, Bouachrine a critiquĂ© la gestion par le roi Mohammed VI des crises sociales et politiques au Maroc. Faisant rĂ©fĂ©rence Ă la cĂ©lĂ©bration de lâanniversaire du roi dans un palais royal balnĂ©aire alors que la rĂ©gion du Rif Ă©tait secouĂ©e par des manifestations massives, lâĂ©ditorial sâintitulait Gouverner nâest pas une promenade sur la plage ».[164] Arrestation et poursuites pour agression sexuelle Le 23 fĂ©vrier 2018, la police a arrĂȘtĂ© Bouachrine dans son bureau de Casablanca. Trois jours plus tard, un procureur lâa accusĂ© de traite dâĂȘtres humains par lâexploitation de leur vulnĂ©rabilitĂ© ; exploitation de lâinfluence et utilisation de la menace de diffamation Ă des fins sexuelles, de viol, dâabus sexuel et de harcĂšlement sexuel ; organisation dâactes de prostitution ; et dâutilisation dâappareils dâenregistrement pour des activitĂ©s pornographiques ». Le procureur lâa placĂ© en dĂ©tention provisoire et a transfĂ©rĂ© son affaire directement Ă la chambre criminelle du tribunal de Casablanca, arguant que lâaffaire Ă©tait prĂȘte pour le procĂšs, sans quâune enquĂȘte judiciaire soit nĂ©cessaire. Ces accusations Ă©taient basĂ©es sur une cinquantaine de clips vidĂ©o dâune durĂ©e allant de quelques secondes Ă quelques minutes, que la police a dĂ©clarĂ© avoir trouvĂ©s dans le bureau Bouachrine, et quâelle prĂ©tend quâil aurait enregistrĂ©s lui-mĂȘme. Selon trois personnes interrogĂ©es par Human Rights Watch, les vidĂ©os montraient apparemment Bouachrine â ou un homme lui ressemblant â dans des situations sexuelles plus ou moins explicites avec plusieurs femmes, dans le bureau de Bouachrine Ă Casablanca. En ce qui concerne le contenu exact des vidĂ©os, et en particulier si elles comportaient des scĂšnes dâagression sexuelle ou de coercition, les versions de lâaccusation et de la dĂ©fense divergent trĂšs largement. Human Rights Watch nâa pas Ă©tĂ© en mesure de vĂ©rifier le contenu des vidĂ©os, qui nâont Ă©tĂ© diffusĂ©es quâĂ huis clos au tribunal et nâont jamais Ă©tĂ© divulguĂ©es au public. Quelques articles sur des sites Web pro-Makhzen prĂ©sentaient des captures dâĂ©cran dont ils disaient quâelles Ă©taient tirĂ©es des vidĂ©os incriminantes montrant deux adultes se livrant Ă des activitĂ©s sexuelles.[165] Bouachrine a toujours niĂ© avoir installĂ© des camĂ©ras vidĂ©o et a affirmĂ© que des inconnus les avaient installĂ©es dans le faux plafond de son bureau et les y avaient laissĂ©es, Ă son insu, pendant plus dâun an. Bouachrine a soutenu quâil nâavait jamais connu ni soupçonnĂ© leur existence, jusquâau jour oĂč la police lâa arrĂȘtĂ© et lui a prĂ©sentĂ© les camĂ©ras, affirmant quâelle venait juste de les retirer de lâendroit oĂč elles Ă©taient cachĂ©es. Bouachrine ne les a pas vus en train de le faire car, Ă ce moment-lĂ , il Ă©tait dĂ©tenu dans un autre bureau des locaux du journal. Tout au long du procĂšs, les avocats de la dĂ©fense ont soutenu que les vidĂ©os avaient Ă©tĂ© manipulĂ©es, que Bouachrine nâĂ©tait pas reconnaissable dessus et quâil ne les avait pas enregistrĂ©es. Des femmes contraintes Ă tĂ©moigner contre Bouachrine Dans les jours qui ont suivi lâarrestation de Bouachrine, la journaliste Naima Lahrouri a dĂ©clarĂ© aux mĂ©dias que Bouachrine lâavait agressĂ©e sexuellement, et la journaliste Khouloud Jabri a affirmĂ© dans une interview quâil lâavait harcelĂ©e pour des relations sexuelles en Ă©change de faveurs professionnelles, ou en faisant allusion Ă des reprĂ©sailles professionnelles si elle rejetait ses avances.[166] Le jugement Ă©crit du tribunal de premiĂšre instance a citĂ© neuf plaignantes, dont Lahrouri et Jabri. Sur la base de rapports de police citant des extraits de leurs audiences, le tribunal a convoquĂ© trois autres femmes pour tĂ©moigner contre Bouachrine. MĂȘme si dossier judiciaire de premiĂšre instance mentionnaient la journaliste Amal Houari comme plaignante, celle-ci a dĂ©clarĂ© quâelle nâavait jamais acceptĂ© de porter plainte. Elle a Ă©crit sur son compte Facebook le 2 mars 2018 Bouachrine ne mâa pas violĂ©e, il nâa pas essayĂ© de me violer, je nâai jamais eu de relation sexuelle avec lui, et je nâai mĂȘme pas portĂ© plainte. Je ne sais pas dâoĂč viennent toutes ces choses. »[167] Quant Ă la journaliste Hanan Bakour, Ă©galement citĂ©e comme tĂ©moin contre Bouachrine, elle a fermement niĂ© dans des dĂ©clarations aux mĂ©dias toute relation romantique ou sexuelle avec lui, et a insistĂ© sur le fait quâil Ă©tait un ami et collĂšgue », ajoutant honte Ă ceux qui essaient de salir ma rĂ©putation et la sienne ».[168] Les 12 femmes, quâelles aient confirmĂ© les allĂ©gations dâagression sexuelle ou quâelles les aient niĂ©es, ont comparu devant le tribunal. Certaines sont venues volontairement, dâautres y ont Ă©tĂ© contraintes par la police. Le 6 juin 2018, la police sâest rendue Ă lâappartement de Bakour et a menacĂ© de lâarrĂȘter si elle ne les suivait pas au tribunal. Bakour sâest Ă©vanouie et a Ă©tĂ© emmenĂ©e Ă lâhĂŽpital. Plus tard dans la journĂ©e, elle a Ă©tĂ© transportĂ©e directement en ambulance de lâhĂŽpital au tribunal.[169] Une fois au tribunal, elle a fait ce quâelle a dĂ©crit plus tard Ă la presse comme une crise de nerfs » et nâa pas pu tĂ©moigner.[170] Le tribunal lâa convoquĂ©e de nouveau deux jours plus tard. Le 7 juin, la police a contraint Amal Houari Ă sortir du coffre dâune voiture, oĂč elle se cachait pour Ă©viter de comparaĂźtre devant le tribunal, selon plusieurs articles de presse.[171] Elle a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e et transportĂ©e au tribunal, puis placĂ©e en dĂ©tention provisoire immĂ©diatement aprĂšs la session pour entrave Ă la justice, ce qui a incitĂ© les avocats de la dĂ©fense de Bouachrine Ă se retirer temporairement du procĂšs pour protester contre ce quâils considĂ©raient comme des indications dâun parti pris du tribunal contre leur client. Houari a ensuite Ă©tĂ© poursuivie en Ă©tat de libertĂ© provisoire, de mĂȘme que les personnes prĂ©sentes dans la maison oĂč la voiture dans laquelle elle sâĂ©tait cachĂ©e Ă©tait garĂ©e. Elle et eux ont Ă©tĂ© reconnus coupables dâentrave Ă la justice et condamnĂ©s Ă un an de prison avec sursis.[172] Tout au long de cette pĂ©riode, les mĂ©dias pro-Makhzen ont soumis Houari Ă des allĂ©gations malveillantes incessantes sans rapport avec lâaffaire Bouachrine. Le 6 mars, Barlamane, un site Web dirigĂ© par un ancien haut responsable du ministĂšre de lâIntĂ©rieur, est allĂ© jusquâĂ publier un article intitulĂ© Amal Houari nie avoir Ă©tĂ© violĂ©e par un [homme politique], mais Barlamane confirme le viol ».[173] Ătant donnĂ© que les victimes de viol sont encore frĂ©quemment stigmatisĂ©es au Maroc, ce titre a Ă©tĂ© largement perçu comme une attaque contre Houari. Le 24 fĂ©vrier 2018, le lendemain de lâarrestation de Bouachrine, la police a convoquĂ© Afaf Bernani, membre du personnel dâAkhbar Al-Yaoum. Bernani dira plus tard Ă une journaliste amĂ©ricaine quâĂ son arrivĂ©e au poste, un policier a cognĂ© sur la table en lui criant Dis-nous tout ! Nous connaissons dĂ©jĂ la vĂ©ritĂ© ! ».[174] Elle a ajoutĂ© Je ne savais pas pourquoi jâĂ©tais lĂ , je ne savais pas de quoi il parlait. » Afaf Bernani a fourni plus de dĂ©tails dans un Ă©ditorial publiĂ© dans le Washington Post deux ans aprĂšs les faits Pendant plus de huit heures, les interrogateurs m'ont mis la pression agressivement pour que j'avoue que Bouachrine m'avait agressĂ©e sexuellement. Je dis avoueâ parce qu'Ă partir de ce moment, le choix Ă©tait clair soit je confirmais le rĂ©cit du rĂ©gime selon lequel jâĂ©tais une victimeâ, soit j'allais ĂȘtre traitĂ©e comme une criminelle. »[175] Bernani a assurĂ© Ă Human Rights Watch quâelle nâavait pas cĂ©dĂ©, refusant dâaccuser Bouachrine de lâavoir harcelĂ©e sexuellement parce quâil ne [lui] avait jamais rien fait ». Quelques jours aprĂšs lâinterrogatoire », a poursuivi Bernani, jâai vu non seulement que la police avait falsifiĂ© mes dĂ©clarations [pour me faire frauduleusement accuser Bouachrine], mais aussi que des extraits de mon prĂ©tendu tĂ©moignage avaient Ă©tĂ© divulguĂ©s Ă des mĂ©dias [pro-Makhzen]. » En rĂ©action, Bernani a dĂ©posĂ© le 8 mars une plainte pour faux auprĂšs de la Cour de cassation de Rabat, chargĂ©e de traiter les plaintes contre les forces de police.[176] La Cour de cassation a rejetĂ© la plainte de Bernani le mĂȘme jour. Selon Mohamed Ziane, lâavocat de Bernani, il nây a pas eu dâenquĂȘte avant la dĂ©cision du tribunal.[177] Le 12 mars 2018, a Ă©crit Bernani, la police [lâa] enlevĂ©e sans prĂ©senter de mandat », alors quâelle se cachait dans la maison dâune amie, aprĂšs avoir encerclĂ© le bĂątiment et coupĂ© lâeau et lâĂ©lectricitĂ© pour les forcer Ă sortir.[178] Ils mâont amenĂ©e directement au tribunal, oĂč le procureur mâa interrogĂ©e pendant plusieurs heures, insistant tout au long sur le fait que câĂ©tait moi qui aurais falsifiĂ© mon propre tĂ©moignage. » Ziane a expliquĂ© Ă Human Rights Watch que le procureur ce jour-lĂ avait pressĂ© Bernani de porter plainte contre son propre avocat Ziane pour avoir portĂ© plainte en [son] nom Ă [son] insu ou sans [son] consentement, sinon [elle] serait accusĂ©e dâavoir diffamĂ© la police ». Bernani a refusĂ© dâobtempĂ©rer. Le mĂȘme jour, le procureur lâa accusĂ©e de diffamation de la police. La premiĂšre session du procĂšs en diffamation de Bernani sâest tenue le 17 avril 2018, au tribunal de premiĂšre instance dâAin Sebaa Ă Casablanca. Ziane et Bernani ont dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch lors dâentretiens sĂ©parĂ©s quâils Ă©taient arrivĂ©s ensemble au palais de justice Ă 9h05. Le juge les a informĂ©s que leur audience avait dĂ©jĂ eu lieu Ă lâheure prĂ©vue, soit 9h00.[179] AprĂšs avoir pris note de lâabsence de lâaccusĂ©e et de son avocat, et aprĂšs que lâaccusation se soit abstenue de toute intervention, le tribunal a jugĂ© lâaffaire en moins de cinq minutes, puis a ajournĂ© pour dĂ©libĂ©rer. Un tribunal de premiĂšre instance de Casablanca a condamnĂ© Bernani Ă six mois de prison.[180] Pendant tout ce processus », a dĂ©crit Bernani, jâai Ă©tĂ© constamment harcelĂ©e et diffamĂ©e par des mĂ©dias alignĂ©s sur lâĂtat, qui dâun seul souffle sont passĂ©s de la sympathie pour moi en tant que victime prĂ©sumĂ©e dâune agression sexuelle, aux insultes, Ă la diffamation, et en me prĂ©sentant comme une coupable. »[181] En juin 2019, aprĂšs quâune cour dâappel a confirmĂ© sa condamnation pour diffamation de la police et avant que la peine soit exĂ©cutĂ©e, Afaf Bernani sâest enfuie en Tunisie, avant de sâinstaller aux Ătats-Unis en 2022.[182] Son harcĂšlement dans les mĂ©dias pro-Makhzen sâest poursuivi aprĂšs son dĂ©part et nâa toujours pas cessĂ© au moment de la rĂ©daction de ce rapport, deux ans plus tard.[183] Dâautres victimes prĂ©sumĂ©es ont maintenu leurs accusations Seules Bernani, Bakour ainsi quâune troisiĂšme femme ont refusĂ© de tĂ©moigner contre Bouachrine malgrĂ© les pressions intenses et multiformes exercĂ©es sur elles. Quant Ă Houari a finalement Ă©tĂ© radiĂ©e de la liste des plaignantes. Les huit autres femmes que le procureur avait initialement inscrites comme plaignantes le sont restĂ©es jusquâĂ la fin du procĂšs. Aucune dâelles nâest revenue sur son tĂ©moignage initial. Bernani a entendu deux dâentre elles exposer au tribunal que Bouachrine avait lâhabitude de les garder au bureau tard et de faire des avances physiques non dĂ©sirĂ©es. »[184] Bien que la plupart dâentre elles nâaient jamais fait de dĂ©clarations publiques au-delĂ du procĂšs, certaines dâentre elles ont accordĂ© des interviews rĂ©pĂ©tĂ©es, dont aux mĂ©dias pro-Makhzen, dans lesquelles elles rĂ©affirmaient constamment que Bouachrine les avait agressĂ©es sexuellement.[185] Kawtar Fal, lâune des femmes qui nâa donnĂ© aucune interview tout en maintenant sa plainte contre Bouachrine, a ensuite Ă©tĂ© accusĂ©e par les autoritĂ©s belges dâĂȘtre un agent des services de contre-espionnage marocains.[186] En juillet 2018, alors que le procĂšs Bouachrine Ă©tait toujours en cours, elle a Ă©tĂ© dĂ©tenue pendant plusieurs semaines en Belgique, puis expulsĂ©e du pays, soupçonnĂ©e dâespionnage.[187] En septembre 2020, des mĂ©dias français ont citĂ© un rapport de police belge justifiant la dĂ©tention et lâexpulsion de Fal La SĂ»retĂ© de lâĂtat [...] considĂšre que Mme Fal constitue une menace pour la sĂ©curitĂ© nationale, car elle a constatĂ© quâelle [est] activement impliquĂ©e dans des activitĂ©s de renseignement au profit du Maroc. »[188] Violations de procĂ©dure rĂ©guliĂšre Le procĂšs Bouachrine a durĂ© plus de 40 sĂ©ances. Abdelaziz Nouaydi, un avocat marocain des droits humains, a assistĂ© Ă toutes les sessions pour observer le procĂšs au nom de Human Rights Watch, jusquâĂ ce que le tribunal lui interdise lâentrĂ©e le 7 juin, aprĂšs avoir ordonnĂ© un procĂšs Ă huis clos. Au cours des sĂ©ances auxquelles il a assistĂ©, Nouaydi a dĂ©clarĂ© quâil avait notĂ© le rejet rĂ©pĂ©tĂ© par le juge des nombreuses requĂȘtes de la dĂ©fense au sujet de violations de procĂ©dure, notamment sa requĂȘte visant Ă rejeter des moyens de preuve qui, selon la dĂ©fense, avaient Ă©tĂ© obtenus illĂ©galement. Le 8 novembre 2018, la chambre pĂ©nale du tribunal de premiĂšre instance de Casablanca a condamnĂ© Bouachrine Ă 12 ans de prison pour traite dâĂȘtres humains, viol avec violence et agression sexuelle, et lâa condamnĂ© Ă verser Ă huit femmes des dommages et intĂ©rĂȘts allant de 150 000 Ă 800 000 dirhams 15 000 Ă 80 000 dollars US chacune. Le 27 octobre 2019, une cour dâappel a portĂ© la peine Ă 15 ans de prison.[189] En 2020, le Groupe de travail des Nations Unies sur la dĂ©tention arbitraire a conclu que les deux procĂšs avaient Ă©tĂ© entachĂ©s de violations de la procĂ©dure rĂ©guliĂšre et dâun harcĂšlement judiciaire attribuable Ă rien dâautre quâau journalisme dâinvestigation de M. Bouachrine ».[190] Mauvais traitements en prison DĂšs le premier jour de sa dĂ©tention Ă la prison dâAin El Borja Ă Casablanca en fĂ©vrier 2018, les autoritĂ©s ont gardĂ© Bouachrine dans une cellule individuelle, lâont empĂȘchĂ© de rencontrer dâautres prisonniers et ont interdit aux gardiens de lui parler, a expliquĂ© son Ă©pouse Ă Human Rights Watch. Selon lâEnsemble de rĂšgles minima de lâONU pour le traitement des dĂ©tenus, tout isolement carcĂ©ral qui dure plus de 15 jours consĂ©cutifs est considĂ©rĂ© comme un traitement cruel, inhumain ou dĂ©gradant. Bouachrine a Ă©tĂ© maintenu en isolement abusif pendant un an et deux mois.[191] Le ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants a notĂ© quâ il est gĂ©nĂ©ralement admis que toutes les formes dâisolement cellulaire sans stimulation mentale appropriĂ©e sont susceptibles, Ă long terme, dâavoir des effets dommageables entraĂźnant une dĂ©tĂ©rioration des facultĂ©s mentales et des capacitĂ©s sociales ». En avril 2018, lâĂ©pouse de Bouachrine a confiĂ© Ă Human Rights Watch quâelle Ă©tait prĂ©occupĂ©e par une tendance Ă la perte de mĂ©moire quâelle percevait lorsquâelle interagissait avec son mari.[192] 7. Soulaiman Raissouni Chroniqueur indĂ©pendant purgeant actuellement une peine de cinq ans de prison, il a Ă©tĂ© la cible de harcĂšlement de la part des mĂ©dias pro-Makhzen, et a fait lâobjet d'une dĂ©tention provisoire arbitraire prolongĂ©e. Soulaiman Raissouni, 50 ans, est un chroniqueur cĂ©lĂšbre qui a travaillĂ© pour plusieurs mĂ©dias marocains, dont les quotidiens Al Aoual et Al Massae. En 2018, il a succĂ©dĂ© Ă Taoufik Bouachrine, aprĂšs l'arrestation de ce dernier pour des accusations d'agressions sexuelles et de harcĂšlement, comme rĂ©dacteur en chef d'Akhbar Al-Yaoum, le dernier quotidien imprimĂ© au Maroc ayant une ligne Ă©ditoriale indĂ©pendante, avant sa fermeture en mars 2021.[193] Raissouni a attirĂ© l'attention pour avoir critiquĂ© le roi Mohamed VI et des personnalitĂ©s puissantes, telles que le chef de la police Abdellatif Hammouchi.[194] En 2019, les autoritĂ©s ont arrĂȘtĂ© Hajar Raissouni, journaliste d'Akhbar Al-Yaoum et niĂšce de Soulaiman, accusĂ©e d'avoir avortĂ© et eu des relations sexuelles hors mariage. Hajar Raissouni a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que ses interrogateurs de la police [lui] ont posĂ© plus de questions sur Souleiman que sur les fausses accusations portĂ©es contre [elle]. » Un tribunal de Rabat a condamnĂ© Hajar Raissouni Ă un an de prison, avant quâelle soit graciĂ©e par le roi. Dans un Ă©ditorial de mai 2020, Soulaiman Raissouni a critiquĂ© Hammouchi pour sa gestion du confinement national en rĂ©ponse Ă la pandĂ©mie de COVID-19, alors Ă©mergente.[195] Raissouni a fait remarquer que le nombre de personnes arrĂȘtĂ©es pour avoir enfreint le confinement dĂ©passait le nombre de personnes testĂ©es pour le virus, remettant en question ce qu'il a appelĂ© la gestion sĂ©curitaire d'une crise sanitaire ». AccusĂ© dâavoir molestĂ© un homme gay Le 14 mai 2020, un militant marocain des droits LGBT ĂągĂ© de 25 ans connu sous le pseudonyme d'Adam Mohammed ci-aprĂšs identifiĂ© comme Adam » a publiĂ© sur sa page Facebook personnelle une affirmation selon laquelle un homme l'avait agressĂ© sexuellement en 2018. Le post ne dĂ©signait pas nommĂ©ment Souleiman Raissouni mais il fournissait des dĂ©tails suffisants pour l'identifier. Adam avait fait la connaissance de l'Ă©pouse de Raissouni, la vidĂ©aste Khouloud Mokhtari, alors qu'elle l'interviewait pour un projet de film documentaire sur les personnes LGBT au Maroc. Dans sa publication sur Facebook, Adam a affirmĂ© que l'homme l'avait invitĂ© Ă l'appartement du couple le 15 septembre 2018, sous prĂ©texte d'une sĂ©ance de tournage.[196] Adam dĂ©clarait que l'homme lui avait dit que Mokhtari et un camĂ©raman seraient prĂ©sents, mais quâil a Ă©tĂ© surpris de constater qu'ils ne le soient pas. Il a ajoutĂ© qu'il avait Ă©galement Ă©tĂ© surpris lorsque l'homme lui avait dit que le tournage aurait lieu dans la chambre Ă coucher, mais qu'il l'avait nĂ©anmoins suivi. Une fois qu'il s'est assis sur le lit, selon ce quâAdam a dĂ©clarĂ© plus tard Ă la police dans une dĂ©claration signĂ©e, Raissouni a fermĂ© les stores et verrouillĂ© la porte, puis l'a poussĂ© sur le dos, a tenu ses mains en l'air avec force puis a commencĂ©, sans y ĂȘtre invitĂ©, Ă embrasser le cou d'Adam et Ă toucher ses fesses. Adam a expliquĂ© qu'il avait menacĂ© de crier aprĂšs avoir tentĂ© en vain de repousser son agresseur ; Ă ce moment, Raissouni l'a relĂąchĂ© et il a quittĂ© l'appartement, toujours selon le rĂ©cit dâAdam. L'incident allĂ©guĂ© s'est produit sans qu'aucun vĂȘtement ne soit retirĂ©. HarcĂšlement par les mĂ©dias pro-Makhzen Au lendemain de la publication du post dâAdam sur Facebook, prĂšs de deux ans aprĂšs les Ă©vĂ©nements allĂ©guĂ©s en question, Chouf TV, un site pro-Makhzen, l'a republiĂ© sous le titre PremiĂšre goutte de pluie avant lâaverse le petit Soulaiman doit apporter des Ă©claircissements aprĂšs qu'un homosexuel lâaccuse de harcĂšlement sexuel ».[197] L'averse » promise s'est dĂ©clenchĂ©e dans les jours suivants et poursuivie plusieurs semaines, sous la forme de dizaines dâarticles sur Chouf TV et dans d'autres mĂ©dias pro-Makhzen, dont Barlamane et Le360. Les articles Ă©taient truffĂ©s d'insultes vulgaires et d'accusations Ă caractĂšre sexuel contre Raissouni, notamment qu'il avait non seulement pleinement violĂ© » Adam Mohammed, mais Ă©galement qu'il vivait en concubinage avec une femme avec laquelle un membre de sa famille avait engendrĂ© un enfant illĂ©gitime » le membre de la famille de Raissouni et la femme ont Ă©tĂ© nommĂ©s et un extrait non censurĂ© de l'acte de naissance de l'enfant a Ă©tĂ© publiĂ©.[198] Raissouni a rĂ©pondu par quelques courts posts sur Facebook, accusant nommĂ©ment les directeurs de Barlamane et de Chouf TV, ainsi que de hauts responsables de l'Ătat, d'ĂȘtre des dĂ©viants sexuels », une expression arabe dĂ©sobligeante pour dĂ©signer les homosexuels. Ces posts, rĂ©digĂ©s en des termes explicites, n'ont fait qu'alimenter de nouvelles attaques contre Raissouni sur des sites pro-Makhzen. Chouf TV a publiĂ© une sĂ©rie d'articles â notamment des bandes annonces pour les Ă©pisodes Ă venir â truffĂ©s d'insultes vulgaires, sous des titres tels que Slaimina Show » Slaimina veut dire petit Soulaiman » en arabe et Haruniyat Soulaiman » ce qui peut ĂȘtre librement traduit par la dĂ©bauche de Soulaiman », en rĂ©fĂ©rence au calife du VIIIĂšme siĂšcle Harun al-Rashid, connu dans la culture populaire pour son style de vie dissolu.[199] Le 17 mai, Chouf TV a publiĂ© un article intitulĂ© Slaimina Raissouni Ceci est le dernier avertissement avant ta destruction ».[200] La police a arrĂȘtĂ© Raissouni cinq jours plus tard dans la rue, devant son domicile Ă Casablanca. Chouf TV Ă©tait lĂ pour filmer l'arrestation. [201] Raissouni est dĂ©tenu depuis lors. DĂ©tention provisoire injustifiĂ©e, procĂšs par contumace, rejet d'un tĂ©moin Le 20 mai 2020, Adam a Ă©tĂ© convoquĂ© pour interrogatoire dans un poste de police de Marrakech, oĂč il rĂ©sidait alors. Selon la transcription de son interrogatoire, que Human Rights Watch a examinĂ©e, Adam a confirmĂ© ce jour-lĂ que Raissouni Ă©tait l'auteur allĂ©guĂ© anonyme de l'agression sexuelle de 2018 qu'il avait signalĂ©e sur Facebook quelques jours plus tĂŽt. Un procureur a inculpĂ© Raissouni de sĂ©questration et d'attentat Ă la pudeur et a renvoyĂ© l'affaire devant un juge d'instruction. L'enquĂȘte judiciaire a durĂ© un an pendant lequel Raissouni est demeure en dĂ©tention provisoire, soit la durĂ©e maximale autorisĂ©e par la loi marocaine. Au cours de cette pĂ©riode, le tribunal a rejetĂ© dix demandes de libĂ©ration provisoire prĂ©sentĂ©es par la dĂ©fense de Raissouni, sans jamais fournir aucune justification dĂ©taillĂ©e de ces rejets. Selon les normes juridiques internationales, la dĂ©tention provisoire devrait ĂȘtre une mesure exceptionnelle. Lorsqu'un tribunal prive un suspect de libertĂ© jusqu'Ă son procĂšs, il doit en fournir une justification Ă©crite, substantielle et individualisĂ©e, et le dĂ©tenu doit comparaĂźtre devant le tribunal rapidement puis rĂ©guliĂšrement pour des audiences sur la nĂ©cessitĂ© de maintenir la dĂ©tention provisoire. Ni le procureur qui a initialement ordonnĂ© l'arrestation de Raissouni, ni le juge d'instruction qui a examinĂ© son affaire pendant plus d'un an, ni le juge qui a prĂ©sidĂ© le procĂšs, qui a dĂ©butĂ© le 9 fĂ©vrier 2021, n'ont jamais fourni une telle justification. Le 7 avril 2021, Raissouni a entamĂ© une grĂšve de la faim pour protester contre sa dĂ©tention provisoire. Le 15 avril, il a assistĂ© Ă une audience mais a affirmĂ© qu'il Ă©tait trop faible pour parler en raison de sa grĂšve de la faim, et a refusĂ© de rĂ©pondre aux questions du juge. AprĂšs cela, Raissouni a dĂ©clarĂ©, via ses avocats, qu'il assisterait aux prochaines audiences du procĂšs Ă condition d'ĂȘtre transportĂ© Ă la salle d'audience en ambulance et en fauteuil roulant, et sous surveillance mĂ©dicale. Le juge a rejetĂ© ces demandes et a poursuivi le procĂšs en l'absence de l'accusĂ©. Le juge a Ă©galement ordonnĂ© qu'un greffier rencontre Raissouni dans sa cellule aprĂšs chaque sĂ©ance pour l'informer du dĂ©roulement du procĂšs. La dĂ©fense de Raissouni a demandĂ© que les tribunaux de premiĂšre instance et d'appel qui le jugeaient convoquent une femme de mĂ©nage dont Raissouni a dĂ©clarĂ© quâelle se trouvait dans l'appartement le jour de l'agression prĂ©sumĂ©e. Les deux juges ont rejetĂ© la demande. Le jugement de premiĂšre instance a justifiĂ© le rejet par Ă©crit ainsi Les juges ne sont pas tenus d'entendre les tĂ©moins tant que la preuve des faits n'est pas subordonnĂ©e Ă leur tĂ©moignage. » Nul ne sait ce que ce tĂ©moin aurait dĂ©clarĂ©, si elle avait tĂ©moignĂ©, et comment cela aurait pu aider Raissouni. Un Ă©lĂ©ment de preuve clĂ© pour le tribunal Ă©tait un enregistrement audio d'une conversation qui aurait eu lieu entre Raissouni et Adam, quelques minutes aprĂšs lâagression allĂ©guĂ©e du 15 septembre 2018. Selon Adam, peu de temps aprĂšs avoir quittĂ© la maison de son agresseur allĂ©guĂ©, Raissouni l'a appelĂ© sur son tĂ©lĂ©phone et lui a demandĂ© de l'attendre dans une rue voisine, car il voulait lui parler. Raissouni, selon le rĂ©cit d'Adam, lâa rejoint quelques minutes plus tard et a briĂšvement discutĂ© avec lui. Adam a dĂ©clarĂ© Ă la police et au tribunal qu'il avait mis son tĂ©lĂ©phone portable en mode enregistrement et l'avait cachĂ© dans sa poche pendant la conversation. L'enregistrement, prĂ©sentĂ© au tribunal, comportait une conversation d'une minute et 19 secondes entre deux personnes avec le bruit de la rue en arriĂšre-plan. Le jugement Ă©crit, examinĂ© par Human Rights Watch, contient une transcription de cette conversation, qui a ensuite Ă©tĂ© divulguĂ©e et publiĂ©e en format audio sur Barlamane. Dans l'enregistrement, l'individu 1 dit Ă l'individu 2 qu'il Ă©tait son ami », auquel l'individu 2 rĂ©torque l'amitiĂ© est une chose, mais ce que tu as fait est autre chose. » L'individu 1 rĂ©pond c'Ă©tait un malentendu » et plaide pour que l'individu 2 ne dramatise pas les choses. » AprĂšs que l'individu 2 ait dit qu'il "allait rencontrer Khouloud", l'individu 1 rĂ©pond D'accord, alors nous ne nous sommes jamais rencontrĂ©s aujourd'hui, okay ? »[202] Le 18 septembre 2020, le juge d'instruction en charge de lâaffaire a ordonnĂ© une expertise de l'enregistrement audio. Adam, qui a Ă©tĂ© convoquĂ©, s'est identifiĂ© comme l'individu 2 et a acceptĂ© d'enregistrer un Ă©chantillon de sa voix. L'expertise technique prĂ©cisera plus tard que l'Ă©chantillon de voix d'Adam correspondait Ă la voix de l'individu 2. InterrogĂ© par le juge d'instruction s'il Ă©tait l'individu 1, Raissouni a refusĂ© de rĂ©pondre, puis a refusĂ© de faire enregistrer sa voix. Les avocats de Raissouni ont justifiĂ© le refus de coopĂ©ration de leur client par le fait que le procureur a prĂ©sentĂ© cette preuve sous la forme d'un fichier audio gravĂ© sur un DVD, plutĂŽt que de produire le vĂ©ritable smartphone sur lequel la conversation aurait Ă©tĂ© enregistrĂ©e. L'un des avocats a dĂ©clarĂ© au tribunal que, puisque le fichier audio Ă©tait une copie plutĂŽt que l'original, ils ne pouvaient pas exclure qu'il ait Ă©tĂ© falsifiĂ©. Le 10 juillet, le tribunal a reconnu Raissouni, qui n'avait encore jamais Ă©tĂ© reconnu coupable d'aucune infraction pĂ©nale, coupable d'avoir retenu un homme de maniĂšre non consensuelle pendant quelques instants, de l'avoir briĂšvement touchĂ© sur une partie intime de son corps, puis de l'avoir relĂąchĂ© aprĂšs que l'homme eut menacĂ© de crier. Le tribunal a estimĂ© que ces faits justifiaient cinq ans de prison. Raissouni a mis fin Ă sa grĂšve de la faim le 4 aoĂ»t 2021, environ trois mois aprĂšs l'avoir commencĂ©e. Le 23 fĂ©vrier 2022, la Cour d'appel de Casablanca a confirmĂ© la condamnation en premiĂšre instance contre Raissouni. Non-application sĂ©lective d'une loi injuste Le jugement Ă©crit du tribunal a affirmĂ© au moins trois fois qu'Adam Ă©tait gay. Selon ce document, câest ce quâAdam a dĂ©clarĂ© Ă ses interrogateurs de la police et au juge d'instruction chargĂ© de l'affaire. Son avocat a Ă©galement affirmĂ© devant le tribunal qu'Adam s'identifiait comme un homme gay. L'article 489 du code pĂ©nal marocain criminalise les relations homosexuelles et les punit de six mois Ă trois ans de prison et d'amendes pouvant aller jusqu'Ă 1 000 dirhams environ 100 dollars US. Au fil des ans, le Maroc a poursuivi et emprisonnĂ© des hommes en vertu de l'article 489, mĂȘme lorsqu'il n'y avait aucune preuve qu'ils s'Ă©taient livrĂ©s Ă des actes sexuels entre personnes de mĂȘme sexe. Le fait qu'Adam ait Ă©chappĂ© aux poursuites alors qu'il avait ouvertement dĂ©clarĂ© aux autoritĂ©s qu'il Ă©tait homosexuel est une Ă©volution bienvenue que Human Rights Watch salue. Ce prĂ©cĂ©dent soulĂšve cependant un doute important celui que les autoritĂ©s appliquent la loi de maniĂšre sĂ©lective, ayant choisi de ne pas poursuivre Adam seulement parce que cela servait leurs fins, et non parce qu'elles souhaitent respecter les droits garantis internationalement aux personnes LGBT . Dans un rapport publiĂ© en 2020, le bureau du parquet gĂ©nĂ©ral a indiquĂ© que 283 adultes ont Ă©tĂ© poursuivis au Maroc pour avoir eu des relations homosexuelles. 8. Omar Radi Journaliste dâinvestigation purgeant actuellement une peine de six ans de prison, il a Ă©tĂ© harcelĂ© sur les mĂ©dias pro-Makhzen, poursuivi pour certaines accusations qui semblent politiquement motivĂ©es, fait lâobjet de procĂ©dures judiciaires inĂ©quitables, dâune dĂ©tention provisoire prolongĂ©e sans justification, de surveillance Ă©lectronique, ainsi que dâune agression physique suspecte. Omar Radi, 36 ans, est un journaliste dâinvestigation qui a collaborĂ© avec de nombreux mĂ©dias marocains et internationaux.[203] Il est aussi un membre actif de lâAssociation marocaine des droits de lâhomme, la plus grande organisation de dĂ©fense des droits humains du pays, harcelĂ©e par les autoritĂ©s pendant des dĂ©cennies.[204] Radi est Ă©galement un activiste pour les droits sociaux et Ă©conomiques qui a Ă©tĂ© actif dans diverses organisations non gouvernementales, notamment pour la dĂ©fense de la libertĂ© de la presse et des droits fonciers. Il a Ă©tĂ© vice-prĂ©sident dâAttac Maroc, la branche locale dâune organisation anti-mondialisation qui promeut lâaction civique en rĂ©ponse aux excĂšs perçus du capitalisme mondial. En 2013, il a co-Ă©crit un article dâinvestigation primĂ© sur les carriĂšres de sable.[205] Ce secteur lucratif est considĂ©rĂ© comme un foyer de corruption dâĂtat au Maroc, car lâexploitation des carriĂšres ne peut ĂȘtre rĂ©alisĂ©e quâavec des permis dâĂtat, que le palais royal distribue sur une base discrĂ©tionnaire et opaque, notamment Ă des dignitaires proches du palais royal.[206] En 2016, Radi Ă©tait Ă lâorigine du la rĂ©vĂ©lation du scandale de corruption dit des serviteurs de lâĂtat » ; un site dâinformation marocain, avait publiĂ© une liste dâune centaine de noms de hauts fonctionnaires qui auraient acquis des terrains publics Ă seulement une fraction de leur valeur marchande.[207] MĂȘme si lâarticle original nâĂ©tait pas signĂ©, Radi a rĂ©vĂ©lĂ© plus tard ĂȘtre le journaliste qui avait obtenu la liste confidentielle.[208] En 2018, Radi a co-rĂ©alisĂ© le film documentaire La mort plutĂŽt que lâhumiliation », qui dĂ©fendait fermement le Hirak, un mouvement de protestation qui a secouĂ© la rĂ©gion du Rif au nord du Maroc en 2017.[209] Environ 500 militants ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s, torturĂ©s dans des postes de police et condamnĂ©s Ă des annĂ©es de prison Ă lâissue de procĂšs entachĂ©s dâirrĂ©gularitĂ©s.[210] En 2018 Ă©galement, Radi a participĂ© Ă un talk-show sur YouTube dans lequel il critiquait le roi ainsi que des hauts responsables quâil dĂ©signait par leur nom, notamment le chef de la police Abdellatif Hammouchi, rĂ©putĂ© ĂȘtre le second personnage le plus puissant du royaume.[211] Ă un moment donnĂ©, prenant un risque manifeste, Radi a mis en garde le roi Mohammed VI contre Hammouchi, laissant entendre que les mĂ©thodes brutales de ce dernier retourneraient la jeune gĂ©nĂ©ration de Marocains contre la monarchie.[212] Lors de la mĂȘme Ă©mission, Radi a affirmĂ© que le ministĂšre de lâIntĂ©rieur avait abritĂ© le plus grand systĂšme de corruption du pays de tous les temps », en rĂ©fĂ©rence Ă un programme social lancĂ© par le roi et administrĂ© par ce ministĂšre au milieu des annĂ©es 2000. Radi a appelĂ© dans la foulĂ©e Ă la dissolution du ministĂšre de lâIntĂ©rieur. Un mois plus tard, le ministĂšre a demandĂ© Ă un tribunal de dissoudre lâONG qui avait offert ses locaux au talk-show, au motif que ce dernier comprenait des insultes envers les institutions », citant certaines des dĂ©clarations de Radi pendant lâĂ©mission. Le tribunal a ordonnĂ© sa dissolution le 26 dĂ©cembre 2020. EmprisonnĂ© pour un tweet Le 6 avril 2019, Radi a tweetĂ© Lahcen Tolfi, juge de la cour dâappel, bourreau de nos frĂšres, souvenons-nous bien de lui. Dans beaucoup de rĂ©gimes, les petits bras comme lui sont revenus supplier aprĂšs en prĂ©tendant avoir "exĂ©cutĂ© des ordres". Ni oubli ni pardon avec ces fonctionnaires sans dignitĂ© ». [213] Radi a tweetĂ© ce message quelques minutes aprĂšs quâun tribunal dâappel, prĂ©sidĂ© par Tolfi, ait confirmĂ© les verdicts du tribunal de premiĂšre instance contre les leaders du Hirak, condamnĂ©s en juin 2018 Ă des peines allant jusquâĂ 20 ans de prison â en grande partie sur la base de dĂ©clarations arrachĂ©es sous contrainte policiĂšre.[214] Neuf mois se sont Ă©coulĂ©s avant que la police ne convoque Radi pour interrogatoire. Quand il sâest prĂ©sentĂ© le 26 dĂ©cembre 2019, un procureur de Casablanca lâa accusĂ© dâ insulte Ă un magistrat » et a ordonnĂ© sa dĂ©tention ainsi que son renvoi immĂ©diat en justice. Le seul fondement de lâaccusation Ă©tait son tweet du 6 avril. Radi a passĂ© six jours en dĂ©tention provisoire avant dâĂȘtre libĂ©rĂ© sous caution, Ă la suite dâune campagne de soutien international. Le 17 mars 2020, il a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă quatre mois de prison avec sursis pour insulte Ă un magistrat. Le verdict a Ă©tĂ© confirmĂ© en appel en dĂ©cembre 2020. Une agression sans enquĂȘte Le 7 juillet 2019, Radi conduisait sa voiture vers minuit Ă Ain Sebaa, une banlieue de Casablanca, lorsquâun motocycliste lui a barrĂ© la route. Alors quâil essayait de contourner lâhomme Ă moto, a racontĂ© Radi Ă Human Rights Watch, une dizaine dâautres hommes sont sortis de lâombre et ont commencĂ© Ă fracasser sa voiture Ă coups de bĂąton, de pierres et de briques. Les assaillants ont rĂ©ussi Ă briser la vitre du passager avant que Radi ne parvienne finalement Ă fuir la scĂšne. La mĂšre de Radi a ensuite fourni Ă Human Rights Watch des photos montrant les lourds dĂ©gĂąts infligĂ©s au vĂ©hicule.[215] Le lendemain matin, Radi sâest rendu Ă un poste de police Ă Ain Sebaa et a dĂ©posĂ© plainte. Un policier a promis une enquĂȘte, a fourni Ă Radi un reçu avec un cachet de la police ainsi quâun numĂ©ro de dossier, et lui a dit dâutiliser ce numĂ©ro pour suivre lâĂ©tat de sa plainte au tribunal dâAin Sebaa. Quelques mois plus tard, son avocat sâest rendu au tribunal afin de vĂ©rifier lâavancement de la plainte. Il a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que le numĂ©ro de sĂ©rie indiquĂ© sur le reçu Ă©tait faux et ne correspondait Ă aucun dossier judiciaire existant. Surveillance numĂ©rique et infection par un logiciel espion Le 22 juin 2020, Amnesty International a signalĂ© Ă Radi que son smartphone avait Ă©tĂ© pris pour cible par Pegasus, un puissant logiciel espion dĂ©veloppĂ© par la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne NSO Group.[216] Une fois introduit subrepticement sur un tĂ©lĂ©phone mobile, le logiciel obtient un accĂšs complet Ă son contenu, le transformant en appareil de surveillance secrĂšte de son dĂ©tenteur. Dans une dĂ©claration du 2 juillet 2020, un porte-parole du gouvernement a niĂ© avec vĂ©hĂ©mence toute surveillance Ă©lectronique dâopposants.[217] Le porte-parole a dĂ©plorĂ© une campagne internationale injuste de diffamation » contre le Maroc. Un prĂ©cĂ©dent rapport dâAmnesty International avait documentĂ© lâutilisation du mĂȘme logiciel espion contre les dĂ©fenseurs marocains des droits humains Maati Monjib et Abdessadak El Bouchattaoui.[218] En juillet 2021, une sĂ©rie dâarticles dâinvestigation publiĂ©s par le consortium journalistique international Forbidden Stories indiquait que le smartphone de Radi faisait partie de milliers dâautres ciblĂ©s par les autoritĂ©s marocaines via Pegasus.[219] Le Maroc a poursuivi le collectif et Amnesty International, ainsi que diffĂ©rents mĂ©dias qui avaient relayĂ© leurs conclusions, pour diffamation. Le Maroc a perdu le procĂšs en mars 2022. Campagne de harcĂšlement par les mĂ©dias pro-Makhzen Entre le 7 juin et le 15 septembre 2020, Human Rights Watch a dĂ©nombrĂ© au moins 136 articles attaquant personnellement Radi, sa famille et ses partisans sur les sites pro-Makhzen Chouf TV, Barlamane et Le360, dans leurs versions arabe et française. Les articles comprenaient des insultes vulgaires Ă lâĂ©gard de Radi et des informations personnelles Ă son sujet, notamment ses opĂ©rations bancaires personnelles, des allĂ©gations selon lesquelles il souffrait de graves problĂšmes de santĂ© mentale ainsi que de toxicomanie, et quâil avait violĂ© une femme 13 ans plus tĂŽt ladite femme, contactĂ©e plus tard par un media français, a catĂ©goriquement niĂ© lâallĂ©gation.[220] Les articles ont Ă©galement divulguĂ© le nom dâune ancienne colocataire de Radi, allĂ©guant quâils avaient une relation intime, et dâinnombrables dĂ©tails biographiques, notamment sur lâenfance de Radi, ses parents et plusieurs de ses amis et membres de son comitĂ© de soutien. Enfin, Chouf TV a publiĂ© la date dâarrestation de Radi cinq jours Ă lâavance.[221] HarcĂšlement policier et judiciaire Le 24 juin 2020, deux jours seulement aprĂšs quâAmnesty International ait dĂ©clarĂ© publiquement que Radi Ă©tait sous surveillance Ă©lectronique, les autoritĂ©s lâont placĂ© sous interdiction de quitter le territoire, et la police judiciaire lâa convoquĂ© pour interrogatoire.[222] Il subira douze sĂ©ances dâinterrogatoire de six Ă neuf heures chacune, pour un total de 97 heures en moins de cinq semaines, selon les calculs de Reporters sans frontiĂšres.[223] Le procureur de Casablanca qui a ordonnĂ© les interrogatoires a accusĂ© Radi dâ espionnage » pour des gouvernements, des entreprises et des organisations Ă©trangers. Driss Radi, le pĂšre dâOmar, a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que la surveillance policiĂšre constante ainsi que la campagne fĂ©roce dans les mĂ©dias pro-Makhzen sâapparentaient Ă de la torture psychologique » pour son fils. Le pĂšre a fourni en appui une note dâun psychiatre datĂ©e du 28 juillet 2020, que Human Rights Watch a examinĂ©e, certifiant que la santĂ© mentale dâOmar exigeait un arrĂȘt de travail » pendant 30 jours, avec effet immĂ©diat. La police a arrĂȘtĂ© Omar Radi le lendemain, le 29 juillet 2020. Il est derriĂšre les barreaux depuis cette date. Le procureur, puis un juge dâinstruction, puis le juge de premiĂšre instance puis celui dâappel ont rejetĂ© au moins vingt demandes de libĂ©ration provisoire â mĂȘme si Radi avait une adresse connue au Maroc, quâil sâĂ©tait engagĂ© Ă participer pleinement au processus judiciaire, et quâil ne prĂ©sentait aucun risque de fuite apparent en raison de son interdiction de voyager. Selon les normes juridiques internationales, le droit Ă la prĂ©somption dâinnocence exige que, lorsque les autoritĂ©s judiciaires privent un suspect de sa libertĂ©, elles fournissent une justification Ă©crite, individualisĂ©e et substantielle de la dĂ©tention provisoire â justification que le suspect peut contester, et qui doit ĂȘtre soumise Ă un examen rapide, puis pĂ©riodique, par des magistrats indĂ©pendants de celui qui ordonnĂ© la dĂ©tention. Le tribunal ne fournira jamais Ă Radi aucune justification de ce type, et le maintiendra en dĂ©tention provisoire pendant une annĂ©e entiĂšre. Sur les 15 audiences que durera le procĂšs de premiĂšre instance, les avocats de Radi rĂ©itĂ©reront 12 fois leur demande de mise en libertĂ© provisoire de leur client. Le juge rejettera la demande Ă chaque fois, avec la mĂȘme justification tenant en une ligne Les actes attribuĂ©s Ă lâaccusĂ©, Omar Radi, sont dâune grande gravitĂ© et constituent une violation de la sĂ©curitĂ© et de lâordre public ». Poursuites pour espionnage » Le 2 juillet 2020, un porte-parole du gouvernement a dĂ©clarĂ© que Radi faisait lâobjet dâune enquĂȘte pour avoir vraisemblablement nui Ă la sĂ©curitĂ© de lâĂtat ». Lâaffaire Ă©tait basĂ©e sur trois groupes de preuves des textos que Radi avait Ă©changĂ©s avec un diplomate nĂ©erlandais, prĂ©alablement Ă une rĂ©union au cours de laquelle les deux hommes ont discutĂ© des troubles dans le Rif ; des contrats que Radi avait signĂ©s avec deux sociĂ©tĂ©s de conseil britanniques afin de mener des recherches sur les secteurs financier et agricole marocains ; une subvention de recherche quâil avait reçue de la Fondation Bertha pour enquĂȘter sur les expropriations fonciĂšres au Maroc. Le dossier, que Human Rights Watch a examinĂ© en dĂ©tail, ne contient aucune preuve que Radi ait fait quoi que ce soit dâautre que des travaux journalistiques ou de recherche sur des entreprises due diligence » ordinaires, et maintenir le contact avec des diplomates, comme le font beaucoup de journalistes et de chercheurs de maniĂšre routiniĂšre. Le dossier ne contient aucune preuve quâil ait fourni des renseignements secrets Ă quiconque ni mĂȘme quâil ait, Ă la base, jamais obtenu de tels renseignements. 1. Lâambassade des Pays-Bas au Maroc Fin 2017, alors que des manifestations socio-Ă©conomiques massives et quasi-totalement pacifiques secouaient la rĂ©gion du Rif au nord du Maroc, Radi sâest frĂ©quemment rendu dans cette rĂ©gion pour prĂ©parer un documentaire sur le mouvement de protestation du Hirak ». Câest pendant cette pĂ©riode quâun juge a approuvĂ© la requĂȘte, Ă©mise par un procureur, de mettre le tĂ©lĂ©phone de Radi sur Ă©coute. Alors que ses communications Ă©taient sous surveillance, Radi a Ă©changĂ© des SMS avec un diplomate travaillant Ă lâambassade des Pays-Bas Ă Rabat. Ces SMS, examinĂ©s par Human Rights Watch, ne contenaient rien de plus que des dispositions afin dâorganiser des rencontres entre les deux hommes. InterrogĂ© par la police, Radi a insistĂ© sur le fait que ses Ă©changes avec le diplomate Ă©taient des conversations de routine sur lâĂ©volution des Ă©vĂ©nements au Maroc, en particulier dans le Rif. Comme le montre le jugement Ă©crit de la Cour, examinĂ© par Human Rights Watch, le procureur a soutenu que les contacts de Radi avec des diplomates nĂ©erlandais violaient lâarticle 191 du Code pĂ©nal marocain, qui interdit de porter atteinte Ă la sĂ©curitĂ© extĂ©rieure de lâĂtat en entretenant une relation de renseignement avec des agents dâune autoritĂ© Ă©trangĂšre, dans le but ou Ă lâeffet de nuire Ă la situation diplomatique du Maroc ». La collecte dâinformations non classifiĂ©es sur les conditions sociales ou les actions gouvernementales, et leur partage avec dâautres parties, par quelque moyen que ce soit, sont protĂ©gĂ©es par le droit internationalement reconnu de rechercher, recevoir et communiquer des informations et des idĂ©es de toutes sortes, sans distinction de frontiĂšres » â un droit protĂ©gĂ© par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Maroc a ratifiĂ© en 1979.[224] Que de telles informations puissent donner une mauvaise impression des personnes au pouvoir, ou que le destinataire puisse les utiliser pour les critiquer, ne justifie pas de criminaliser leur collecte ou leur diffusion. En outre, lâaccusation de nuire Ă la position diplomatique [dâune nation] » est formulĂ©e de maniĂšre trop vague et risque ainsi dâĂȘtre utilisĂ©e pour criminaliser des actes qui ne devraient pas lâĂȘtre, y compris des actes dâexpression pacifique. La formulation vague de cette infraction ouvre la porte Ă des interprĂ©tations arbitraires de la part des juges, empĂȘchant une personne de prĂ©dire raisonnablement quels actes seraient considĂ©rĂ©s comme des crimes. Le ministre nĂ©erlandais des Affaires Ă©trangĂšres, Ben Knapen, a adressĂ© une lettre au parlement nĂ©erlandais le 14 octobre 2021, dĂ©clarant que son gouvernement rejette les accusations dâespionnage [en rĂ©fĂ©rence aux contacts de Radi avec des diplomates nĂ©erlandais], et a transmis ce message Ă lâambassadeur du Maroc Ă La Haye. »[225] Sa lettre ajoute Il a Ă©tĂ© soulignĂ© que les ambassades sont libres dâentretenir des contacts avec les journalistes, [et que] cela fait partie de [leurs] activitĂ©s rĂ©guliĂšres. » Selon Knapen, les autoritĂ©s marocaines ont rĂ©pondu que, bien quâelles attachent une grande importance aux bonnes relations avec les Pays-Bas », elles ne peuvent pas interfĂ©rer avec un processus judiciaire ». 2. SociĂ©tĂ©s britanniques de conseil en Ă©conomie Selon un article publiĂ© le 15 juillet 2020 par le site dâinformation Le Desk, pour lequel travaillait Radi, une sociĂ©tĂ© britannique de consulting Ă©conomique avait engagĂ© Radi en juillet 2018 en tant que consultant local en Ă©valuation de risques.[226] Radi devait conduire des entretiens avec des acteurs du secteur financier du royaume, afin dâĂ©tablir un profil des associĂ©s dâune entreprise marocaine de services financiers, pour le compte dâun client de la sociĂ©tĂ© britannique qui envisageait dây investir. Pour ce travail, Radi a reçu lâĂ©quivalent de 1 500 dollars US. DâaprĂšs lâarticle du Desk, le contact de Radi pour ce travail dans la sociĂ©tĂ© britannique Ă©tait un officier Ă la retraite du Foreign Office ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres du Royaume-Uni, dont le nom Ă©tait mentionnĂ© dans une prĂ©tendue liste dâofficiers du MI6, le service de renseignements extĂ©rieurs du pays.[227] Radi a dĂ©clarĂ© quâĂ lâĂ©poque, il ignorait tout dâune quelconque affiliation aux services secrets de son interlocuteur au sein de la sociĂ©tĂ© britannique de consulting Ă©conomique, et a niĂ© avoir fourni Ă cette personne, ou Ă cette sociĂ©tĂ©, tout service autre que de la recherche standard sur des sociĂ©tĂ©s privĂ©es. Le procureur a pourtant conclu que les services de Radi ne relevaient pas dâune innocente activitĂ© de consulting, mais plutĂŽt dâespionnage. Il est parvenu Ă la mĂȘme conclusion concernant le travail de recherche sur le secteur agricole marocain, fournies par Radi a une autre sociĂ©tĂ© de consulting britannique, pour lequel il a Ă©tĂ© paye lâĂ©quivalent de 450 dollars US. Les tĂąches effectuĂ©es par Radi pour ces sociĂ©tĂ©s, ainsi que ses contacts avec lâambassade des Pays-Bas, constituent le fondement de lâaccusation dâ atteinte Ă la sĂ»retĂ© extĂ©rieure » en vertu de lâarticle 191 du code pĂ©nal. Le dossier dâaccusation, et le rapport de police sur lequel il se fonde, ne semblent pourtant contenir aucune preuve sur la nature des Ă©lĂ©ments fournis par Radi Ă lâune ou lâautre sociĂ©tĂ© et constituant le crime dâespionnage, ni sur le fait quâil les aurait fournis en sachant que cela porterait atteinte Ă la sĂ»retĂ© de lâĂtat. La collecte et le partage dâinformations non classifiĂ©es sur des activitĂ©s commerciales devraient gĂ©nĂ©ralement ĂȘtre des activitĂ©s protĂ©gĂ©es en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Maroc a ratifiĂ© en 1979. 3. La Fondation Bertha En janvier 2019, la Fondation Bertha, basĂ©e Ă GenĂšve, a octroyĂ© une bourse fellowship Ă Radi. Cette fondation offre des fellowships » rĂ©munĂ©rĂ©s Ă des journalistes et activistes qui Ćuvrent en faveur de changements Ă©conomiques et sociaux. Lâobjectif de cette bourse Ă©tait que Radi conduise des recherches sur lâimpact social des expropriations de terrains pour cause dâutilitĂ© publique au Maroc. Selon le ComitĂ© pour la protection des journalistes CPJ, le projet de fellowship de Radi consistait Ă faire des recherches sur les abus liĂ©s Ă lâexpropriation des terres, par lesquelles lâĂtat achetait des terres collectives appartenant Ă des tribus pour trĂšs peu dâargent, puis les vendait Ă des sociĂ©tĂ©s privĂ©es en rĂ©alisant un profit maximal.[228] Au cours de son fellowship dâun an, les recherches [de Radi] ne se sont pas seulement concentrĂ©es sur des expropriateurs de terres â ce qui peut dĂ©ranger les autoritĂ©s marocaines â mais plus globalement sur le problĂšme systĂ©mique de la dĂ©possession. Les petits agriculteurs et les membres de tribus que [Radi] a Ă©tudiĂ©es continuent de sâappauvrir tandis que les expropriateurs de continuent de sâenrichir. » La bourse faisait partie dâun programme appelĂ© Bertha Challenge, qui soutient les fellows » de Bertha pour quâils rĂ©pondent Ă la question suivante Comment la collusion entre propriĂ©tĂ©, profit et politique contribue-t-elle aux injustices fonciĂšres et de logement, et que peut-on faire pour y remĂ©dier ? » [229] Pour le procureur, cela signifiait que Radi, sous commande dâune organisation Ă©trangĂšre, avait acceptĂ© une tĂąche dont lâobjectif Ă©tait de susciter, au sein de la population marocaine, un sentiment dâinjustice au sujet des expropriations de terres. Les activitĂ©s de Radi, a dĂ©clarĂ© le procureur, justifiaient des accusations en vertu de lâarticle 206 nuire Ă la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure de lâĂtat en recevant une rĂ©munĂ©ration dâune entitĂ© Ă©trangĂšre pour une activitĂ© ou une propagande qui pourrait Ă©branler la loyautĂ© que les citoyens doivent Ă lâĂtat et aux institutions du peuple marocain ». Lâexamen, lâanalyse et la formulation de commentaires sur les politiques publiques et leur impact sont des activitĂ©s protĂ©gĂ©es en vertu des normes internationales des droits humains. Engager des poursuites contre un individu pour sâĂȘtre livrĂ© Ă de telles activitĂ©s constitue une violation flagrante du droit Ă la libertĂ© dâexpression, garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Maroc a ratifiĂ©. En outre, lâaccusation de porter atteinte Ă la loyautĂ© que les citoyens doivent Ă lâĂtat et aux institutions du peuple marocain » est floue et vague, et peut ĂȘtre utilisĂ©e pour criminaliser des actes lĂ©gaux et lĂ©gitimes qui relĂšvent du droit Ă la libertĂ© dâexpression. Ici aussi, la formulation de lâinfraction en termes vagues permet des interprĂ©tations arbitraires par les juges, empĂȘchant les personnes de prĂ©dire raisonnablement que leurs actions pourraient ĂȘtre interprĂ©tĂ©es comme des crimes. Poursuites pour ivresse publique, violence et insultes Le 6 juillet 2020, les autoritĂ©s ont inculpĂ© Radi pour ivresse publique manifeste », violences et insultes. Ces accusations dĂ©coulent dâune altercation qui avait opposĂ© dâune part Radi et Imad Stitou, un collĂšgue journaliste au Desk, et dâautre part Karim Alaoui, un camĂ©raman pour le site pro-Makhzen Chouf TV, devant un pub Ă Casablanca. Lâincident sâest produit le 5 juillet, au beau milieu des cinq semaines dâinterrogatoires-marathon auxquelles la police judiciaire avait soumis Radi pour espionnage » avant son arrestation. Dans une vidĂ©o de lâincident, on entend Alaoui hurler des insultes Ă Radi, le traitant de voleur » et d' ivrogne ».[230] Radi a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch quâil soupçonnait lâincident dâĂȘtre une provocation avec la complicitĂ© de la police, vu comment celle-ci Ă©tait intervenue presquâimmĂ©diatement et les avait arrĂȘtĂ©s, lui et Stitou, tandis quâAlaoui nâa pas Ă©tĂ© dĂ©tenu. Dans un communiquĂ© publiĂ© sur Facebook, Radi a dĂ©clarĂ© quâAlaoui le harcelait depuis plusieurs jours, Ă chaque fois quâil entrait ou sortait du siĂšge de la police judiciaire de Casablanca, oĂč il Ă©tait interrogĂ©.[231] Deux tĂ©moins de lâincident du 5 juillet ont expliquĂ© Ă Human Rights Watch quâAlaoui avait attendu Ă lâextĂ©rieur du pub depuis au moins deux heures pendant que Radi Ă©tait Ă lâintĂ©rieur, puis quâil avait commencĂ© Ă le filmer Ă la minute oĂč lui et Stitou sont sortis, vers 23 heures. Les trois hommes ont alors Ă©changĂ© des invectives tout en se filmant mutuellement avec leurs tĂ©lĂ©phones portables. Aucun acte de violence nâa eu lieu, ont dĂ©clarĂ© les tĂ©moins, ajoutant quâune fourgonnette de police, apparemment garĂ©e dans une rue adjacente, Ă©tait apparue moins d'une minute aprĂšs le dĂ©but de la dispute. Les policiers ont interpellĂ© Radi et Stitou, laissant Alaoui en libertĂ©. Radi et Stitou, dĂ©tenus toute la nuit, ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s le lendemain aprĂšs-midi. Radi a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que les policiers avaient confisquĂ© son smartphone lors de son interpellation et quâun agent lui avait dit quâils avaient consultĂ© son contenu, y compris ses conversations sur la messagerie cryptĂ©e Signal. Human Rights Watch nâa pas pu vĂ©rifier de maniĂšre indĂ©pendante si les donnĂ©es du tĂ©lĂ©phone mobile avaient bien Ă©tĂ© extraites. Radi et Stitou ont Ă©tĂ© accusĂ©s dâivresse publique, de violence, dâinsultes et dâavoir filmĂ© une personne sans son autorisation. Alaoui nâa Ă©tĂ© inculpĂ© que de ces deux derniers chefs dâaccusation. Le 5 aoĂ»t 2021, le tribunal de premiĂšre instance dâAin Sebaa, Ă Casablanca, a condamnĂ© Radi et Stitou Ă trois mois de prison avec sursis pour ivresse publique.[232] Ă cette date, Radi Ă©tait dĂ©jĂ en prison depuis plus dâun an et avait rĂ©cemment Ă©tĂ© condamnĂ© Ă six ans pour espionnage et viol. Alaoui a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă deux mois de prison avec sursis pour avoir filmĂ© une personne sans son autorisation. Cette affaire a Ă©tĂ© jugĂ©e sans quâaucun des accusĂ©s ne comparaisse devant le tribunal. Sept audiences ont eu lieu et Ă chaque fois, le juge a notĂ© lâabsence de toutes les parties accusĂ©es ainsi que de leurs Ă©quipes de dĂ©fense, et a reportĂ© le procĂšs. Le verdict a finalement Ă©tĂ© rendu lors de la huitiĂšme session le 5 aoĂ»t, toutes les parties Ă©tant toujours absentes. Lâavocat de Stitou a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que son client nâavait jamais reçu aucune notification pour aucune audience, ce qui ne lâa pas empĂȘchĂ© dâĂȘtre marquĂ© absent Ă chacune. Radi, qui Ă ce moment-lĂ avait passĂ© plus dâun an en prison, nâa jamais Ă©tĂ© informĂ© non plus, et la police ne lâa jamais amenĂ© de sa cellule Ă une salle dâaudience. Poursuites pour viol Le 23 juillet 2020, Hafsa Boutahar, une ancienne collĂšgue de Radi au site dâinformation Le Desk oĂč elle travaillait comme agent administratif et commercial, a dĂ©posĂ© plainte contre Radi pour attentat Ă la pudeur et viol, conduisant un procureur Ă lâinculper de viol et dâattentat Ă la pudeur avec violence.[233] Radi a niĂ© lâaccusation et a affirmĂ© quâils avaient eu une relation sexuelle consensuelle.[234] Lâaccusation Ă©tait fondĂ©e sur des faits survenus aux premiĂšres heures du 13 juillet 2020 dans une maison appartenant au directeur du Desk, parfois utilisĂ©e comme lieu de travail par lâĂ©quipe. La plaignante, Radi, et un troisiĂšme employĂ© du Desk, le journaliste Imad Stitou, avaient Ă©tĂ© invitĂ©s Ă y passer la nuit, chacun devant dormir sur un canapĂ© distinct dans un grand salon du rez-de-chaussĂ©e. Imad Stitou a tĂ©moignĂ© devant la gendarmerie et le juge dâinstruction au sujet de sa prĂ©sence cette nuit-lĂ . Son tĂ©moignage Ă©tait conforme au rĂ©cit de Radi, selon lequel il avait eu une relation consensuelle avec la plaignante. Dans une mesure de procĂ©dure inhabituelle, car les infractions prĂ©sumĂ©es de viol et dâespionnage ne sont pas liĂ©es, le tribunal de Casablanca les a versĂ©es dans un seul dossier et les a jugĂ©es ensemble. Le mĂȘme juge dâinstruction a examinĂ© toutes ces accusations et a recommandĂ© que Radi soit jugĂ© pour celles-ci devant le mĂȘme tribunal. Toutes les allĂ©gations dâagression sexuelle nĂ©cessitent une enquĂȘte sĂ©rieuse et que les responsables soient traduits en justice, avec un procĂšs Ă©quitable tant pour le plaignant que pour lâaccusĂ©. En octobre 2020, alors que l'enquĂȘte judiciaire sur Omar Radi Ă©tait toujours en cours, Hafsa Boutahar a demandĂ© Ă rencontrer Human Rights Watch. En rĂ©ponse, Human Rights Watch lui a proposĂ© de parler avec des membres fĂ©minins de lâorganisation, spĂ©cialement formĂ©es pour interroger les plaignantes de violence sexuelle de maniĂšre Ă©thique. Bouhatar a rĂ©pondu par SMS en disant qu'elle ne souhaitait plus parler Ă Human Rights Watch par respect pour la justice et pour le secret de l'enquĂȘte judiciaire ». L'organisation a respectĂ© sa dĂ©cision. En juin 2022, aprĂšs la conclusion des procĂšs en premiĂšre instance et en appel, Boutahar a demandĂ© de nouveau Ă rencontrer Human Rights Watch. Le 10 juin, des membres des divisions Moyen-Orient Afrique du Nord et Droits des Femmes l'ont rencontrĂ©e, ainsi que son avocate. La rĂ©union a eu lieu Ă Rabat, avec une chercheuse de Human Rights Watch participant en ligne. Lors de la rĂ©union, Boutahar a critiquĂ© certains mĂ©dias et organisations de dĂ©fense des droits humains, dont Human Rights Watch, pour ne pas avoir entendu les deux parties de l'affaire. Elle a dĂ©clarĂ© que loin de la traiter comme une victime, ils la traitaient comme si elle Ă©tait un outil que le gouvernement utilisait Ă des fins politiques. Human Rights Watch a expliquĂ© ne pas avoir cherchĂ© Ă parvenir Ă une conclusion sur les faits dans l'affaire de viol. Il s'agit plutĂŽt de veiller Ă ce que toutes les allĂ©gations d'agression sexuelle fassent l'objet d'une enquĂȘte appropriĂ©e et que les responsables soient traduits en justice, dans le cadre d'une procĂ©dure pĂ©nale qui respecte les droits du plaignant et de l'accusĂ©. Il s'agit notamment d'Ă©valuer si le dĂ©roulement du procĂšs avait respectĂ© les normes internationales rĂ©gissant le droit Ă un procĂšs Ă©quitable. Human Rights Watch a conclu, sur la base des preuves prĂ©sentĂ©es dans ce rapport, que le procĂšs d'Omar Radi a violĂ© de nombreuses normes de procĂšs Ă©quitable, et ne peut donc pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©quitable. Les preuves que le procĂšs Radi Ă©tait inĂ©quitable Le 19 juillet 2021, Radi a Ă©tĂ© reconnu coupable de viol et dâespionnage, et a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă six ans de prison.[235] Stitou a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă un an de prison, dont six mois avec sursis, pour participation Ă un viol. Les deux hommes ont fait appel. Radi a Ă©galement Ă©tĂ© condamnĂ© Ă payer Ă la plaignante 200 000 dirhams 20 000 dollars US de dommages et intĂ©rĂȘts. Le 3 mars 2022, une cour dâappel a confirmĂ© les deux peines prononcĂ©es contre Radi et Stitou. Les deux tribunaux ont refusĂ© Ă Radi lâĂ©galitĂ© des armes », principe selon lequel les deux parties ont les mĂȘmes possibilitĂ©s de prĂ©senter leurs arguments, une condition prĂ©alable Ă tout procĂšs Ă©quitable selon les normes internationales. Les autoritĂ©s ont refusĂ© Ă Radi lâaccĂšs Ă son propre dossier pendant 10 mois. Ils ont rĂ©cusĂ© le tĂ©moignage du tĂ©moin clĂ© de la dĂ©fense pour participation Ă un viol », mĂȘme si la plaignante nâa pas accusĂ© le tĂ©moin dây avoir participĂ© et quâaucune preuve contre lui nâa Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e au tribunal. Le tribunal a Ă©galement refusĂ© Ă la dĂ©fense le droit de contre-interroger un tĂ©moin de lâaccusation de viol, et a rejetĂ© un tĂ©moin clĂ© de la dĂ©fense dans lâaffaire dâespionnage. 1. LâinculpĂ© empĂȘchĂ© de consulter son propre dossier Les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires ont interdit Ă maintes reprises aux avocats dâOmar Radi de transmettre Ă leur client le dossier concernant son affaire, le privant ainsi du droit de prĂ©parer sa dĂ©fense depuis sa cellule. Radi nâa Ă©tĂ© autorisĂ© Ă consulter son dossier complet que sur ordre du juge, aprĂšs deux plaintes de ses avocats, le 3 juin 2021 â soit 10 mois aprĂšs son arrestation et deux mois aprĂšs le dĂ©but de son procĂšs en premiĂšre instance. Il nâa donc pas eu assez de temps pour prĂ©parer sa dĂ©fense. Alors que Radi a dĂ» se battre pendant des mois pour consulter son propre dossier, Barlamane, un site Web pro-Makhzen, a publiĂ© une longue analyse de lâaffaire Radi quatre jours Ă peine aprĂšs lâarrestation de ce dernier, le 29 juillet 2020. Ă lâĂ©vidence, lâarticle de Barlamane reposait largement sur le dossier judiciaire de Radi, auquel le site a donc eu accĂšs dix mois avant le principal concernĂ©. Lâarticle laissait clairement entendre que Radi Ă©tait coupable de tous les faits qui lui Ă©taient reprochĂ©s.[236] 2. Expulsion dâun avocat Le 28 juin 2021, la police a arrĂȘtĂ© Christophe Marchand, un avocat belge mandatĂ© par les parents de Radi, Ă son arrivĂ©e Ă lâaĂ©roport de Casablanca. Il venait de Bruxelles pour assister Radi lors dâune audience. Quelques heures plus tard, la dĂ©lĂ©gation interministĂ©rielle pour les droits de lâhomme, un organisme gouvernemental, a dĂ©clarĂ© dans un communiquĂ© que Marchand savait depuis le 24 fĂ©vrier [2021] quâil lui avait Ă©tĂ© interdit dâentrer au Maroc » en raison de ses attitudes hostiles envers [le pays], en particulier celles qui nuisent Ă son intĂ©gritĂ© territoriale », mais a nĂ©anmoins tentĂ© dâentrer au Maroc.[237] Le communiquĂ© a ajoutĂ© que Marchand avait lâintention dâimposer le fait accompli et dâexploiter sa prĂ©sence au Maroc pour perturber une affaire judiciaire en cours » et nuire Ă la rĂ©putation du Maroc » en prĂ©parant des rapports biaisĂ©s et subjectifs ». Lors dâun appel tĂ©lĂ©phonique avec Human Rights Watch le mĂȘme jour, Marchand a dĂ©clarĂ© quâil nâavait jamais su ni Ă©tĂ© informĂ© quâil avait Ă©tĂ© interdit dâentrĂ©e au Maroc plusieurs mois plus tĂŽt. Il a passĂ© la nuit en dĂ©tention Ă lâaĂ©roport, puis a Ă©tĂ© expulsĂ© vers la Belgique le lendemain. 3. Le tĂ©moin-clĂ© de la dĂ©fense rĂ©cusĂ© AprĂšs quâImad Stitou ait fourni au tribunal un tĂ©moignage conforme au rĂ©cit de Radi, le 18 mars 2021, les autoritĂ©s ont accusĂ© Stitou de participation au viol », mĂȘme si la plaignante ne lâavait pas accusĂ© dâavoir pris part Ă lâagression prĂ©sumĂ©e, ni physiquement ni verbalement. Dans leurs dĂ©clarations Ă la gendarmerie, au procureur, au juge dâinstruction chargĂ© de lâaffaire puis Ă la Cour de premiĂšre instance et Ă la Cour dâappel, Radi et la plaignante ont indiquĂ© que Stitou, conformĂ©ment Ă ses dĂ©clarations, ne sâĂ©tait pas levĂ© de son canapĂ© cette nuit-lĂ . Ils ont ajoutĂ© quâils pensaient Stitou endormi, avant quâil affirme aux autoritĂ©s quâil Ă©tait en fait rĂ©veillĂ©. AprĂšs avoir inculpĂ© Stitou pour participation Ă un viol », le tribunal a rejetĂ© son tĂ©moignage. Selon le jugement, Les dĂ©clarations de [Stitou] selon lesquelles [il a entendu les deux personnes avoir une relation quâil croyait ĂȘtre une relation sexuelle consensuelle] ne peuvent pas ĂȘtre prises en considĂ©ration parce quâil est accusĂ© de participation, et le fait de nier lâaccusation est dans son intĂ©rĂȘt. » Dans une dĂ©claration commune datĂ©e du 5 avril 2011, 11 organisations internationales de dĂ©fense des droits humains ont fait valoir quâ en mettant M. Stitou en examen, les autoritĂ©s ont de fait retirĂ© toute valeur probante Ă sa dĂ©position en tant que tĂ©moin de la dĂ©fense », et que le tribunal devrait permettre aux personnes accusĂ©es de crimes de se dĂ©fendre par tous les moyens appropriĂ©s ». [238] Selon le droit international des droits humains, tout accusĂ© de crime a le droit de produire devant un tribunal des tĂ©moins Ă dĂ©charge, dans les mĂȘmes conditions que les tĂ©moins Ă charge. 4. Des preuves tangibles ignorĂ©es, un tĂ©moin de la dĂ©fense rĂ©cusĂ© En ce qui concerne les accusations dâespionnage, le procureur sâest largement appuyĂ© sur une dĂ©claration dâOmar Radi Ă la police, selon laquelle il a Ă©tĂ© en 2013 en contact avec Arnaud Simons, un ex-employĂ© de lâambassade des Pays-Bas au Maroc. Selon le rapport de la police, le fait que le nom mal orthographiĂ© Arnauld Simon » ne figurait pas sur la liste des diplomates accrĂ©ditĂ©s au Maroc Ă©tablie par le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres confirmait fortement lâhypothĂšse » quâil sâagissait dâun pseudonyme. Le pseudonyme, toujours selon la police, dâun agent des renseignements hollandais chargĂ© de soutirer Ă Radi des informations classifiĂ©es sur les manifestations du Rif de 2017. Au cours du procĂšs, le procureur a repris cette assertion Ă son compte et en a conclu » que Simons Ă©tait le nom de guerre » en arabe ism haraki » dâun agent secret hollandais. Simons a contactĂ© Human Rights Watch dĂ©but 2021 et a fourni des photos de documents dâidentitĂ© ainsi que dâautres documents prouvant quâArnaud Simons est son vrai nom, quâil est citoyen belge, et quâil a travaillĂ© comme prestataire de lâambassade des Pays-Bas au Maroc entre 2013 et 2015. Dans des Ă©changes avec Human Rights Watch et dans une lettre ouverte publiĂ©e en ligne ultĂ©rieurement, Simons a dĂ©clarĂ© que ses contacts avec Omar Radi sâĂ©taient limitĂ©s Ă des questions culturelles, conformĂ©ment Ă sa mission dâattachĂ© culturel Ă lâambassade. Quand les manifestations du Rif ont Ă©clatĂ© en 2017, a ajoutĂ© Simons, il avait quittĂ© le Maroc depuis deux ans et nâavait plus Ă©tĂ© en contact avec Radi depuis son dĂ©part.[239] Dans une lettre au juge remise par lâun des avocats de Radi lors de lâaudience du 29 juin 2021, en prĂ©sence de Human Rights Watch, Simons a prĂ©sentĂ© ses documents dâidentitĂ© et a demandĂ© Ă comparaĂźtre comme tĂ©moin de la dĂ©fense. Le juge a versĂ© le courrier au dossier, mais a rejetĂ© la demande de Simons, au motif quâĂ©couter son tĂ©moignage reviendrait Ă prolonger le procĂšs ». LâexposĂ© des motifs du jugement dĂ©clarant la culpabilitĂ© de Radi ne mentionne pas le courrier de Simons. Il reprend en revanche la dĂ©duction » du tribunal selon laquelle Arnauld Simon » [sic] est un nom de guerre utilisĂ© par une personne qui travaillait Ă lâambassade des Pays-Bas Ă Rabat ». La cour dâappel a adoptĂ© le mĂȘme raisonnement pour confirmer la peine de 6 ans dâemprisonnement prononcĂ©e contre Radi. 5. Refus du contre-interrogatoire dâun tĂ©moin Ă charge Dans un courrier adressĂ© au juge dâinstruction le 10 aoĂ»t 2020, un avocat de la plaignante pour viol a demandĂ© que soit citĂ© Ă comparaĂźtre Hassan Ait Braim, citoyen maroco-amĂ©ricain rĂ©sidant aux Ătats-Unis mais visitant le Maroc actuellement ». La requĂȘte Ă©tait accompagnĂ©e dâune courte lettre dâAit Braim dans laquelle il dĂ©clarait quâil Ă©tait en appel vidĂ©o avec la plaignante le 13 juillet 2020, quand il a vu un homme en caleçon passer derriĂšre le canapĂ©, suite Ă quoi la conversation a brusquement pris fin ». Ait Braim ajoutait dans sa lettre quâil ne savait pas ce qui sâĂ©tait rĂ©ellement passĂ© par la suite ». Le 12 aoĂ»t 2020, soit le jour oĂč il a reçu la demande de dĂ©position dâAit Braim, le juge dâinstruction a Ă©crit un courrier au procureur pour savoir ce quâil en pensait. AprĂšs que le procureur eĂ»t acceptĂ© la demande par Ă©crit, le juge dâinstruction a adressĂ© une citation Ă comparaĂźtre Ă Ait Braim. Tous ces courriers ont Ă©tĂ© expĂ©diĂ©s, reçus et traitĂ©s le 12 aoĂ»t, et le tĂ©moin est venu en personne faire sa dĂ©position dans le bureau du juge dâinstruction le mĂȘme jour. Plusieurs avocats marocains ont dit Ă Human Rights Watch la stupĂ©faction » que leur inspirait la rapiditĂ© du processus, une rapiditĂ© selon eux rarissime, voire sans prĂ©cĂ©dent dans les tribunaux marocains â dâautant plus quâen aoĂ»t lâadministration de la justice marocaine est en congĂ© estival. Les avocats de Radi ont indiquĂ© au tribunal quâen raison des congĂ©s dâaoĂ»t 2020, eux en revanche nâavaient pu trouver personne dans tout le systĂšme judiciaire pour dĂ©poser une requĂȘte en libĂ©ration provisoire de leur client. Or câest ce mĂȘme mois quâAit Braim a Ă©tĂ© entendu dans le cadre dâune procĂ©dure-Ă©clair. Les avocats de Radi ont prĂ©cisĂ© Ă Human Rights Watch quâils nâont Ă©tĂ© notifiĂ©s du tĂ©moignage dâAit Braim que plusieurs mois plus tard, alors que ce dernier Ă©tait rentrĂ© aux Ătats-Unis, oĂč il vivrait. Au cours du procĂšs, les avocats de Radi ont demandĂ© au juge de citer Ait Braim Ă comparaĂźtre pour un contre-interrogatoire. La requĂȘte a Ă©tĂ© rejetĂ©e pour des motifs fallacieux. Le jugement, qui se fonde en partie sur les dĂ©clarations dâAit Braim, indique Le juge [nâest pas tenu de convoquer un tĂ©moin] tant quâil croit Ă la sincĂ©ritĂ© de [son] tĂ©moignage ». Pour garantir un procĂšs Ă©quitable selon les normes internationales, la dĂ©fense a le droit dâinterroger tout tĂ©moin dont la dĂ©position est utilisĂ©e par lâaccusation. La cour dâappel a adoptĂ© le mĂȘme raisonnement pour confirmer la peine de 6 ans de prison prononcĂ©e contre Radi. 6. Raisonnements spĂ©culatifs du tribunal Sur lâaccusation dâespionnage, le jugement nâidentifie aucune information classifiĂ©e que Radi aurait transmise en connaissance de cause Ă un agent Ă©tranger, ce qui constituerait le crime dâespionnage. En revanche, le tribunal bĂątit son verdict de culpabilitĂ© sur un tissu de spĂ©culations. Par exemple, il est Ă©crit en page 230 du jugement Les prĂ©cautions de sĂ©curitĂ© dont [Radi] entourait ses Ă©changes avec le diplomate de lâambassade des Pays-Bas prouvent quâil Ă©tait tout Ă fait conscient de la nature suspecte des activitĂ©s dont [ce dernier] Ă©tait chargĂ©, comme le dĂ©montre le fait quâil ne communiquait avec lui que par textos [âŠ] ». Le fait de communiquer prioritairement par textos ne saurait prouver une quelconque activitĂ© secrĂšte, ni la culpabilitĂ© de lâauteur ou du rĂ©cipiendaire des textos en question. Le jugement indique Ă©galement Ă la page 230 LâallĂ©gation [de Radi] selon laquelle le but de ses voyages [dans la rĂ©gion du Rif] Ă©tait de vendre des articles journalistiques en Ă©change de dollars amĂ©ricains sâest avĂ©rĂ©e un mensonge, vu quâil nâa dĂ©clarĂ© aucun paiement de ce type [aux autoritĂ©s fiscalesâŠ] ; en fait [ces voyages] Ă©taient [motivĂ©s par] le travail quâil effectuait pour le compte dâun agent secret dâun pays dont les orientations officielles sont prĂ©judiciables aux intĂ©rĂȘts du Maroc. » Ne pas dĂ©clarer prĂ©tendument un revenu aux autoritĂ©s fiscales ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme la preuve que ce revenu nâa pas Ă©tĂ© perçu pour une activitĂ© donnĂ©e, et encore moins que lâactivitĂ© en question Ă©tait illĂ©gale. Le raisonnement du tribunal est de nature spĂ©culative et ne constitue pas une preuve de culpabilitĂ©. Le jugement ajoute Ă la page 231 Entre mars 2016 et mars 2020, [Radi] nâĂ©tait employĂ© dâaucun organe de presse ; par consĂ©quent, on peut conclure que les dĂ©placements [de Radi] sur le terrain pendant [les Ă©vĂ©nements du Rif] nâĂ©taient pas liĂ©s Ă un travail journalistique, mais ont plutĂŽt Ă©tĂ© effectuĂ©s pour recueillir des informations sur ces Ă©vĂ©nements pour le compte de lâambassade des Pays-Bas. » La conclusion » du tribunal est spĂ©culative. Elle ignore Ă©galement que Radi a expliquĂ© Ă la police, au procureur, au juge dâinstruction, et plusieurs fois au tribunal, en prĂ©sence de Human Rights Watch, quâil Ă©tait journaliste free-lance pendant la pĂ©riode spĂ©cifiĂ©e. Le jugement affirme en page 232 [On peut conclure que] les contacts de lâaccusĂ© avec des agents de lâambassade des Pays-Bas nâavaient aucun rapport avec son travail de journaliste, comme le prouve le fait quâil nâait publiĂ© aucun article [mentionnant ces contacts] ; on peut donc en dĂ©duire que ces contacts constituaient bien des activitĂ©s dâespionnage ». Le fait de discuter de divers sujets avec diverses personnes, y compris des diplomates, sans nĂ©cessairement publier dâarticle fondĂ© sur ces discussions, relĂšve du travail routinier de tout journaliste. La conclusion » du tribunal est spĂ©culative et ne constitue pas une preuve de culpabilitĂ©. Devant le tribunal, Radi a affirmĂ© quâune sociĂ©tĂ© de conseil britannique lâavait engagĂ© pour fournir une note succincte sur le secteur agricole au Maroc, Ă©tant entendu que les recherches pour cette note se feraient en partie sur Internet. En page 234, le jugement commente cette affirmation comme suit La navigation sur Internet et lâexamen de sites Internet spĂ©cialisĂ©s ne nĂ©cessitent pas les services de lâaccusĂ© ; par consĂ©quent, [il] doit avoir rendu un autre service suspect Ă la sociĂ©tĂ© britannique. » Les sites Internet spĂ©cialisĂ©s ne sâexaminent pas tous seuls ; une telle activitĂ© suppose dâĂȘtre confiĂ©e Ă quelquâun. Rien nâempĂȘche une entreprise dâembaucher un contractant, par exemple Radi, pour effectuer des recherches sur Internet. Cette conclusion est spĂ©culative et ne saurait constituer une preuve de culpabilitĂ©. Sur lâaccusation de viol, le jugement dĂ©forme radicalement les dĂ©clarations du tĂ©moin devenu accusĂ© Imad Stitou, dâune maniĂšre qui porte prĂ©judice Ă ce dernier et Ă Radi, ainsi quâĂ l'Ă©quitĂ© de la procĂ©dure. En page 237, le jugement indique que Stitou ne nie pas » avoir entendu Radi faire un commentaire particulier Ă la plaignante, commentaire qui accrĂ©diterait la culpabilitĂ© de Radi et la complicitĂ© de Stitou. En fait, selon le procĂšs-verbal de ses auditions par les gendarmes et le juge dâinstruction, Stitou a fermement niĂ© avoir entendu Radi faire un tel commentaire. Il lâa Ă©galement niĂ© lors dâune audience du procĂšs Ă laquelle Human Rights Watch a assistĂ©, puis encore une fois lors dâun entretien avec Human Rights Watch en octobre 2021. Le jugement indique enfin Ă la page 224 LâallĂ©gation dâOmar Radi selon laquelle son rapport sexuel avec [la plaignante] Ă©tait consenti ne tient pas debout, car si la victime avait rĂ©ellement souhaitĂ© une relation sexuelle avec lâaccusĂ©, elle lâaurait planifiĂ©e avec soin, et dans un lieu appropriĂ©. [Le faire] dans la maison de son employeur et en prĂ©sence dâun collĂšgue qui assisterait Ă lâagression est absurde, et ne peut ĂȘtre envisagĂ© par une personne saine dâesprit ». Le raisonnement du tribunal sur la maniĂšre dont une femme saine dâesprit » devrait planifier une relation sexuelle sape l'autonomie des femmes tout en reposant sur des stĂ©rĂ©otypes sexistes. Il est en outre purement spĂ©culatif, donc dâune valeur probante douteuse. Pour ces raisons, il porte atteinte Ă l'Ă©quitĂ© de la procĂ©dure. Ătudes de cas Institutions mĂ©diatiques A. Les cibles des autoritĂ©s Deux institutions mĂ©diatiques â une association de formation au journalisme et un quotidien â ont Ă©tĂ© harcelĂ©s sans relĂąche par des actions policiĂšres et judiciaires, certaines liĂ©es Ă des dĂ©lits d'expression, d'autres Ă des infractions pĂ©nales. 1. LâAssociation Marocaine pour le Journalisme d'Investigation AMJI Au dĂ©but des annĂ©es 2010, aprĂšs une dĂ©cennie de harcĂšlement policier et judiciaire des mĂ©dias indĂ©pendants marocains, plusieurs journaux ont Ă©tĂ© poussĂ©s Ă la faillite du fait, entre autres, de boycotts publicitaires inspirĂ©s par l'Ătat. Tenir des journaux indĂ©pendants Ă flot Ă©tant devenu impossible au Maroc, certains de leurs Ă©diteurs ont prĂ©fĂ©rĂ© sâexiler.[240] Dans ce contexte, des dĂ©fenseurs de la libertĂ© d'expression, dont lâuniversitaire Maati Monjib, ont créé en 2008 une organisation non gouvernementale appelĂ©e Association Marocaine pour le Journalisme d'Investigation AMJI.[241] Lâassociation visait Ă former de jeunes journalistes afin de lutter contre le dĂ©clin de la libertĂ© de la presse », a expliquĂ© Monjib Ă Human Rights Watch.[242] Hicham Mansouri, responsable des responsables et cheville ouvriĂšre de l'AMJI, a ajoutĂ© que l'objectif plus large de l'ONG Ă©tait de reprendre le flambeau en formant une nouvelle gĂ©nĂ©ration Ă l'investigation, le genre journalistique le plus nĂ©cessaire Ă lâexercice de la responsabilitĂ© dĂ©mocratique. »[243] Parce que les autoritĂ©s ont refusĂ© d'accorder Ă lâAMJI la reconnaissance formelle dont les associations ont besoin pour fonctionner lĂ©galement au Maroc, Monjib a créé en 2009 le Centre Ibn Rochd, une sociĂ©tĂ© de conseil qu'il possĂ©dait avec un membre de sa famille et un ami. Les entreprises privĂ©es au Maroc n'ont pas besoin de l'approbation des autoritĂ©s pour mener leurs activitĂ©s. Monjib a dĂ©clarĂ© que les statuts du Centre Ibn Rochd donnaient Ă l'entreprise les mĂȘmes objectifs que l'AMJI, Ă savoir dĂ©velopper le journalisme d'investigation par le biais de formations et d'activitĂ©s connexes. Reprendre le flambeau » du journalisme indĂ©pendant Entre sa crĂ©ation et 2011, l'association a fonctionnĂ© dans un vide juridique en raison du refus â inexpliquĂ© â des autoritĂ©s de lui accorder un rĂ©cĂ©pissĂ©, attestation administrative dont les associations ont besoin pour effectuer des opĂ©rations de base, comme louer des bureaux ou ouvrir un compte bancaire. L'AMJI a finalement obtenu ce document le 22 fĂ©vrier 2011, deux jours aprĂšs que des manifestations massives en faveur de la dĂ©mocratie, inspirĂ©es par des manifestations similaires en Tunisie et en Ăgypte, ont secouĂ© le Maroc.[244] AprĂšs sa reconnaissance lĂ©gale, lâAMJI a dĂ©veloppĂ© ses activitĂ©s. Lâassociation a contractĂ© des partenariats et obtenu des subventions auprĂšs dâorganisations non gouvernementales europĂ©ennes qui soutiennent le dĂ©veloppement des mĂ©dias, notamment lâorganisation danoise International Media support IMS ainsi que lâorganisation hollandaise Free Press Unlimited FPU. Ces partenariats se sont traduits par l'organisation de nombreuses formations sur les techniques d'enquĂȘte, l'Ă©thique journalistique, la protection des sources, la sĂ©curitĂ© en ligne et d'autres sujets connexes. Mansouri a expliquĂ© Ă Human Rights Watch que peu de membres de l'AMJI Ă©taient eux-mĂȘmes journalistes, ou disposaient de l'expertise nĂ©cessaire pour diriger de telles formations. Lâassociation a donc engagĂ© des professeurs de lâInstitut SupĂ©rieur de lâInformation et de la Communication, lâĂ©cole publique de journalisme du Maroc, ainsi que des formateurs de rĂ©seaux internationaux comme Al Jazeera pour animer leurs ateliers. Par l'intermĂ©diaire de l'AMJI, l'IMS et la FPU ont offert des bourses rĂ©munĂ©rĂ©es et dĂ©cernĂ© le prix Press Now » aux Marocains auteurs d'articles journalistiques exceptionnels. Parmi les laurĂ©ats figuraient des journalistes indĂ©pendants qui plus tard deviendront cĂ©lĂšbres et subiront le harcĂšlement des autoritĂ©s â notamment Omar Radi et Soulaiman Raissouni. Des collaborateurs agressĂ©s dans la rue Le premier prix Press Now » a Ă©tĂ© dĂ©cernĂ© au journaliste Abdelilah Sakhir le 29 janvier 2011, sous l'Ă©gide du Centre Ibn Rochd, qui abritait alors les activitĂ©s dâAMJI en attendant sa reconnaissance lĂ©gale. Quelques heures Ă peine aprĂšs avoir reçu son prix et peu aprĂšs avoir quittĂ© la cĂ©rĂ©monie, Sakhir a Ă©tĂ© agressĂ© dans une rue de Casablanca par quatre inconnus. Il a dĂ©clarĂ© Ă un site d'information que ces hommes avaient d'abord lancĂ© une cartouche de gaz lacrymogĂšne Ă cĂŽtĂ© de lui et, pendant qu'il luttait pour garder son Ă©quilibre, avaient commencĂ© Ă le frapper au visage et Ă lui donner des coups de pied aprĂšs qu'il soit tombĂ© au sol.[245] Les agresseurs ont ensuite sautĂ© dans une voiture aux vitres teintĂ©es qui Ă©tait garĂ©e Ă proximitĂ©, le moteur en marche et un chauffeur au volant, puis se sont enfuis. Selon Sakhir, lâattaque Ă©tait motivĂ©e par des raisons professionnelles », car les agresseurs nâont pas tentĂ© de le voler.[246] Monjib a dĂ©clarĂ© Ă Human Rights Watch que dâaprĂšs lui, l'agression de Sakhir Ă©tait un message de dĂ©sapprobation de la part des autoritĂ©s pour ce que [lâAMJI essayait] d'accomplir raviver le journalisme dâinvestigation aprĂšs quâils lâaient presque tuĂ© au terme de la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dente. » AprĂšs que l'AMJI ait finalement obtenu la reconnaissance lĂ©gale et repris les activitĂ©s du Centre Ibn Rochd, son responsable des programmes, Hicham Mansouri, a Ă©tĂ© Ă son tour agressĂ© dans la rue Ă Rabat le 24 septembre 2014, peu aprĂšs ĂȘtre sorti dâune rĂ©union avec Monjib.[247] Ă l'exception du gaz lacrymogĂšne, ses agresseurs ont suivi exactement le mĂȘme mode opĂ©ratoire que ceux de Sakhir. Mansouri sera par la suite harcelĂ© de multiples maniĂšres. Son arrestation et emprisonnement pour adultĂšre sont dĂ©crits dans l'Ă©tude de son cas qui lui est rĂ©servĂ©e dans ce rapport. HarcĂšlement par les autoritĂ©s MĂȘme si l'AMJI a Ă©tĂ© lĂ©galement reconnue en 2011, les autoritĂ©s locales ont continuĂ© Ă harceler lâassociation. Des agents locaux du ministĂšre de l'IntĂ©rieur venaient occasionnellement dans ses bureaux, dans le quartier de lâAgdal Ă Rabat, pour faire des commentaires dĂ©sobligeants sur le professionnalisme des collaborateurs de l'AMJI et leur loyautĂ© envers le Maroc. Mansouri a indiquĂ© Ă Human Rights Watch qu'en 2013, le Caid de l'Agdal, un responsable local du ministĂšre de l'IntĂ©rieur, l'a convoquĂ© pour lui poser des questions sur la vie privĂ©e des membres de l'AMJI, notamment la vie amoureuse des membres fĂ©minins. Parce que le bureau de l'AMJI Ă©tait trop petit, a expliquĂ© Mansouri Ă Human Rights Watch, l'organisation louait des salles de confĂ©rence dans des hĂŽtels pour ses ateliers. Ă dix reprises au moins, ont dĂ©clarĂ© Mansouri et Monjib dans des entretiens sĂ©parĂ©s, les directeurs des hĂŽtels ont annulĂ© les activitĂ©s programmĂ©es au dernier moment, affirmant qu'ils avaient reçu des instructions » des autoritĂ©s locales. DĂ©but 2014, un hacker a dĂ©figurĂ© la page d'accueil du site internet de l'association pour la remplacer par des images pornographiques.[248] Vers la mĂȘme pĂ©riode, des documents appartenant Ă Monjib ont Ă©tĂ© volĂ©s lors d'une effraction dans le bureau de l'AMJI.[249] Atteinte Ă la sĂ»retĂ© de l'Ătat » avec une application de journalisme citoyen En juin 2015, en association avec l'Association marocaine pour les droits numĂ©riques ADN et l'Association marocaine pour l'Ă©ducation des jeunes AMEJ, l'AMJI a organisĂ© un atelier Ă Marrakech pour former les participants Ă la photographie de presse et Ă la narration audio et vidĂ©o grĂące Ă Story Maker, une application pour smartphone dĂ©veloppĂ©e par le journal britannique The Guardian pour encourager le journalisme citoyen. Le 10 juin, la police a interrompu la sĂ©ance de formation, confisquant les smartphones que les organisateurs avaient distribuĂ©s aux participants.[250] Au cours des deux mois suivants, la police a interrogĂ© Monjib, Mansouri, Samad Ait AĂŻcha, un membre de l'AMJI, Hicham Khreibchi dit Hicham Al-Miraat, alors prĂ©sident de l'ADN, Mohamed Essaber, alors prĂ©sident de l'AMEJ, et deux membres de l'AMJI, la journaliste Maria Moukrim et le journaliste Ă la retraite Rachid Tarek. Les questions de la police portaient sur leur implication dans le financement de l'atelier, assurĂ© par lâorganisation nĂ©erlandaise FPU. Les six hommes et la femme ont par la suite Ă©tĂ© accusĂ©s d'avoir reçu illĂ©galement des fonds d'une organisation Ă©trangĂšre en vue de porter atteinte Ă la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure du Maroc. » Ă l'exception de Mansouri, qui purgeait alors une peine de 10 mois de prison pour adultĂšre voir chapitre sur Mansouri, les six autres ont Ă©tĂ© laissĂ©s en libertĂ© provisoire. AprĂšs que l'affaire ait suscitĂ© une vaste condamnation des organisations internationales des droits humains et de la libertĂ© de la presse, le tribunal de Rabat a programmĂ© une vingtaine dâaudiences entre 2015 et 2020. Ă chaque fois, la sĂ©ance a Ă©tĂ© automatiquement ajournĂ©e, officiellement parce que certains accusĂ©s, dont Ait AĂŻcha, Khreibchi et Mansouri, ne se sont pas prĂ©sentĂ©s parce qu'ils avaient quittĂ© le pays entre-temps.[251] Le 20 janvier 2021, une nouvelle sĂ©ance s'est tenue en l'absence des prĂ©venus. Monjib, qui Ă©tait alors en garde Ă vue pour une autre affaire ouverte en 2020 voir chapitre sur Monjib, Ă©tait prĂ©sent dans le mĂȘme palais de justice lors de la tenue de l'audience, subissant lâinterrogatoire dâun juge dâinstruction pour sa nouvelle affaire. Les autoritĂ©s n'ont pas informĂ© Monjib qu'un procĂšs le concernant se tenait en bas du bĂątiment au mĂȘme moment. AprĂšs cinq ans de sĂ©ances reportĂ©es, une seule audience a suffi pour que le tribunal termine l'examen de l'affaire, en l'absence des avocats de la dĂ©fense et des sept accusĂ©s, Ă l'exception d'Essaber. Le 27 janvier 2021, le tribunal a rendu son verdict les sept accusĂ©s ont Ă©tĂ© reconnus coupables d'atteinte Ă la sĂ»retĂ© de l'Ătat. Monjib, Mansouri, Ait-Aicha et Khreibchi ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă un an de prison, Essaber Ă trois mois de prison avec sursis, et les deux autres accusĂ©s Ă une amende de 500 dollars US fixĂ©e comme peine minimale obligatoire ». Le jugement Ă©crit, consultĂ© par Human Rights Watch, a conclu que la formation Story Maker traduite littĂ©ralement en arabe par lâexpression fabrication dâhistoires » enseignait des techniques et des compĂ©tences pour crĂ©er des histoires fabriquĂ©es et fictives sans lien avec la rĂ©alitĂ© Ă l'aide de smartphones. » Selon le jugement, le procĂšs a prouvĂ© que Story Maker, une application qui a Ă©tĂ© spĂ©cifiquement créée [pour ĂȘtre utilisĂ©e dans] des zones de chaos et d'instabilitĂ© », pourrait ĂȘtre utilisĂ©e pour porter atteinte Ă la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure [du Maroc] par l'utilisation de rĂ©cits audio ou visuels fabriquĂ©s [âŠ] dans le but de semer la peur dans l'esprit des citoyens, de crĂ©er des troubles civils, d'Ă©branler les fondements de la sociĂ©tĂ© et la confiance dans les institutions constitutionnelles, puis de publier [ces rĂ©cits] via les rĂ©seaux sociaux qui ont envahi chaque foyer. » Le jugement a conclu Les suspects ne savaient que trop bien que le Maroc est un pays d'institutions, dotĂ© de sĂ©curitĂ© et de stabilitĂ©, oĂč le travail journalistique n'est pas limitĂ© [comme en tĂ©moigne] la prĂ©sence d'un large Ă©ventail de plateformes mĂ©diatiques de diffĂ©rents types ; par consĂ©quent, la rĂ©alitĂ© du journalisme au Maroc n'a aucun besoin des ateliers qui ont Ă©tĂ© proposĂ©s. » Plus personne ne voulait travailler avec nous » Dans un entretien avec Human Rights Watch, Monjib a indiquĂ© que les activitĂ©s de l'AMJI sont devenues de moins en moins frĂ©quentes aprĂšs le procĂšs de Story Maker en 2015. Ils ont continuĂ© Ă nous harceler de diverses façons. Chaque fois que nous organisions une formation, des agents de sĂ©curitĂ© appelaient nos formateurs et faisaient pression sur eux jusqu'Ă ce qu'ils annulent leur participation. Une fois, nous avons dĂ» annuler un atelier aprĂšs que trois des quatre participants se soient excusĂ©s la veille, invoquant Ă©trangement la mĂȘme excuse familiale, en utilisant pratiquement les mĂȘmes mots. Les personnes refusant de cĂ©der aux pressions ont Ă©tĂ© abondamment insultĂ©es sur les sites pro-Makhzen. C'est vite devenu insoutenable, plus personne ne voulait travailler avec nous. Entre 2016 et 2018, l'AMJI a annulĂ© ses Ă©vĂ©nements les plus visibles », notamment le prix Press Now, ne maintenant que de petits ateliers dont la publicitĂ© se faisait exclusivement par le bouche-Ă -oreille afin dâĂ©viter les attaques, a expliquĂ© Monjib Ă Human Rights Watch. L'AMJI a organisĂ© l'une de ses derniĂšres activitĂ©s, un colloque sur les sites Web pro-Makhzen Ă Rabat en janvier 2017, sous couvert d'autres organisations pour rĂ©duire les risques de reprĂ©sailles policiĂšres.[252] Un soir, tous les participants au colloque dĂźnaient dans un restaurant Ă Rabat, quand le directeur d'un de ces sites Web a fait irruption sans y ĂȘtre invitĂ© et a commencĂ© Ă nous insulter bruyamment », a racontĂ© Monjib. Il a successivement montrĂ© du doigt certains participants et a dit qu'il savait exactement combien d'argent chacun avait sur son compte bancaire, et d'oĂč venait cet argent. » La derniĂšre formation organisĂ©e par l'AMJI a eu lieu en mars 2018, avant que l'association ne cesse ses activitĂ©s. En 2021, aprĂšs l'arrestation de Monjib pour blanchiment d'argent » voir la section sur Monjib, Rachid Tarek, alors prĂ©sident de l'AMJI, a dĂ©missionnĂ©. 2. Akhbar Al-Yaoum Le quotidien arabophone Akhbar Al-Yaoum Les nouvelles du jour » a Ă©tĂ© fondĂ© en 2007 par le journaliste Taoufik Bouachrine. Ce journal indĂ©pendant a publiĂ© des articles et des Ă©ditoriaux traitant de la corruption de l'Ătat, notamment dans les cercles du palais royal. Trois mois de fermeture pour un dessin TĂŽt le matin du 29 septembre 2009, une vingtaine de policiers ont encerclĂ© le siĂšge casablancais d'Akhbar Al-Yaoum et empĂȘchĂ© le personnel d'y entrer, comme lâa rapportĂ© le ComitĂ© pour la protection des journalistes CPJ. Dâapres un article de presse, la police nâa prĂ©sentĂ© aucune ordonnance lĂ©gale autorisant cette action.[253] Deux jours plus tĂŽt, le ministĂšre de l'IntĂ©rieur avait accusĂ© le journal d'avoir manquĂ© de respect de maniĂšre flagrante Ă un membre de la famille royale » pour avoir publiĂ© un dessin sur une cĂ©rĂ©monie de mariage strictement privĂ©e organisĂ©e par la famille royale ». Le mariage en question Ă©tait celui du prince Moulay Ismail, le cousin du roi Mohammed VI. Les mĂ©dias marocains ont largement rendu compte du mariage, bien que la presse n'ait pas Ă©tĂ© invitĂ©e Ă la cĂ©rĂ©monie privĂ©e. Le ministĂšre n'a pas expliquĂ© en quoi le dessin en question manquait de respect Ă un membre de la famille royale â ce qui nâĂ©tait pas manifeste non plus au vu de lâillustration, qui montrait le prince dans une scĂšne de mariage traditionnelle avec le drapeau marocain en toile de fond. Un procureur a accusĂ© Bouachrine et le caricaturiste Khalid Gueddar d' outrage au drapeau national », et le prince Moulay Ismail les a poursuivis pour manque de respect envers un membre de la famille royale ». Le 30 octobre 2009, un tribunal a condamnĂ© les deux hommes Ă quatre ans de prison avec sursis, ainsi quâĂ des amendes et dommages et intĂ©rĂȘts de 3,6 millions de dirhams 350 000 dollars US Ă verser au prince. AprĂšs la publication de ce dessin, le journal a disparu des kiosques, ses bureaux ont Ă©tĂ© scellĂ©s et ses avoirs gelĂ©s sans dĂ©cision de justice pendant plus de deux mois.[254] Le 15 juin 2010, un tribunal de Rabat a condamnĂ© Bouachrine Ă six mois de prison avec sursis pour fraude immobiliĂšre.[255] Le tribunal l'a Ă©galement condamnĂ© Ă payer 10 000 dirhams 1 000 dollars US de dommages et intĂ©rĂȘts Ă l'ancien propriĂ©taire d'une maison que Bouachrine avait achetĂ©e Ă Rabat trois ans plus tĂŽt. Selon l'agence de presse AFP, l'ancien propriĂ©taire avait portĂ© plainte aprĂšs la vente, affirmant que Bouachrine n'avait pas payĂ© le prix convenu. Bouachrine a Ă©tĂ© acquittĂ© en premiĂšre instance en 2008, puis en appel en 2009, mais le propriĂ©taire a dĂ©posĂ© une autre plainte pour le mĂȘme motif en avril 2010, aprĂšs l'incident du dessin. Cette fois, il a gagnĂ© le procĂšs. Les autoritĂ©s marocaines utilisent clairement des poursuites pĂ©nales pour faire taire Taoufik Bouachrine », a dĂ©clarĂ© le CPJ, qualifiant le verdict de culpabilitĂ© de 2010 de peine de prison politisĂ©e ».[256] Le dernier quotidien indĂ©pendant » Pendant les annĂ©es 2000, les autoritĂ©s ont fermĂ© des mĂ©dias critiques ou les ont conduits Ă la faillite par le biais de boycotts publicitaires orchestrĂ©s par le palais, et ont poussĂ© leurs Ă©diteurs Ă l'exil.[257] Au dĂ©but des annĂ©es 2010, Akhbar Al-Yaoum, bien qu'il ait Ă©tĂ© confrontĂ© Ă des boycotts publicitaires systĂ©matiques, en particulier de la part d'entreprises publiques, a rĂ©ussi Ă tenir le coup, avec Bouachrine toujours Ă la barre.[258] Il Ă©tait largement considĂ©rĂ© comme le dernier journal indĂ©pendant du Maroc.[259] Au cours des annĂ©es 2010, Akhbar Al-Yaoum a frĂ©quemment rendu compte de la corruption de l'Ătat, notamment des allĂ©gations de transactions financiĂšres impliquant le ministre des Finances et le trĂ©sorier gĂ©nĂ©ral du royaume de l'Ă©poque. Les deux hommes faisaient partie des cercles royaux â en particulier le second, un ancien camarade de classe et ami d'enfance du roi Mohammed VI.[260] AprĂšs que Transparency Maroc, une organisation de lutte contre la corruption, ait engagĂ© des poursuites civiles pour dĂ©tournement de fonds publics, un procureur a classĂ© l'affaire au motif que les transactions en question Ă©taient lĂ©gales.[261] Entre-temps, un tribunal a condamnĂ© Abdelmajid Elouiz, employĂ© du ministĂšre des Finances, pour divulgation de documents officiels », aprĂšs qu'un procureur l'ait accusĂ© d'ĂȘtre la source des journalistes d'Akhbar Al-Yaoum. En mars 2014, Elouiz a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă deux mois de prison avec sursis.[262] En plus des rĂ©vĂ©lations de son journal sur la corruption, il est possible que Bouachrine se soit attirĂ© les foudres du palais royal pour une autre raison sa dĂ©fense acharnĂ©e du Premier ministre Abdelilah Benkirane, dont la dangereuse popularitĂ© », selon l'universitaire marocain basĂ© aux Ătats-Unis Mohamed Daadaoui, peut avoir inquiĂ©tĂ© le palais.[263] MĂȘme si la formation islamiste de Benkirane, le Parti de la justice et du dĂ©veloppement, a remportĂ© une majoritĂ© relative de siĂšges au parlement lors des Ă©lections d'octobre 2016, le roi a fini par utiliser son pouvoir constitutionnel pour destituer le Premier ministre cinq mois plus tard. En raison de sa proximitĂ© avec Benkirane, les mĂ©dias pro-Makhzen considĂ©raient Bouachrine comme son porte-parole ».[264] Affaires pĂ©nales contre lâĂ©quipe d'Akhbar Al-Yaoum L'arrestation, le procĂšs et l'emprisonnement de Bouachrine pour viol et traite des ĂȘtres humains sont dĂ©taillĂ©s dans lâĂ©tude ce cas que lui consacre ce rapport. L'arrestation, les procĂšs et l'emprisonnement de la journaliste dâAkhbar A Yaoum Hajar Raissouni et de son rĂ©dacteur en chef Soulaiman Raissouni sont Ă©galement dĂ©taillĂ©s dans les Ă©tudes de cas qui leur sont consacrĂ©es. Boycott Ă©conomique, puis une faillite En mars 2020, quand le gouvernement marocain a ordonnĂ© aux Ă©diteurs de journaux de cesser d'imprimer et de distribuer des copies papier afin de rĂ©duire les interactions sociales et ainsi lutter contre la pandĂ©mie de Covid-19, un fonds public de compensation a Ă©tĂ© créé pour payer directement les salaires des journalistes.[265] Ceux d'Akhbar Al-Yaoum ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de ce mĂ©canisme comme des centaines d'autres journalistes au Maroc, jusqu'en octobre 2020. Ce mois-lĂ , le paiement des salaires d'Akhbar Al-Yaoum s'est arrĂȘtĂ© sans explication.[266] InterrogĂ© au Parlement sur les raisons de l'arrĂȘt des paiements au personnel de cet unique journal, le ministre de la Communication de l'Ă©poque, Othman El Ferdaous, en charge du secteur des mĂ©dias, n'a donnĂ© aucune explication pendant trois mois, puis a promis de dĂ©bloquer les salaires. Il ne l'a jamais fait, comme l'a confirmĂ© un journaliste d'Akhbar Al-Yaoum Ă Human Rights Watch.[267] AprĂšs un long boycott publicitaire menĂ© par l'Ătat, et le refus par certains clients Ătatiques de payer aprĂšs la publication de leurs annonces dans le journal, Akhbar Al-Yaoum a annoncĂ© sa mise en faillite dans un communiquĂ© publiĂ© le 15 mars 2021.[268] Le mĂȘme jour, un site Internet pro-Makhzen, Barlamane, a Ă©crit que seule la mauvaise gestion » du journal Ă©tait responsable de sa faillite.[269] Quelques jours plus tard, Chouf TV, un autre mĂ©dia pro-Makhzen, Ă©crivait que la fin d'Akhbar al-Yaoum s'inscrivait dans la tendance mondiale du dĂ©clin de la presse papier au profit des mĂ©dias en ligne ».[270] B. Les mĂ©dias pro-Makhzen Plusieurs journalistes ont identifiĂ© une certaine constellation de mĂ©dias marocains comme proches du palais royal », ou ayant des liens Ă©troits avec la police et les services de renseignement marocains.[271] Les sections suivantes se concentrent sur trois organes de presse majeurs de ce type. 1. Chouf TV est une web TV couplĂ©e Ă un site dâinformation Ă©crire en langue arabe, spĂ©cialisĂ©e dans les vidĂ©os et articles Ă scandale, fouillant souvent dans la vie intime des gens. Les vidĂ©os et les articles abordant des sujets politiques sont rares, comparĂ©s au reste du contenu du site. Human Rights Watch a examinĂ© de trĂšs nombreux articles de Chouf TV. Quâils fassent lâĂ©loge des autoritĂ©s et des politiques de lâĂtat ou quâils critiquent fĂ©rocement des opposants au rĂ©gime, ces articles ont une caractĂ©ristique commune ils sâalignent sans faille sur les intĂ©rĂȘts prĂ©sumĂ©s des autoritĂ©s. Chouf TV publie une chronique hebdomadaire intitulĂ©e Les rĂ©vĂ©lations du dimanche » sous la signature Abu Wael Al-Rifi, apparemment le pseudonyme de Driss Chahtane, le directeur de Chouf TV.[272] La chronique fulmine rĂ©guliĂšrement contre les autoritĂ©s algĂ©riennes et dĂ©fend rageusement la marocanitĂ© » du Sahara occidental, conformĂ©ment au discours officiel.[273] La chronique calomnie Ă©galement sans relĂąche les dĂ©tracteurs du Makhzen, les journalistes indĂ©pendants ainsi que les dĂ©fenseurs des droits humains, et publie souvent des allĂ©gations scandaleuses concernant leurs vies personnelles et intimes. En octobre 2021, Alexa, une sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine dâanalyse du trafic web appartenant Ă Amazon, a classĂ© Chouf TV au troisiĂšme rang des sites les plus consultĂ©s au Maroc, aprĂšs Google et YouTube et devant Facebook.[274] En octobre 2009, Driss Chahtane a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă un an de prison pour publication de fausses nouvelles » aprĂšs quâAl Michaal, un hebdomadaire quâil possĂšde et dirige, ait commentĂ© la santĂ© du roi Mohammed VI.[275] Il a bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune grĂące royale et a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© en juin 2010, deux mois aprĂšs avoir implorĂ© la clĂ©mence du roi Mohammed VI » lors dâune interview depuis la prison.[276] AprĂšs cela, ont Ă©crit les mĂ©dias français LâHumanitĂ© et Mediapart dans un article conjoint, Chahtane a effectuĂ© un virage Ă 180 degrĂ©s pour sâinstaller dans le giron du pouvoir ».[277] Le 1er avril 2022, et de nouveau le 9 mai, Human Rights Watch a envoyĂ© un courriel Ă Chahtane, lâinvitant Ă rĂ©pondre Ă plusieurs questions sur Chouf TV. Human Rights Watch nâavait reçu aucune rĂ©ponse au moment oĂč ce rapport Ă©tait mis sous presse. Dans une interview en 2019, Chahtane a dĂ©clarĂ© que Chouf TV disposait dâune Ă©quipe de 107 journalistes dispersĂ©s dans tout le Maroc, et rĂ©alisait un chiffre dâaffaires annuel de 2,5 millions de dollars US.[278] La page Facebook de Chouf TV indique 18 millions dâabonnĂ©s. A titre de comparaison, la page Facebook du New York Times en compte 17 millions, celle du Guardian 8 millions et celle du Monde 4 millions. Il est possible quâune aussi forte audience comprenne de nombreux faux comptes. Un rapport publiĂ© en fĂ©vrier 2021 indiquait que Facebook avait supprimĂ© un rĂ©seau » de 385 comptes Facebook provenant principalement du Maroc et ciblant un public national », six pages Facebook avec environ 150 000 abonnĂ©s et 40 comptes Instagram avec environ 2 500 abonnĂ©s, pour avoir violĂ© sa politique contre les comportements inauthentiques coordonnĂ©s ».[279] Le rapport indiquait [Le rĂ©seau] est originaire principalement du Maroc et ciblait un public national. Les personnes derriĂšre ce rĂ©seau ont utilisĂ© de faux comptes pour publier dans plusieurs groupes Ă la fois afin de rendre leur contenu plus populaire quâil ne lâĂ©tait. Ils ont Ă©galement frĂ©quemment utilisĂ© ces comptes pour commenter les nouvelles et les publications pro-gouvernementales de divers mĂ©dias, notamment Chouf TV. » Le rapport de Facebook a fourni un Ă©chantillon des commentaires » en question Ă©loge de la rĂ©action du gouvernement face Ă la pandĂ©mie de coronavirus, de ses initiatives diplomatiques, des forces de sĂ©curitĂ© marocaines, du roi Mohammed VI et du directeur de la Direction gĂ©nĂ©rale de la surveillance territoriale [la police marocaine] ». Le rapport comprenait des Ă©chantillons visuels des photomontages publiĂ©s par ces comptes. Lâun dâeux prĂ©sentait Abdellatif Hammouchi, le plus haut responsable sĂ©curitaire du royaume, avec un champ de roses en arriĂšre-plan. Un autre montrait le roi Mohammed VI sur fond rouge, entourĂ© dâun cĆur vert stylisĂ© le drapeau marocain est une Ă©toile verte sur un fond rouge avec le commentaire Tu es dans nos cĆurs ». Un autre photomontage montrait une main brandissant une arme Ă feu qui semble surgir dâune carte du Maroc, avec la lĂ©gende Trahir la nation est un crime grave et impardonnableâNon aux traĂźtres parmi nous ». Le rapport de Facebook a ajoutĂ© que les comptes inauthentiquement coordonnĂ©s » diffusant le contenu de Chouf TV ont Ă©galement frĂ©quemment critiquĂ© lâopposition au roi, les organisations de dĂ©fense des droits humains et les dissidents. » En juin 2022, Chahtane a Ă©tĂ© nommĂ© prĂ©sident de l'Association nationale des mĂ©dias et des Ă©diteurs ANME du Maroc.[280] 2. Barlamane est un site Web en langue arabe qui diffuse des nouvelles et des commentaires en format texte et vidĂ©o. Il dispose Ă©galement dâune version française ainsi que dâune webradio. Son fondateur et directeur est Mohamed Khabbachi, ancien directeur gĂ©nĂ©ral de Maghreb Arabe Presse MAP, lâagence de presse officielle du Maroc. La MAP a dĂ©veloppĂ© un rĂ©seau de correspondants dans le monde entier, dont au moins certains auraient des relations de travail avec la Direction GĂ©nĂ©rale des Etudes et de la Documentation DGED, lâagence marocaine de renseignement extĂ©rieur.[281] En 2005, un tribunal dâAlmeria, en Espagne, a statuĂ© en faveur du journaliste marocain Ali Lmrabet, poursuivi par la MAP pour diffamation aprĂšs quâil ait Ă©crit dans le quotidien espagnol El Mundo que la MAP Ă©tait une armĂ©e de mouchards ».[282] Dans son arrĂȘt, le tribunal espagnol a indiquĂ© que les liens entre la MAP, alors dirigĂ©e par Khabbachi, et la DGED Ă©taient suffisamment prouvĂ©s ».[283] En 2010, Khabbachi a Ă©tĂ© nommĂ© gouverneur en charge de la communication » au ministĂšre de lâIntĂ©rieur. Khabbachi a créé Barlamane en 2013. Bien que son nom ne figure pas sur la liste de lâĂ©quipe du site Web, Khabbachi est rĂ©guliĂšrement identifiĂ© dans des articles de presse comme le crĂ©ateur de Barlamane, ce quâil nâa jamais dĂ©menti.[284] LâApp Store dâApple rĂ©pertorie Mohamed Khabbachi comme le dĂ©veloppeur » de lâapplication Barlamane.[285] La ligne Ă©ditoriale politique de Barlamane est Ă©troitement alignĂ©e sur les autoritĂ©s marocaines. Ses articles dĂ©fendent frĂ©quemment les Makhzen de maniĂšre agressive, fustigeant les autoritĂ©s algĂ©riennes et les partisans de lâindĂ©pendance du Sahara occidental. Human Rights Watch a examinĂ© des centaines dâarticles de Barlamane qui Ă©taient insultants ou truffĂ©s dâallĂ©gations scandaleuses contre des journalistes indĂ©pendants, des dĂ©fenseurs des droits humains et dâautres opposants marocains. Le 13 septembre 2019, Barlamane a publiĂ© un article en arabe intitulĂ© Les scandales de la famille Raissouni dont Satan lui-mĂȘme a honte ».[286] ĂnumĂ©rant une sĂ©rie dâallĂ©gations malveillantes sur la vie intime et sexuelle du journaliste dissident Soulaiman Raissouni et de plusieurs membres de sa famille, lâarticle disait Soulaiman, nous avons honte de rĂ©vĂ©ler tes actions [...] Viendra un jour oĂč nous ouvrirons le livre de ta vie dans toute da noirceur. » Le site a publiĂ© une sĂ©rie dâarticles sur Raissouni dans les mois suivants â une soixantaine entre 2018 et 2020, selon le dĂ©compte du journaliste Hicham Mansouri, rĂ©fugiĂ© politique en France â jusquâĂ ce que Raissouni soit arrĂȘtĂ© en mai 2020 et poursuivi pour agression sexuelle.[287] Le 1er avril 2022, Human Rights Watch a envoyĂ© un email Ă Khabbachi, puis de nouveau le 9 mai, lâinvitant Ă rĂ©pondre Ă plusieurs questions concernant Barlamane. Human Rights Watch nâavait reçu aucune rĂ©ponse au moment oĂč ce rapport Ă©tait mis sous presse. 3. Le360 Le360 est un site Web en langue française qui diffuse des nouvelles et des commentaires en format texte et vidĂ©o. Il en existe Ă©galement une version arabe. En avril 2015, le quotidien français Le Monde rapportait que le galeriste et critique dâart Aziz Daki, Ă©galement actionnaire et directeur gĂ©nĂ©ral de Le360, Ă©tait notoirement trĂšs proche de Mounir Majidi », secrĂ©taire particulier du roi Mohammed VI et prĂ©sident des sociĂ©tĂ©s Ă portefeuille qui abritent les intĂ©rĂȘts Ă©conomiques privĂ©s de la famille royale». [288] Le Monde a notĂ© que Majidi a embauchĂ© Daki comme directeur artistique et porte-parole du Festival Mawazine, un Ă©vĂ©nement musical qui se tient chaque annĂ©e Ă Rabat. Majidi a prĂ©sidĂ© lâassociation qui gĂšre le festival pendant dix ans. En 2015, le magazine marocain TelQuel a interrogĂ© Daki au sujet de rumeurs » liant Le360 au secrĂ©taire du roi. Daki a rejetĂ© les rumeurs comme Ă©tant basĂ©es sur des raccourcis faciles ».[289] Plusieurs incidents suggĂšrent nĂ©anmoins que Le360 pourrait au moins ĂȘtre un canal de communication prĂ©fĂ©rĂ© pour Majidi.[290] En fĂ©vrier 2015, Le360 a publiĂ© des photos supprimĂ©es depuis mais toujours accessibles dans les archives web dâune lettre envoyĂ©e Ă Majidi par deux journalistes français sâenquĂ©rant des finances royales.[291] La lettre a donnĂ© Ă Majidi lâoccasion de commenter des informations qui seront bientĂŽt publiĂ©es dans le quotidien français Le Monde concernant un compte bancaire suisse au nom du roi Mohammed VI et citant Majidi comme gestionnaire de compte. La lettre, envoyĂ©e directement Ă Majidi ainsi quâĂ son avocat, a Ă©tĂ© divulguĂ©e par le Le360 avant la publication de lâarticle du Monde.[292] Le mĂȘme scĂ©nario sâest reproduit en mars 2016. Avant la publication dâune enquĂȘte sur des sociĂ©tĂ©s offshore appartenant au roi et gĂ©rĂ©es par Majidi, un journaliste amĂ©ricain et membre du consortium dâinvestigation ICIJ a envoyĂ© une lettre offrant Ă Majidi lâoccasion dâexprimer son point de vue. Cette lettre a Ă©galement fait lâobjet dâune fuite et a Ă©tĂ© divulguĂ©e par Le360, avant que lâarticle ne soit publiĂ© sur le site dâinformation Le Desk, partenaire marocain de lâICIJ.[293] Un article du Monde dĂ©crit comment les mĂ©dias proches du palais royal, dont Le360, ont cherchĂ© Ă dĂ©gonfler » des enquĂȘtes de presse embarrassantes impliquant le roi et son entourage ».[294] Sur la base de lâexamen de centaines dâarticles publiĂ©s entre le milieu des annĂ©es 2010 et 2022, Human Rights Watch a conclu que la ligne Ă©ditoriale du site Le360 est trĂšs Ă©troitement alignĂ©e sur les autoritĂ©s marocaines. Ses articles et vidĂ©os dĂ©fendent rĂ©guliĂšrement le palais royal et les forces de sĂ©curitĂ©, parfois Ă travers des portraits idylliques de responsables de la sĂ©curitĂ©.[295] Il publie Ă©galement rĂ©guliĂšrement des articles insultants et truffĂ©s dâallĂ©gations malveillantes sur des journalistes indĂ©pendants, des dĂ©fenseurs des droits humains ainsi que dâautres dissidents marocains. Lâune des cibles rĂ©currentes du site Le360 est le prince Moulay Hicham, un cousin du roi Mohammed VI considĂ©rĂ© comme un membre rebelle » de la famille royale en raison de ses critiques frĂ©quentes de la gestion des affaires marocaines par le roi, et des appels du prince Ă une ouverture dĂ©mocratique au Maroc et au-delĂ .[296] Une recherche de lâexpression Moulay Hicham » dans le moteur de recherche de Le360 rĂ©vĂšle environ 130 articles sur le prince, qui le dĂ©peignent tous sous un jour peu flatteur.[297] Le 1er avril 2022, Human Rights Watch a envoyĂ© un email Ă Aziz Daki, lâinvitant Ă rĂ©pondre Ă plusieurs questions concernant Le360. Human Rights Watch a reçu une rĂ©ponse le 14 avril, dans laquelle Wadi El Moudden, directeur de la publication de Le360, a niĂ© que son site Web fasse partie des mĂ©dia de diffamation » et a dĂ©clarĂ© quâil se consacrait Ă la publication dâinformations vĂ©rifiĂ©es et dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ». El Moudden a demandĂ© Ă Human Rights Watch de ne pas citer dâextraits de sa lettre. Remerciements La recherche, la rĂ©daction, la rĂ©vision et lâĂ©dition de ce rapport ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par une Ă©quipe de Human Rights Watch comprenant Clive Baldwin, conseiller juridique principal, Rothna Begum, chercheuse principale senior auprĂšs de la division Droits des femmes, Ahmed Benchemsi, directeur de la communication pour la division Moyen-Orient et Afrique du Nord MENA, Eric Goldstein, directeur adjoint de la division MENA, Tom Porteous, directeur adjoint de la division Programmes et Benjamin Ward, conseiller juridique senior par intĂ©rim. Arvind Ganesan, directeur de la division Entreprises et droits humains, Frederike Kaltheuner, directrice de la division Technologie et droits humains, et Rasha Younes, chercheuse sur les droits des personnes LGBT, parmi d'autres personnes, ont fourni des avis d'expert. Santiago Garcia, producteur consultant, et Christina Curtis, directrice adjointe de la division MultimĂ©dia de Human Rights Watch, ont conçu et produit la vidĂ©o accompagnant le rapport. Des collaboratrices de la division MENA, ainsi que Travis Carr, coordinateur de la photographie et des publications, et Grace Choi, directrice des publications, ont prĂ©parĂ© le rapport pour publication. Danielle Serres a assurĂ© la traduction en français de ce rapport. Merci aux avocats, en particulier Miloud Kandil, Mohamed Messaoudi et Mohamed Sadkou, qui nous ont aidĂ©s dans lâanalyse de cas juridiques spĂ©cifiques et sur des questions plus larges sur le droit marocain et les procĂ©dures pĂ©nales. Nous remercions l'Association Marocaine des Droits de l'Homme AMDH, et en particulier Ă son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Youssef Raissouni, pour leur constante disponibilitĂ© Ă fournir des informations. Surtout, nous remercions toutes les personnes nommĂ©es dans ce rapport et celles dont nous avons dissimulĂ© les noms Ă leur demande ou pour des raisons de sĂ©curitĂ©, pour avoir pour avoir acceptĂ© de partager leurs expĂ©riences et leurs points de vue avec nous.smQc.